vendredi 1 avril 2016

CD : « Traits » de Philippe Hurel


Après un remarquable disque monographique consacré au regretté Christophe Bertrand (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/07/cd-la-chute-du-rouge-de-christophe.html), interprété par l’Ensemble Court-Circuit dirigé par Jean Deroyer, l’excellent label Motus de Vincent Laubeuf publie un nouveau CD monographique. Cette fois, Philippe Hurel est à l’honneur. Cette nouvelle parution se situe dans la continuité du disque précédent, Bertrand ayant été l’un des élèves de Hurel, directeur-fondateur de Court-Circuit qui a franchi le cap des soixante ans le 24 juillet dernier.

Le titre du disque, Traits, provient du triptyque pour violon et violoncelle qui l’ouvre. A l’instar des trois mouvements du Kammerkonzert pour violon, piano et treize instruments à vent d’Alban Berg, entre autres, les deux premières pièces sont consacrées à chacun des instruments, qui se rejoignent dans le dernier volet du triptyque, chaque mouvement étant plus long que celui qui le précède. Rappelons aussi que ce cahier est disponible sur la toile sur le site de YouTube en suivant le lien https://www.youtube.com/watch?v=NihZW_p8kJQ qui a été mis en ligne par l’éditeur-même, Henry Lemoine, où l’on peut se régaler à l’écoute de cette musique d’une énergie et d’un lyrisme exacerbés, d’une témérité et d’une originalité telles que l’auditeur est transporté par les surprises, qui surviennent à chaque instant, au détour d’une phrase, d’une respiration, d’un simple coup d’archet… A l’écoute de ce cahier, c’est bien l’urgence, la tension extrême voire l’animalité, la mise en danger permanente  évoquées par le compositeur qui submergent l’interprétation et l’écoute. C’est le violoncelle qui inaugure le cycle, dans D’un trait, suivi du violon, à qui revient Trait, et qui est rejoint par le violoncelle dans Trait d’union. Avouons-le sans attendre : Traits est un authentique chef-d’œuvre ! 

Philippe Hurel (né en 1955). Photo : (c) C. Daguet/Editions Henry Lemoine

La performance et la virtuosité des deux interprètes servent à la perfection cette musique à la vivacité contagieuse. Bien qu'écrite pour le Concours International d’Interprétation consacré à la musique française organisé par l’association Note et Bien soit à l’origine de D’un trait - Trentemps, cette œuvre n’a rien d’une pièce de concours, loin s’en faut. A tout le moins, elle est destinée à des violoncellistes expérimentés. C’est son créateur, Alexis Descharmes, qui en a donné la première exécution mondiale à Birmingham le 7 juin 2007, membre de Court-Circuit, qui l’interprète ici avec une maestria à couper le souffle. Alexandra Greffin-Klein n’a rien à envier au violon à son confrère Alexis Descharmes dans Trait, composé en 2014 pour la violoniste à la suite d’une commande de l’association Musique Nouvelle en Liberté et qui l’a créé Salle Cortot le 22 septembre 2014. Le plus impressionnant tient au fait qu’Alexandra Greffin-Klein se joue avec bonheur des exigences de la pièce qui lui revient sans en gommer l’impression de prise de risques, ce qui rend son interprétation et l’œuvre elle-même d’autant plus saisissante. Découlant son matériau de la pièce liminaire, Trait d’union est remarquable par la perfection et le fondu des timbres et des sonorités des deux instruments, qui finissent par sonner de la même façon au point de devenir un seul.

La première des deux œuvres qui suivent Traits dans le disque proposé par Motus, Cantus, remonte à 2005. Ecrite pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussion et piano, cette œuvre est un hommage à l’écrivain Georges Perec, vers qui retournera le compositeur pour son premier opéra Espèces d’Espaces créé à Lyon en 2012 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/03/creation-de-especes-despaces-de.html). Néanmoins, il s’agit ici d’un texte écrit a posteriori de la genèse de la partition par le compositeur lui-même fondé sur des phonèmes et des formulations poétiques de la musique qui est en train de se faire. Créé à Strasbourg le 11 octobre 2006 par Françoise Kubler et l’Ensemble Accroche Note dirigé par Franck Ollu, dans le cadre du Festival Musica, cette œuvre se fonde sur un cantus firmus simple et aisément perceptible qui engendre une complexité séduisante. C’est la soprano qui le conduit, ainsi que les parties en imitation ou en canon à partir de la polyphonie instrumentale, tout en transformant ou dérivant sans attendre la musique qui est jouée. Cette musique est immédiatement identifiable comme étant de la griffe Hurel, tant elle est bouillante et a de force vitale. Elise Chauvin galvanise cette énergie de sa voix sûre et pleine, l’Ensemble Court-Circuit lui répondant et l’enveloppant avec une sereine virtuosité sous la direction assurée de Jean Deroyer.

Plein-jeu provient d’un autre triptyque, Jeux, encore incomplet à ce jour - le volet central, Jeu, reste à écrire. Composé pour accordéon et électronique au CIRM (Centre National de Création Musicale de Nice dirigé par François Paris) en 2010, créé le 19 novembre de la même année à Nice dans le cadre du Festival Manca par Pascal Contet, Plein-Jeu est appelé à constituer le dernier volet de la trilogie, après Hors-Jeu pour percussion et électronique (2005) et Jeu. La partie électronique de Plein-Jeu est non pas en temps réel mais en temps différé, bien que le rendu sonore réussisse à faire croire que le geste de l’instrumentiste suscite une réaction directe de l’électronique qui le commente et prolonge. Au point que l’auditeur a le sentiment d’écouter un méta-accordéon aux sonorités quasi-organistiques. Pascal Contet joue cette œuvre avec tout le talent qu’on lui connaît, et l’immense plaisir qui est le sien de servir et de s’approprier la musique nouvelle la plus exigeante et délicate à jouer.

Un disque à se procurer toute affaire cessante.

Bruno Serrou

1CD Motus M215009 (1h 06mn 24s) 

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