Fondé en 2010 par
Antoine Maisonhaute, son premier violon, aujourd’hui constitué d’Ivan Lebrun
(second violon), Maxime Désert (alto) et Jeanne Maisonhaute (violoncelle), le
Quatuor Tana s’est placé sous l’ascendance de trois compositeurs aujourd’hui quadragénaires
qui se sont rencontrés à la Villa Médicis à la fin des années 2000 et qui
forment non pas une école mais un mouvement comparable à celui que fut le
mouvement spectral, celui de la « musique saturée ». L’une des
particularités du Quatuor Tana, outre son talent que j’ai personnellement
découvert voilà trois ans durant un reportage Villa Médicis à Rome, est d’être l’un
des tout premiers ensembles à jouer non pas avec les traditionnelles partitions
imprimées posées sur des pupitres mais avec des tablettes numériques dotées du
système Airturn dont les « pages » sont tournées à partir d’une
commande placée sous le pied droit.
Photo : (c) Quatuor Tana
Ce
premier CD entièrement consacré à la musique saturée réunit trois des
initiateurs du mouvement. Inspirée de l’univers du hard rock et du
haevy-métal où la saturation sonore est principalement due à celle d’un
amplificateur et des enceintes acoustiques qui lui sont associées, la
saturation dans le domaine de la musique contemporaine répond à un besoin de
radicalité et de transgression. Cette esthétique musicale est née au tournant
des années 2000-2010 de l’imagination de compositeurs passés par la Villa
Médicis. Elle donne à la matière sonore une rugosité fondamentale. Elle va
chercher ce qui, dans le son, est tabou, ce que l’on s’efforce habituellement
de gommer et qui, contrôlé de façon magistrale, devient énergie pure. C’est ce
qui gouverne et rend captivantes chacune des quatre œuvres réunies dans ce CD.
Rome, Villa Medici. Photo : (c) Bruno Serrou; 2013
Contrairement à ce que le titre
de l’album pourrait le laisser supposer, ce n’est pas le Quatuor à cordes n° 3 « Shadows » de Yann Robin (né en 1974)
qui a été retenu dans ce disque, mais son Quatuor à cordes n° 2 « Crescent Scratches » dédié à Raphaël Cendo, son cadet d’un an. Le titre de cette pièce de moins d’une dizaine de minutes provient de la technique de jeu développée par les DJ sur leurs platines vinyles et que l’on retrouve dans le hip-hop ainsi que dans les musiques dites « industrielles ». Dans cette commande du Festival d’Aix-en-Provence, où elle a été créée en 2013 par le Quatuor Tercea, les allusions aux platines des DJ sont les glissandi saturés, assimilables au « scratch » provoqué par le va et vient des plateaux tourne-disque, et la notion de boucle qui consiste à reproduire une même séquence, qu’elle soit ou non variée. Le compositeur et ses interprètes ont la manière idoine pour apprivoiser la saturation et la rendre foncièrement musicale, associant un moelleux et une chaire certains aux stridences et distorsions.
Le Quatuor à cordes n° 2 « In Vivo » de Raphaël Cendo (né en 1975), œuvre en trois parties conçues entre 2008 et 2011, est en fait davantage pour quatre archets que pour seize cordes, l’expression et le jeu se faisant essentiellement par la main droite des musiciens plaquant l’archet sur les cordes que par la main gauche courant sur le manche. Ces pages sont d’une extrême difficulté de jeu, particulièrement celles où les seize cordes se répondent avec des contretemps allant se décalant peu à peu, et la présence saisissante de l’électronique qui s’immisce et s’intercale et s’éteint en écho. Au cœur de cette surcharge d’adrénaline suffocante, émergent des phrases d’un lyrisme extrême environnées par une tension allant crescendo, alternativement triste, tendre et déchirante, voire ineffable. Les Tana en donnent une lecture précise, restituant la diversité des climats, jouant avec un naturel saisissant tant les difficultés s’avèrent aplanies, comme totalement assimilées par les quatre musiciens qui jouent ce quatuor comme s’il s’agissait pour eux d’un classique. A l’instar du Quatuor à cordes n° 2 titré Substances et dédié « à mes amis du quatuor Tana », donc composé en 2013 pour les quartettistes, qui ont spécialement conçu pour cette pièce d’une virtuosité folle des archets spéciaux qui leur permettent de racler leurs instruments sans les dégrader pour produire un maelstrom de sons inouïs en une spirale continue.
Le Quatuor à cordes n° 2 « In Vivo » de Raphaël Cendo (né en 1975), œuvre en trois parties conçues entre 2008 et 2011, est en fait davantage pour quatre archets que pour seize cordes, l’expression et le jeu se faisant essentiellement par la main droite des musiciens plaquant l’archet sur les cordes que par la main gauche courant sur le manche. Ces pages sont d’une extrême difficulté de jeu, particulièrement celles où les seize cordes se répondent avec des contretemps allant se décalant peu à peu, et la présence saisissante de l’électronique qui s’immisce et s’intercale et s’éteint en écho. Au cœur de cette surcharge d’adrénaline suffocante, émergent des phrases d’un lyrisme extrême environnées par une tension allant crescendo, alternativement triste, tendre et déchirante, voire ineffable. Les Tana en donnent une lecture précise, restituant la diversité des climats, jouant avec un naturel saisissant tant les difficultés s’avèrent aplanies, comme totalement assimilées par les quatre musiciens qui jouent ce quatuor comme s’il s’agissait pour eux d’un classique. A l’instar du Quatuor à cordes n° 2 titré Substances et dédié « à mes amis du quatuor Tana », donc composé en 2013 pour les quartettistes, qui ont spécialement conçu pour cette pièce d’une virtuosité folle des archets spéciaux qui leur permettent de racler leurs instruments sans les dégrader pour produire un maelstrom de sons inouïs en une spirale continue.
Raphaël Cendo (né en 1975), Lyon 2012. Photo : DR
Yann Robin (1974)
a dédié son Quatuor à cordes n° 2 « Crescent
Scratches » à Raphaël Cendo, son cadet d’un an. Le titre de cette
pièce de moins d’une dizaine de minutes provient de la technique de jeu
développée par les DJ sur leurs platines vinyles et que l’on retrouve dans le
hip-hop ainsi que dans les musiques dites « industrielles ». Dans
cette commande du Festival d’Aix-en-Provence, où elle a été créée en 2013 par
le Quatuor Tana, les allusions aux platines des DJ sont les glissandi saturés,
assimilables au « scratch » provoqué par le va et vient des plateaux
tourne-disque, et la notion de boucle qui consiste à reproduire une même
séquence, qu’elle soit ou non variée. Le compositeur et ses interprètes ont la
manière idoine pour apprivoiser la saturation et la rendre foncièrement
musicale, associant un moelleux et une chaire certains aux stridences et
distorsions.
Yann Robin (né en 1974). Photo : (c) Elisabeth Schneider
Enfin, Franck
Bedrossian (né en 1971), l’aîné de quelques années de ses deux comparses de la Villa
Médicis, est lui aussi à l’initiative de la « saturation ». Dédié à
Allain Gaussin (né en 1943) dont il a été l’un des élèves au Conservatoire de
Paris, Tracés d’ombres pour quatuor à
cordes date de 2007. Il s’agit aussi, pour cette œuvre qui tire son titre d’Ou
bien… ou bien… du philosophe danois Søren Kierkegaard (1813-1855), d’une commande du Festival d’Aix-en-Provence.
Comptant trois mouvements aux titres représentatifs, Fantomatique - Extrêmement lent
et désolé - Violent, contrasté, que
le compositeur considère comme autant d’étapes formant contrastes en raison de
leur temporalité accélérée ou étirée, cette partition d’un peu plus d’une
dizaine de minutes déploie et explore la saturation, filtrée et rythmée par le
geste instrumental. Oscillant lentement ou dans la précipitation entre rugosité
et transparence, précise Bedrossian, la matière sonore évoque les errements d’une
voix humaine et sa hantise du silence. Le compositeur pousse le son du quatuor
d’archets aux limites de la perception par une série de modes de jeux explorant
le potentiel de ce méta-instrument constitué des seize cordes du quatuor
traitées comme s’il était enrichi de l’électronique en temps réel.
Franck Bedrossian (né en 1971). Photo : DR
Le Quatuor Tana restitue
cette musique saturée qui semble expressément faite sur mesure pour eux avec infiniment de précision, de vélocité, d’engagement, de
naturel, d’endurance et de puissance tout en exaltant timbres, sonorités et onctuosité,
laissant en outre une transparence salvatrice pour qui veut suivre chacune des
voix du quatuor à cordes. Un disque indispensable pour qui veut découvrir le
premier mouvement musical singulièrement original du XXIe siècle.
Bruno Serrou
1 CD. « Shadows » Quatuor Tana. 50mn 24s. Paraty 205146
(distribution Harmonia Mundi)
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