Après un remarquable disque
monographique consacré au regretté Christophe Bertrand (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/07/cd-la-chute-du-rouge-de-christophe.html),
interprété par l’Ensemble Court-Circuit dirigé par Jean Deroyer, l’excellent
label Motus de Vincent Laubeuf publie un nouveau CD monographique. Cette fois, Philippe
Hurel est à l’honneur. Cette nouvelle parution se situe dans la continuité du
disque précédent, Bertrand ayant été l’un des élèves de Hurel, directeur-fondateur
de Court-Circuit qui a franchi le cap des soixante ans le 24 juillet dernier.
Le titre du disque, Traits, provient du triptyque pour
violon et violoncelle qui l’ouvre. A l’instar des trois mouvements du Kammerkonzert pour violon, piano et treize
instruments à vent d’Alban Berg, entre autres, les deux premières pièces sont
consacrées à chacun des instruments, qui se rejoignent dans le dernier volet du
triptyque, chaque mouvement étant plus long que celui qui le précède. Rappelons
aussi que ce cahier est disponible sur la toile sur le site de YouTube en suivant le lien https://www.youtube.com/watch?v=NihZW_p8kJQ qui a été mis en ligne par l’éditeur-même, Henry Lemoine, où l’on peut se
régaler à l’écoute de cette musique d’une énergie et d’un lyrisme exacerbés, d’une
témérité et d’une originalité telles que l’auditeur est transporté par les
surprises, qui surviennent à chaque instant, au détour d’une phrase, d’une
respiration, d’un simple coup d’archet… A l’écoute de ce cahier, c’est bien l’urgence,
la tension extrême voire l’animalité, la mise en danger permanente évoquées par le compositeur qui submergent l’interprétation
et l’écoute. C’est le violoncelle qui inaugure le cycle, dans D’un trait, suivi du violon, à qui revient
Trait, et qui est rejoint par le
violoncelle dans Trait d’union. Avouons-le
sans attendre : Traits est un
authentique chef-d’œuvre !
Philippe Hurel (né en 1955). Photo : (c) C. Daguet/Editions Henry Lemoine
La performance et la virtuosité des deux
interprètes servent à la perfection cette musique à la vivacité contagieuse.
Bien qu'écrite pour le Concours International d’Interprétation consacré à la musique
française organisé par l’association Note et Bien soit à l’origine de D’un trait - Trentemps, cette œuvre n’a
rien d’une pièce de concours, loin s’en faut. A tout le moins, elle est
destinée à des violoncellistes expérimentés. C’est son créateur, Alexis Descharmes,
qui en a donné la première exécution mondiale à Birmingham le 7 juin 2007,
membre de Court-Circuit, qui l’interprète ici avec une maestria à couper le
souffle. Alexandra Greffin-Klein n’a rien à envier au violon à son confrère
Alexis Descharmes dans Trait, composé en 2014 pour la violoniste à la suite d’une
commande de l’association Musique Nouvelle en Liberté et qui l’a créé Salle
Cortot le 22 septembre 2014. Le plus impressionnant tient au fait qu’Alexandra Greffin-Klein
se joue avec bonheur des exigences de la pièce qui lui revient sans en gommer l’impression de
prise de risques, ce qui rend son interprétation et l’œuvre elle-même d’autant
plus saisissante. Découlant son matériau de la pièce liminaire, Trait d’union
est remarquable par la perfection et le fondu des timbres et des sonorités des
deux instruments, qui finissent par sonner de la même façon au point de devenir
un seul.
La première des deux œuvres
qui suivent Traits dans le disque proposé
par Motus, Cantus, remonte à 2005.
Ecrite pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussion et piano, cette œuvre est un hommage à l’écrivain Georges Perec,
vers qui retournera le compositeur pour son premier opéra Espèces d’Espaces créé à Lyon en 2012 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/03/creation-de-especes-despaces-de.html).
Néanmoins, il s’agit ici d’un texte écrit a posteriori de la genèse de la
partition par le compositeur lui-même fondé sur des phonèmes et des
formulations poétiques de la musique qui est en train de se faire. Créé à
Strasbourg le 11 octobre 2006 par Françoise Kubler et l’Ensemble Accroche Note
dirigé par Franck Ollu, dans le cadre du Festival Musica, cette œuvre se fonde
sur un cantus firmus simple et aisément
perceptible qui engendre une complexité séduisante. C’est la soprano qui le
conduit, ainsi que les parties en imitation ou en canon à partir de la polyphonie
instrumentale, tout en transformant ou dérivant sans attendre la musique qui
est jouée. Cette musique est immédiatement identifiable comme étant de la
griffe Hurel, tant elle est bouillante et a de force vitale. Elise Chauvin
galvanise cette énergie de sa voix sûre et pleine, l’Ensemble Court-Circuit lui
répondant et l’enveloppant avec une sereine virtuosité sous la direction assurée
de Jean Deroyer.
Plein-jeu provient d’un autre triptyque, Jeux, encore
incomplet à ce jour - le volet central, Jeu,
reste à écrire. Composé pour accordéon et électronique au CIRM (Centre National
de Création Musicale de Nice dirigé par François Paris) en 2010, créé le 19
novembre de la même année à Nice dans le cadre du Festival Manca par Pascal
Contet, Plein-Jeu est appelé à
constituer le dernier volet de la trilogie, après Hors-Jeu pour percussion et électronique (2005) et Jeu. La partie électronique de Plein-Jeu est non pas en temps réel mais
en temps différé, bien que le rendu sonore réussisse à faire croire que le
geste de l’instrumentiste suscite une réaction directe de l’électronique qui le
commente et prolonge. Au point que l’auditeur a le sentiment d’écouter un
méta-accordéon aux sonorités quasi-organistiques. Pascal Contet joue cette œuvre
avec tout le talent qu’on lui connaît, et l’immense plaisir qui est le sien de
servir et de s’approprier la musique nouvelle la plus exigeante et délicate à jouer.
Un disque à se
procurer toute affaire cessante.
Bruno Serrou
1CD Motus M215009 (1h 06mn 24s)
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