Massy-Palaiseau, Opéra de Massy, vendredi 23 janvier 2015
Joseph Haydn (1732-1809), Armida. Production de l'ARCAL mise en scène par Mariame Clément. Photo : (c) ARCAL
Des treize opéras de Joseph Haydn
trop systématiquement négligés par la scène lyrique contemporaine, Armida est l’un des plus connus aux côtés
de la Fedeltà premiata et l’Anima del filosofo. Composé pour le
château d’Eszterháza comme tous les ouvrages scéniques de Haydn à l’exception
du dernier - l’Anima del filosofo a
été écrit pour Londres -, cet opera seria
en trois actes et un peu plus de deux heures a connu cinquante-quatre
représentations au théâtre de la cour du comte Eszterházy, entre sa création le
26 février 1784 et 1788. Il sera également représenté du vivant du compositeur
à Pressburg (Bratislava), Budapest, Turin et Vienne. C’est cet ouvrage que
l’ARCAL, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, a choisi de
produire cette saison 2014-2015 et de présenter dans une tournée lancée en
octobre dernier à Saint-Quentin-en-Yvelines, puis présenté à Reims, Massy,
Besançon, Clermont-Ferrand, Orléans, Louvrais, Cergy-Pontoise, Niort (1).
Joseph Haydn (1732-1809) en 1792. Portrait de Thomas Hardy. Photo : DR
Bien que Haydn considérât Armida comme le meilleur de ses opéras, l’ouvrage
disparut de l’affiche à la mort du compositeur pour ne réapparaître qu’en 1968,
année où il fut donné en concert à Cologne, avant de retrouver la scène à
Berne. Tiré du poème épique la Jérusalem
délivrée de Torquato Tasso qui
inspira Claudio Monteverdi, Jean-Baptiste Lully, Georg Friedrich Haendel, le
chevalier Gluck, Fernandino Bertoni et Gioacchino Rossini, entre beaucoup d’autres,
le livret utilisé par le compositeur se présente comme une compilation de
divers éléments de toutes origines sans doute assemblés par Nunziato Porta, qui
allège l’action au point de la rendre singulièrement mince. Néanmoins, apparaît
ici clairement le fait que Haydn rend un hommage appuyé à Gluck, dont il a de
toute évidence su assimiler la réforme, introduisant ici une grande fluidité
dans les arie et les récitatifs souvent
accompagnés par l’orchestre pour instaurer continuité et unité dramatiques,
tout en s’inspirant du Giulio Sabino
du compositeur vénitien Giuseppe Sarti monté à Eszterháza en 1783. Reprenant
les passages les plus significatifs de l’opéra qu’elle précède, l’ouverture se
présente comme une véritable page à programme préfigurant les affrontements
violents entre Rinaldo et Armida, qui cherche à ensorceler ce dernier, les airs
guerriers et les scènes pastorales. L’intrigue est connue, puisqu’elle reprend
à grands traits celle de l’Armide de
Lully et du Rinaldo de Haendel, mais
en plus concentré et axé sur la seule psychologie, ce qui rend l’intrigue peu théâtrale.
Autour du thème central qu’est le conflit entre l’amour et le devoir, le cadre
est l’affrontement sans merci durant la Première Croisade entre Chrétiens et
Musulmans, ces derniers étant présentés comme des païens, entre foi et magie, hommes
et femmes, chacun des protagonistes restant prisonnier de sa propre vision du
monde, de ses valeurs, incapable de comprendre leurs semblables.
La Salle Haydn du Château d'Eszterháza. Photo : DR
A l’écoute de l’œuvre entendue à
l’Opéra de Massy dans l’excellente production de l’ARCAL, l’on se demande pourquoi
Armida est si peu donné en France. Il
s’agit en effet indubitablement d’une pièce majeure de l’échiquier de
l’histoire de l’opéra du XVIIIe siècle. Il convient néanmoins de
signaler que la partie vocale est difficile à distribuer, particulièrement les
deux rôles principaux, la sorcière sarrasine Armida, confiée à une soprano, et
le chevalier franc Rinaldo, qui revient à un ténor, rôles qui requièrent un
large ambitus et une grande maîtrise de la vocalise, les voix étant traitées
comme des instruments, tandis que l’orchestre devient un personnage à part
entière et traduit la psychologie des protagonistes. Réunissant flûte, deux
hautbois, deux clarinettes, deux bassons, deux cors/trompettes, timbales,
cordes et continuo, ce dernier est remarquablement servi par l’ensemble
d’instruments anciens Le Concert de la Loge Olympique qu’a fondé le violoniste Julien
Chauvin, collaborateur pendant une décennie du Cercle de l’Harmonie de Jérémie
Rohrer. Sous sa direction convaincue (le chef donne tous les départs avec une
belle maîtrise, et chante la totalité de l’œuvre avec les solistes), vive et
précise, tant sur le plan rythmique que des attaques et de la couleur, les
musiciens de cette nouvelle formation se montrent parfaitement maîtres de leur
jeu, tandis que l’orchestre sonne avec une luminosité rare sur ce type
d’instruments trop souvent secs et acides, même si l’on eut aimé des bois plus
présents, particulièrement la flûte à bec.
Joseph Haydn (1732-1809), Armida. Production de l'ARCAL mise en scène par Mariame Clément. Chantal Santon (Armida). Photo : (c) ARCAL
Sur la scène, la distribution est
tout aussi enthousiasmante que ce qui émane de la fosse. Dans le rôle-titre, la
jeune soprano française Chantal Santon, timbre chaud, présence et voix lui
permettant une virtuosité épanouie, fait de son Armida un être ardent suprêmement
chantant. Face à elle, le ténor espagnol Juan Antonio Sanabria campe un
séduisant et solide Rinaldo avec sa voix aux aigus triomphants et au timbre coloré.
A leurs côtés, la troupe entière est à l’unisson, avec en Zelmira la soprano
française Dorothée Lorthiois à la voix ample et à la musicalité avenante, le
baryton canadien Laurent Deleuil excelle dans le rôle du rusé Idreno, le jeune
ténor toulousain Enguerrand De Hys, Révélation Classique ADAMI 2014 entendu voilà
un an alors qu’il était encore étudiant au CNSMDP dans Reigen de Philippe Boesmans (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/reigen-opera-de-philippe-boesmans.html),
est un incandescent Ubaldo (compagnon d’armes de Rinaldo) à la voix franche, l’articulation
parfaite et à la ligne de chant irréprochable. Le ténor sévillan Francisco Fernàndez-Rueda
(Clotardo) et la comédienne belge Catherine
Hauseux parachèvent cette équipe sans faiblesse.
Joseph Haydn (1732-1809), Armida. Production de l'ARCAL mise en scène par Mariame Clément. Chantal Santon (Armida), Juan Antonio Sanabria (Rinaldo). Photo : (c) ARCAL
D’autant plus que l’ensemble de
la troupe se plait à jouer avec un évident plaisir, en authentiques
comédiens-chanteurs, cette tragédie amoureuse dans la direction d’acteur réglée
au cordeau par Mariame Clément, qui, dans la scénographie de Julia Hansen
articulée autour d’un grand tapis persan, situe l’action de nos jours, faisant
des héros de la Première Croisade de véritables geeks guerroyant par le biais d’ordinateurs
portables et de smartphones, jouant alternativement de la console de jeux et au
tennis, et se vautrant sur des canapés, tant et si bien que le spectateur se
perd très vite dans les méandres d’une intrigue que les différents cadres de l’action
rendent peu claires.
Bruno Serrou
Cette production d’Armida de Joseph Haydn est reprise à
Orléans (Scène nationale) le 11 février à 20h30, Besançon (Scène nationale) le
19 février à 20h, à Clermont-Ferrand (Centre Lyrique Clermont-Auvergne) les 25
et 27 février à 20h, Louvrais (L’Apostrophe-Théâtre) le 5 mars à 19h30, Cergy-Pontoise
(Scène nationale) le 7 mars à 20h30, Niort (Scène nationale Le Moulin du Roc)
le 10 mars à 20h30.
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