mercredi 28 janvier 2015

"Aufgang", le concerto pour violon classico-romantique de Pascal Dusapin pour Renaud Capuçon en première audition parisienne pour l'entrée de l’Orchestre Philharmonique de Radio France à la Philharmonie

Paris, Philharmonie I, lundi 26 janvier 2014

Myung-Whun Chung, Renaud Capuçon, Pascal Dusapin et l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Yann Ollivier

La forme concerto est décidément très prisée en ces premières journées d’exploitation de la Philharmonie de Paris. Après la création du Concerto pour orchestre de Thierry Escaich le soir de l’inauguration de la grande salle de concerts parisien le 14 janvier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/01/la-philharmonie-de-paris-salle-de.html), commande conjuguée de l’Orchestre de Paris et de la Philharmonie, c’était le 26 janvier au tour de la première exécution française du Concerto pour violon et orchestre intitulé Aufgang de Pascal Dusapin pour la première prestation dans cette même salle de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui, aux côtés de la Philharmonie, compte parmi les nombreux commanditaires de cette partition, comme c’est désormais le cas pour chaque commande du compositeur français. En effet, créé à la Philharmonie de Cologne le 8 mars 2013 par Renaud Capuçon et le WDR Sinfonieorchester dirigé par Jukka-Pekka Saraste, Aufgang a été conjointement financé par Pierre Bergé, le Westdeutscher Rundfunk de Cologne, l’Orchestre de la Suisse romande de Genève, l’Orchestre Philharmonique de la Radio néerlandaise à Hilversum, du Festival de Hollande et de la Philharmonie de Paris…

Myun-Whun Chung et Pascal Dusapin pendant les répétitions de Aufgang. Photo : (c) Jean-François Leclercq / Radio France

En cette année de ses soixante ans, Pascal Dusapin a un programme chargé. Le théâtre de la Monnaie de Bruxelles, qui lui commanda son premier opéra, Medea Material, donnera en création le 31 mars prochain son septième, Penthesilea d’après le drame de Heinrich von Kleist, la reine des Amazones qui a inspiré en 1927 le chef-d’œuvre scénique du compositeur suisse Othmar Schoeck (1886-1957), la reprise d’un autre de ses opéras, Perelà, uomo di fumo (2003) à Mayence, la création d’une pièce pour violon, In vivo, à Witten le 24 avril, de Disputatio pour chœur et orchestre à cordes à Berlin le 6 juin sur un dialogue entre un proche de Charlemagne, le poète savant et théologien anglais Alcuin (732-804) et son élève qui sera ensuite présenté à Paris et à Munich, et la reprise de plusieurs de ses œuvres en Allemagne, Corée, Finlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni…

Pascal Dusapin (né en 1955). Photo : DR

Avec ce concerto de près de trente-cinq minutes qui, en près de deux ans, a déjà été donné jusqu’aux Etats-Unis après une gestation de plus de trois ans entrecoupée par la réalisation d’autres projets, Pascal Dusapin semble vouloir se tourner sans ambigüité vers l’expressivité et l’évocation tant l’œuvre gomme toute tentation de quête sonore et d’inattendu pour se focaliser sur l’émotion et l’introspection. Certes l’on est parfois surpris par un trait de flûte au timbre rauque, un violon qui se fait soudain plus volubile, renonçant à sa pureté angélique pour devenir soudain plus humain tandis que l’orchestre entre dans un immobilisme morose. Mais l’essence de l’œuvre tend quasi continuellement à l’inertie, avec ces nombreuses et longues périodes de quasi immobilité, comme marquée par le minimalisme nord-américain. Comme le suggère le titre du concerto, Aufgang (Elévation), Dusapin considère ici le violon comme une entité séraphique qui porte de temps à autre l’orchestre jusqu’à ses propres hauteurs, tandis que le soliste est à son tour entraîné dans les profondeurs de son partenaire dont l’assise des cordes est un tapis de douze altos, onze violoncelles et dix contrebasses - bois et cuivres par deux, deux percussionnistes mais pas de timbales. Le début de l’œuvre est une synthèse de la structure de la partition entière. Le violon flotte dans les hautes sphères, violoncelles et contrebasses frémissant au-dessous comme contraints, tandis que la harpe, hésitante et le geste gracile, occupe l’espace médian. Ainsi, avec ses trois mouvements séparés alternant vif-lent-vif, l’œuvre laisse percer un canevas en trois étapes, le violon « séraphique » tirant tout d’abord vers un humus mélancolique entouré d’abysses représentées par un orchestre suscitant un bras de fer titanesque entre les deux entités, avant que le soliste finisse par se libérer de cette attraction sépulcrale prégnante dans le finale pour flotter de nouveau en dernier ressort dans une apesanteur sidérale.

Photo : (c) Philippe Grison

Aufgang s’ouvre dans l’extrême aigu du violon solo, bientôt soutenu par un voile de violoncelles et de harpe. L’instrument soliste reste dans son registre le plus élevé et suave, tandis que l’orchestre s’anime finalement plus ou moins, tous les instruments étant traités de façon classique, les cordes jouées avec le seul archet. Commencé par une séduisante fusion du timbre du violon solo et des quatre cors dont le son semble émaner d’une même source avant que les violons tuttistes et soliste se rejoignent pour former un effet d’écho avec en arrière-fond de steel-drums, le mouvement central s’avère particulièrement chantant, les cordes graves, des altos jusqu’aux contrebasses - absentes dans le premier mouvement, ces dernières s’imposent dans le deuxième, à l’instar des violoncelles, omniprésents - usant parfois du pizzicato alors que le violon solo, qui s’exprime davantage qu’auparavant dans le bas du spectre, use pour la seule fois du jeu doubles cordes dans la cadence. Survient au centre du morceau une phase plus énergique qui se conclut sur un grand cri, vite apaisé, le climat revenant rapidement à l’introspection, le violon solo jouant sur la corde de sol, tandis que la flûte s’impose sur un tapis de violoncelles avant d’être rejointe par la clarinette basse et le contrebasson, tous enluminés par l’aigu d’un crotale joué à l’archet. Le finale commence sur un quatuor violon, trompette, deux trombones, bientôt enrichi du tutti à l’exception des violoncelles et des contrebasses. Tandis que le soliste mouline, ces derniers produisent leurs premiers pizzicati, avant que l’œuvre se termine sur un fortissimo de l’orchestre entier, avec grosse caisse, cymbales et tam-tam.

Renaud Capuçon. Photo : DR

Peu aguerri en matière de création contemporaine, Renaud Capuçon, à qui Dusapin doit d’avoir achevé son concerto, est apparu dans son élément. Particulièrement concentré, oubliant pour une fois le public qui le pousse trop souvent à se tenir sur le plateau comme s’il était en démonstration pour focaliser son regard sur la partition et la direction de Myung-Whun Chung, le violoniste a donné le meilleur de lui-même pour servir au mieux cette partition qui ne lui donne guère de répit, malgré une écriture peu piégeuse à l'écoute et sans hardiesse d’écriture, et tendant au contraire au lyrisme classico-romantique qui éloigne toujours davantage Dusapin de la quête d’inouï qui faisait sa force dans les années 1980-2000. Néanmoins, quoique l’on pense de l’œuvre, Capuçon a réussi la gageure de tirer de son violon (le Guarneri del Gesù qui appartint à Isaac Stern) des sonorités d’une richesse harmonique étonnante considérant le fait que Dusapin a limité l’instrument soliste de son concerto dans le registre aigu, c’est-à-dire là où le son est le moins opulent. Placé au septième rang d’orchestre, j’ai pu apprécier différemment du 15 janvier l’acoustique de la Philharmonie de Paris, d’où les cordes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, singulièrement les basses (particulièrement fournies il est vrai), me sont apparues plus chaudes, naturelles et enveloppantes que depuis le troisième rang du premier balcon où j’étais assis le second soir de l’inauguration de la salle, tandis que les divers pupitres se sont montrés brillants.


Bruno Serrou

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