dimanche 25 janvier 2015

"Il re pastore" de Mozart de science-fiction et jeu vidéo au Théâtre du Châtelet

Paris, Théâtre du Châtelet, jeudi 22 janvier 2015


Immédiatement après le départ en 2006 de Jean-Pierre Brossman de la direction du Théâtre du Châtelet, la programmation du premier théâtre parisien a effectué un virage à trois cent soixante degrés. Centrée à l'époque sur une production lyrique ambitieuse et des séries de concerts de rang international, la politique artistique du Châtelet s’attache depuis huit ans principalement à présenter des comédies musicales emblématiques des Etats-Unis d'Amérique. Des opéras néanmoins restent encore à l’affiche, bon an mal an. Des ouvrages rares pour la plupart, ou en création, mais montés telles des comédies musicales, de Broadway à Bollywood, ou retravaillés pour les plus connus, comme le Couronnement de Poppée de Monteverdi revu façon pop-rock sous le titre Pop’pea. Après les Fées de Wagner, Padmavâtî de Roussel, Orlando paladino de Haydn, ou les Paladins de Rameau, c’est au tour de Il re pastore (Le roi berger) de Mozart.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Soraya Mafi (Aminta) et Raquel Camarinha (Elisa). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Commande du prince-archevêque Colloredo pour la visite de l’archiduc Ferdinand Franz dans son fief de Salzbourg où il est créé en avril 1775, moins de trois mois après la Finta giardiniera (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_28.html), composé en six semaines, cet opera seria qui porte le numéro de catalogue Köchel 208 appartient à la première maturité de Mozart. Peu présent sur les scènes lyriques en raison sans doute d’une dramaturgie sommaire, mais riche d’une orchestration fluide (violon, hautbois et basson doublant les voix dans les arie, entre autres), d’un souffle mélodique continuellement renouvelé, d’airs pétulants forts exigeants pour les chanteurs, cet ouvrage porte en germes les chefs-d’œuvre qui naîtront une décennie plus tard de la collaboration du compositeur autrichien avec l’abbé Lorenzo da Ponte. Il préfigure surtout l’opéra suivant de Mozart, Idomeneo, re di Creta, créé six ans plus tard à Munich, et jusqu’à la Clemenza di Tito, son ultime opéra. 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Rainer Trost (Alessandro). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

En effet, composée sur un livret italien de Métastase inspiré en 1751 de l’Aminta du Tasse déjà utilisé en 1765 par le Turinois Felice Giardini (1716-1796) que Mozart avait entendu à Londres tandis qu’il y séjournait avec son père, réduit à deux actes au lieu de trois à l’origine, cette œuvre est centrée sur le conflit au temps d’Alexandre le Grand entre l’amour pour une bergère (Elisa) et le devoir d’un jeune héritier (Aminta) d’un trône conquis par le tyran de Sidon qu’Alexandre vient de renverser. Choisissant l’amour, Aminta finit grâce à son abnégation par gagner les deux par la volonté d’Alexandre. Parmi les particularités de la partition, un seul rôle est confié à un homme, celui d’Agenore, ami d’Alexandre, et encore s’agit-il d’un ténor. Le héros grec revient à une soprano - mais le Châtelet a préféré faire appel à un ténor aigu -, ainsi que le rôle-titre, le berger Aminta.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Krystian Adam (Agenore), Rainer Trost (Alessandro), Soraya Mafi (Aminta). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Associant esprit manga japonais, Guerre des étoiles de George Lucas et jeux vidéo, la production du Théâtre du Châtelet a tous les atouts pour séduire petits et grands fans de science-fiction plus ou moins déjantée. Co-signée Olivier Fredj, pour la direction d’acteur, et Nicolas Buffe, pour l’atmosphère (le graphisme de la scénographie) et le cadre (dessins animés, accessoires de science-fiction, costumes psychédéliques), se revendiquant baroque là où Mozart est classique, la mise en scène prend le parti d’aborder ce livret rudimentaire avec humour et extravagance, ce qui permet aux auteurs d’en présenter la pérennité. Mais à trop charger le trait, les duettistes écrasent l’essentiel de l’œuvre, la musique de Mozart. En effet, l’œil et les référents du spectateur sont tellement sollicités, que l’oreille perd considérablement en acuité.  

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Raquel Camarinha (Elisa) et Soraya Mafi (Aminta). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Cela dès l’ouverture, qui transporte dans un univers de dessin animé stratosphérique, un ciel constellé étant traversé par le vaisseau spatial du conquérant Alexandre qui, projeté sur un écran géant incurvé, se dirige vers la planète Sidon. Sur ce même écran sont projetés les noms et qualités de chaque personnage au fur et à mesure des entrées en scène, des lieux variés situant l’action, des véhicules électriques parcourent le plateau (trottinettes, automobiles), tandis que, au milieu d’astronautes et de créatures interstellaires dont les acrobaties perturbent l’écoute des arie, les deux personnages bucoliques, le roi pasteur et sa bergère, sont tournés en dérision, le premier étant vêtu en garagiste, métier qu’il exerce au premier acte qui se déroule dans une station-service, la seconde accoutrée d’oreilles de lapin, d’une robe rouge et de collants à poids...

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Raquel Camarinha (Elisa). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Mais le talon d’Achille de ce spectacle l’aspect musical. Du coup, l’on se dit que tout compte fait le côté visuel détourne opportunément l’attention de l’oreille. La distribution vocale, où les timbres des trois sopranos sont difficilement identifiables tant ils sont proches, est en effet loin d’être satisfaisante, avec un Alexandre de Rainer Trost certes solide mais dont la voix s’avère trop limitée dans les vocalises, un Tamiri (Marie-Sophie Pollak) peu concerné, un roi pasteur (Soraya Mafi) effacé qui finit heureusement par se réveiller enfin dans le célèbre rondo avec violon obligé du second acte (n° 10 de la partition) « L’amerò sarò constante ». En revanche, l’Agenore de Krystian Adam séduit par la perfection de sa ligne de chant et la plénitude de son timbre de ténor, et Raquel Camarinha est une Elisa généreuse, tant du point de vue vocal que théâtral. Dans la fosse, l’Ensemble Matheus est d’une belle homogénéité, avec un premier violon et des instruments à vent sûrs, mais la direction de Jean-Christophe Spinosi, continuellement dans l’énergie, ménage aucune respiration et ne suscite guère de variétés de climats. Mais le pire, ce sont, en lieu et place du continuo, les sons stratosphériques type jeux vidéo qui réduisent Mozart au rang de faire-valoir de quelque DJ touche-à-tout en mal d’inspiration et de notoriété. 

Bruno Serrou

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