Paris, Théâtre du Châtelet, jeudi 22 janvier 2015
Immédiatement après le départ en
2006 de Jean-Pierre Brossman de la direction du Théâtre du Châtelet, la
programmation du premier théâtre parisien a effectué un virage à trois cent
soixante degrés. Centrée à l'époque sur une production lyrique ambitieuse et des séries de
concerts de rang international, la politique artistique du Châtelet s’attache
depuis huit ans principalement à présenter des comédies musicales emblématiques
des Etats-Unis d'Amérique. Des opéras néanmoins restent encore à l’affiche, bon an mal an.
Des ouvrages rares pour la plupart, ou en création, mais montés telles des
comédies musicales, de Broadway à Bollywood, ou retravaillés pour les plus
connus, comme le Couronnement de Poppée
de Monteverdi revu façon pop-rock sous le titre Pop’pea. Après les Fées
de Wagner, Padmavâtî de Roussel, Orlando paladino de Haydn, ou les Paladins de Rameau, c’est au tour de
Il re pastore (Le roi berger) de Mozart.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Soraya Mafi (Aminta) et Raquel Camarinha (Elisa). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet
Commande du prince-archevêque
Colloredo pour la visite de l’archiduc Ferdinand Franz dans son fief de
Salzbourg où il est créé en avril 1775, moins de trois mois après la Finta giardiniera (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_28.html),
composé en six semaines, cet opera seria qui porte le numéro de catalogue
Köchel 208 appartient à la première maturité de Mozart. Peu présent sur les
scènes lyriques en raison sans doute d’une dramaturgie sommaire, mais riche d’une
orchestration fluide (violon, hautbois et basson doublant les voix dans les arie, entre autres), d’un souffle
mélodique continuellement renouvelé, d’airs pétulants forts exigeants pour les
chanteurs, cet ouvrage porte en germes les chefs-d’œuvre qui naîtront une
décennie plus tard de la collaboration du compositeur autrichien avec l’abbé
Lorenzo da Ponte. Il préfigure surtout l’opéra suivant de Mozart, Idomeneo, re di Creta, créé six ans plus
tard à Munich, et jusqu’à la Clemenza di
Tito, son ultime opéra.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Rainer Trost (Alessandro). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet
En effet, composée sur un livret italien de
Métastase inspiré en 1751 de l’Aminta
du Tasse déjà utilisé en 1765 par le Turinois Felice Giardini (1716-1796) que
Mozart avait entendu à Londres tandis qu’il y séjournait avec son père, réduit
à deux actes au lieu de trois à l’origine, cette œuvre est centrée sur le
conflit au temps d’Alexandre le Grand entre l’amour pour une bergère (Elisa) et
le devoir d’un jeune héritier (Aminta) d’un trône conquis par le tyran de Sidon
qu’Alexandre vient de renverser. Choisissant l’amour, Aminta finit grâce à son
abnégation par gagner les deux par la volonté d’Alexandre. Parmi les particularités
de la partition, un seul rôle est confié à un homme, celui d’Agenore, ami d’Alexandre,
et encore s’agit-il d’un ténor. Le héros grec revient à une soprano - mais le
Châtelet a préféré faire appel à un ténor aigu -, ainsi que le rôle-titre, le
berger Aminta.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Krystian Adam (Agenore), Rainer Trost (Alessandro), Soraya Mafi (Aminta). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet
Associant esprit manga japonais, Guerre des étoiles de George Lucas et
jeux vidéo, la production du Théâtre du Châtelet a tous les atouts pour séduire
petits et grands fans de science-fiction plus ou moins déjantée. Co-signée
Olivier Fredj, pour la direction d’acteur, et Nicolas Buffe, pour l’atmosphère (le
graphisme de la scénographie) et le cadre (dessins animés, accessoires de
science-fiction, costumes psychédéliques), se revendiquant baroque là où Mozart
est classique, la mise en scène prend le parti d’aborder ce livret rudimentaire
avec humour et extravagance, ce qui permet aux auteurs d’en présenter la pérennité.
Mais à trop charger le trait, les duettistes écrasent l’essentiel de l’œuvre,
la musique de Mozart. En effet, l’œil et les référents du spectateur sont
tellement sollicités, que l’oreille perd considérablement en acuité.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Raquel Camarinha (Elisa) et Soraya Mafi (Aminta). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet
Cela dès l’ouverture, qui transporte dans un
univers de dessin animé stratosphérique, un ciel constellé étant traversé par
le vaisseau spatial du conquérant Alexandre qui, projeté sur un écran géant
incurvé, se dirige vers la planète Sidon. Sur ce même écran sont projetés les
noms et qualités de chaque personnage au fur et à mesure des entrées en scène, des
lieux variés situant l’action, des véhicules électriques parcourent le plateau (trottinettes,
automobiles), tandis que, au milieu d’astronautes et de créatures interstellaires
dont les acrobaties perturbent l’écoute des arie,
les deux personnages bucoliques, le roi pasteur et sa bergère, sont tournés en
dérision, le premier étant vêtu en garagiste, métier qu’il exerce au premier
acte qui se déroule dans une station-service, la seconde accoutrée d’oreilles
de lapin, d’une robe rouge et de collants à poids...
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Raquel Camarinha (Elisa). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet
Mais le talon d’Achille de ce
spectacle l’aspect musical. Du coup, l’on se dit que tout compte fait le côté
visuel détourne opportunément l’attention de l’oreille. La distribution vocale,
où les timbres des trois sopranos sont difficilement identifiables tant ils
sont proches, est en effet loin d’être satisfaisante, avec un Alexandre de
Rainer Trost certes solide mais dont la voix s’avère trop limitée dans les
vocalises, un Tamiri (Marie-Sophie Pollak) peu concerné, un roi pasteur (Soraya
Mafi) effacé qui finit heureusement par se réveiller enfin dans le célèbre
rondo avec violon obligé du second acte (n° 10 de la partition) « L’amerò sarò constante ».
En revanche, l’Agenore de Krystian Adam séduit par la perfection de sa ligne de
chant et la plénitude de son timbre de ténor, et Raquel Camarinha est une Elisa
généreuse, tant du point de vue vocal que théâtral. Dans la fosse, l’Ensemble
Matheus est d’une belle homogénéité, avec un premier violon et des instruments
à vent sûrs, mais la direction de Jean-Christophe Spinosi, continuellement dans
l’énergie, ménage aucune respiration et ne suscite guère de variétés de
climats. Mais le pire, ce sont, en lieu et place du continuo, les sons
stratosphériques type jeux vidéo qui réduisent Mozart au rang de faire-valoir
de quelque DJ touche-à-tout en mal d’inspiration et de notoriété.
Bruno Serrou
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