Le Chesnay (Yvelines), La Grande Scène du Chesnay, vendredi
12 décembre 2014
John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. China Moses (Sally Bowles), Samuel Theis (Clifford Bradshaw). Photo : (c) Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier
Mise en scène avec sagacité
par Olivier Desbordes pour Opéra Eclaté et les Folies lyriques de Montpelier, la comédie musicale Cabaret renvoie le tragique reflet de la société contemporaine en
plongeant au début des dramatiques années trente, au cœur de la capitale de la
République de Weimar, Berlin.
John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. Eric Perez (le Maître de cérémonie). Photo : (c) Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier
Tiré de la nouvelle de
Christopher Isherwood (1904-1986) Goodbye
to Berlin qui se fonde sur sa propre expérience, Cabaret imbrique intimement légèreté et gravité. Ecrit en 1939, ce
texte se fonde en effet sur l’expérience de son auteur à Berlin, où, rejetant
l’élite conservatrice britannique qui ne comprenait pas son homosexualité, il s’était
réfugié en 1929. En pleine crise économique, il comptait y passer quelques
semaines avec Wystan Auden. Or, il allait y séjourner jusqu’en 1933, ne pouvant
y rester davantage sous la pression des nazis. Goodbye to Berlin allait être adapté en 1951 pour le théâtre par
John Van Druten sous le titre I am a
camera, puis sera retravaillé pour Broadway en 1966 sous forme de comédie
musicale par John Kander (né 1927) pour la musique et Fred Ebb (1933-2004) pour
les paroles. Cabaret sera finalement
popularisé par le cinéma dans la réalisation de Bob Fosse tournée en 1972 avec
Liza Minnelli dans le rôle de Sally Bowles, chanteuse américaine vedette du Kit
Kat Klub dont s’éprend le héros, l’écrivain anglais Clifford Bradshaw qui n’est
autre qu’Isherwood, mais qui refusera de suivre son amant malgré les menaces
qui pèsent sur elle.
John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. Patrick Zimmermann (Herr Schultz), Nicole Croisille (Frau Schneider). Photo : (c) Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier
Cette comédie musicale
au tour dramatique est régulièrement programmée en France. L’on se souvient
notamment des lectures qu’en a faites Jérôme Savary, la première étant créée au
Théâtre du 8e à Lyon en 1986, avant d’être retravaillée en 1987 pour
le Théâtre Mogador à Paris puis en 1995, tandis que les Folies Bergères
présentaient en 2007 la production de Sam Mendes. Mais, contrairement à ses
prédécesseurs, qui avaient adaptés l’œuvre en français, et comme il en a
désormais l’habitude, Olivier Desbordes a choisi de donner les numéros chantés
en américain, langue originale du musical, et les intermèdes parlés en
français. L’on retrouve ici l’esprit de Bertolt Brecht, Kurt Weill et Hanns
Eisler qui imprègne de façon tangible le texte d’Ebb et la musique Kander, cette
dernière étant jouée ici avec virtuosité par six instrumentistes réunis pour l’occasion
et perchés sur un praticable en fonds de scène et côté jardin. Après Savary,
qui avait confié le personnage de Sally à Dee Dee Bridgewater, Desbordes s’est
tourné à son tour vers la famille Bridgewater, faisant cette fois appel à sa
fille, l’incandescente China Moses. Le maître de cérémonie est tenu par un flamboyant
Eric Perez, Clifford par l’acteur Samuel Theis remarqué à Cannes dans le film Party Girl. Créé par Lotte Lenya, veuve
de Kurt Weill et créatrice de l’Opéra de
Quat’Sous, le rôle de la logeuse Frau Schneider est campé par une
saisissante Nicole Croisille, qui réalise ici une incroyable performance
d’actrice-chanteuse. Attachante et authentique, elle fait de son personnage le
centre d’une action polymorphe qui touche autant pour la violence de la
situation historique au cœur d’une capitale allemande, Berlin, témoin de
l’effondrement de la République de Weimar et de la montée du nazisme, et par la
prégnante actualité qui émane de ce sujet. Face à elle, le bouleversant Herr
Schultz de Patrick Zimmermann, qu’elle s’apprête à épouser mais qu’elle décide
d’éconduire lorsque, sous la pression de sa clientèle nazie, elle se rend compte
des risques qu’elle court en se mariant à un commerçant juif.
John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. Photo : (c) Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier
Au Chesnay, non loin de
Paris où j’ai vu cette production en décembre, tout ce petit monde était animé
avec sensibilité et réalisme par Desbordes, dont la mise en scène plonge autant
dans le cabaret que dans l’histoire la plus noire dans un décor unique aux
multiples facettes de Patrice Gouron et les costumes réalistes de Jean-Michel
Angays fort bien éclairés par Guillaume Hébrard. La chorégraphie de Glyslein Lefever
est bien réglée, bien présente mais sans excès ni allusions insistantes. Dirigé
avec allant par Manuel Peskine, l’ensemble instrumental élève la partition de
Kander au rang de celles de Kurt Weill, marquée à la fois par le jazz, le
cabaret et la musique savante « dégénérée » abhorrée par les nazis.
Bruno Serrou
Tournée en France
jusqu’au 5 mai 2015 : Perpignan (Théâtre de l’Archipel, 10-11 janvier 2015),
Albi (Scène nationale, 14 janvier), Mérignac (le Pin galant, 16-17 janvier),
Issy-les-Moulineaux (Palais des Congrès, 31 janvier), Massy-Palaiseau (Opéra,
11-12 avril), Biarritz (Ancienne Gare, 23 avril), Cahors (Théâtre, 5 mai)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire