samedi 20 septembre 2014

Un "Barbier de Séville" frénétique venu de Genève ouvre la saison de l’Opéra de Paris

Paris, Opéra national de Paris, Opéra Bastille, vendredi 19 septembre 2014


Pour sa première production nouvelle intra-muros de la saison 2014-2015, l’Opéra de Paris a porté son dévolu sur un spectacle conçu pour le Grand Théâtre de Genève, où il a déjà fait un début de saison, en 2010, avant d’être repris à l’Opéra de Saint-Etienne en janvier 2013. Sans doute lassée de la réalisation plus ou moins usée de Coline Serreau du Barbier de Séville de Gioacchino Rossini inspirée des Mille et une Nuits en 2002 puis reprise en 2003, 2004, 2008, 2009, 2010 et 2012, la direction de l’Opéra de Paris a choisi de prendre un peu d’air frais, en optant non pas pour une nouvelle conception de l’opéra le plus célèbre de Rossini mais pour une « adaptation » et un « développement » d’un spectacle préexistant.

Gioacchino Rossini (1792-1868), le Barbier de Séville. Photo : DR

Adapté aux dimensions du vaste plateau de Bastille, ce Barbier de Séville se déroule bel et bien dans un cadre d’une métropole méditerranéenne, qui pourrait tout aussi bien être Naples que la cité andalouse, dans un quartier populaire contemporain. Il est mené à un rythme infernal par une troupe électrisée par le souffle théâtral de la mise en scène. Le cadre de l’action conçu par Paolo Fantin, à l’instar de quantité de productions qui usent et abusent de plus en plus de ce stratagème qui évite la conception de trop nombreux décors, est un immeuble de quatre étages aux balcons chargés d’antennes paraboliques et au rez-de-chaussée occupé par une loge de concierge donnant sur une rue animée de voiture, vélos, motos, flanqué côté jardin d’un estaminet à l’enseigne « Barracuda », et, côté cour, d’un autre bâtiment de standing aux balcons fleuris. L’édifice central, entièrement occupé par le docteur Bartolo qui y cloître sa pupille Rosine avec l’assistance de sa femme de chambre, Berta, et d’Ambrogio, son serviteur devenu ici son concierge. Ce vaste appartement aux multiples pièces surchargées de meubles sont pour Damiano Michieletto autant de cadres pour déployer une action dynamique et pleine de rebondissements animée par une direction d’acteur au cordeau qui a un peu trop tendance à se développer dans des escaliers pour le moins envahissants. Ce tourbillon continuel engendre un sentiment de théâtre de boulevard soulignant le caractère bouffe de l’opéra de Rossini aux dépends du message plus profond de la comédie éponyme de Beaumarchais adaptée par Cesare Sterbini pour Rossini. La multitude de petites saynètes confiées ça et là à de nombreux figurants aux costumes bigarrés et d’un goût plus ou moins douteux dans les coloris et les tissus se développant parallèlement à l’action principale sature et détourne l’attention du spectateur au risque d'en oublier peu ou prou la musique et le chant. Les courses incessantes des protagonistes les uns après les autres engendreraient la lassitude s’il ne se trouvait des instants plus réfléchis voire d'introspection, comme la plainte éperdue de Rosine.

Gioacchino Rossini (1792-1868), le Barbier de Séville. Photo : DR

A la différence de Genève et de Saint-Etienne, ce n’est pas Alberto Zedda, le spécialiste incontesté de Rossini dont il a élaboré le matériel critique de l’œuvre entier qui fait désormais autorité, commençant en 1969 par le Barbier de Séville, qui est dans la fosse de l’Opéra de Paris, mais son compatriote Carlo Montanaro, actuel directeur musical du Teatr Wielki de Varsovie. Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, il attesté d’une probante affinité avec l’œuvre de Rossini. Après une ouverture onirique et à la rythmique aérée contrastant avec une gestique encombrante en regard de la souplesse et de l’allant sans excès qui en résulte du côté de l’orchestre à la plastique séduisante, le chef italien a déployé un nuancier large et varié, attentif aux voix et exaltant le chant, rivalisant ainsi judicieusement avec la mise en scène saturée pour donner à la partition un foisonnement égal à la part théâtrale.

Gioacchino Rossini (1792-1868), le Barbier de Séville. Photo : DR

La première des deux distributions qui se succéderont - la seconde se substituera à la première à partir du 14 octobre - est dominée par la Rosine de Karine Deshayes, qui a déjà tenu le rôle à Bastille lors des trois dernières reprises de la production de Coline Serreau, en 2009, 2010 et 2012. Accoutrée d’une perruque rousse et enserrée dans une robe trop étroite, elle campe une Rosine déterminée mais touchante. L’émotion émane de son chant d’une belle musicalité, mais la fluidité de ses pianissimi est parfois contrariée par une puissance qui peut s’avérer excessive quand il s’agit de déployer sa voix. Le ténor texan René Barbera est un Almaviva ardent et bien chantant, la voix est ferme et liquide. Familier du rôle, le baryton slovaque Dalibor Jenis est un Figaro sûr et audacieux. Carlo Lepore est un Bartolo mesuré, la basse italienne excellant autant dans la comédie que dans la vocalité. Les seconds rôles, qui n’ont de secondaire que leur part de chant pas de présence et de jeu, sont sans faiblesse, avec la basse bulgare Orlin Anastassov qui Basilio qui n’en fait pas des tonnes pour imposer son Basilio, le baryton portugais Tiago Matos en Fiorello et la mezzo-soprano roumaine Cornelia Oncioiu en Berta.

Bruno Serrou

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