Voilà
tout juste un an, le 26 août 2013, Claudio Abbado, qui s’est éteint le 20
janvier 2014 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/01/claudio-abbado-le-plus-grand-chef.html),
dirigeait son ultime concert public au Festival de Lucerne dont il était l’hôte
privilégié depuis qu’il avait refondé en 2003 l’Orchestre du Festival de Lucerne
fondé en 1938 par son compatriote Arturo Toscanini. Dans le grand Konzerthaus
de Lucerne archi-comble, DG avait été bien inspiré en plantant ses micros. Car
le document qui en résulte a la portée d’un témoignage de haute spiritualité
émanant d’un artiste hors du commun qui se savait condamné à plus ou moins brève
échéance, le long et sublime Adagio en
mi majeur sur lequel se termine l’œuvre publiée ici mais qui n’était pas censé conclure
la création de Bruckner, qui laissa son ultime symphonie inachevée, la camarde
trop pressée n’ayant pas donné le temps au compositeur autrichien d’aller jusqu’au
terme de son projet…
Claudio Abbado (1933-2014) applaudi par le public du Festival de Lucerne. Photo : DR
Ce
dernier programme concocté par Claudio Abbado pour le Festival de Lucerne 2013 donné
entre les 21 et 26 août comprenait deux symphonies inachevées d’autant de
maîtres autrichiens situés aux pôles de l’ère romantique, la Huitième (1822) de Franz Schubert (1797-1828)
et cette Neuvième (1887-1896) d’Anton
Bruckner (1824-1896). Ce disque présente la synthèse des prises réalisées par
DG au cours de cette série de concerts, du 21 au 26 août 2013, et rend incroyablement
compte du climat si particulier dans lequel elle s’est déroulée, marquant sans
doute à jamais ceux qui ont eu l’honneur d’y assister et qui ont très
longuement applaudi le chef à la fin de chaque exécution de ce programme. Cette
Symphonie n° 9 en ré mineur A. 124 d’Anton
Bruckner n’a rien à voir en effet avec l’atmosphère des autres concerts d’Abbado
à Lucerne, à l’exception de celui de sa Symphonie
n° 9 en ré majeur de Gustav Mahler (CD DG), et moins encore avec ses précédents
enregistrements Bruckner à Vienne. Là où il s’était montré impétueux, voire un
rien emphatique à la tête du Philharmonique de Vienne en 1996 (CD DG), le chef
italien s’avère cette fois infiniment plus engagé et beaucoup plus souple, le discours
se faisant infiniment élastique, ce qui offre à l’œuvre entière tout l’espace
qui lui est nécessaire grâce à des tempos exceptionnellement lents qui
sollicitent de façon inouïe la virtuosité des musiciens de l’Orchestre du
Festival de Lucerne, Abbado célébrant avec une profondeur hallucinante les célestes
beautés des thèmes et de l’écriture cuivrée et brûlante (bois et cordes somptueux)
de Bruckner, les textures se faisant plus lumineuses et fluides que jamais tout
en gardant une transparence surnaturelle, chaque pupitre sonnant dans toute
leur magnificence. Ce qui transcende l’univers sonore propre aux symphonies de
Bruckner réputé lourd voire opaque, tandis que le message paradisiaque de cette
symphonie, que son auteur a dédiée « au
bon Dieu » avec un immense Adagio,
qui, selon l’autographe de la partition, est un « Adieu à la vie », suspend le temps et l’espace, qui
tendent vers l’infini, formant un saisissant contraste avec le Scherzo qui le précède aux élans à la
fois ironiques et macabres qui donnent à l’ultime vision d’Abbado un tour terriblement
désespéré. Un disque pour l’Eternité.
Bruno Serrou
1 CD DG 479 3441 (Universal Classics)
Comme une symphonie, merci pour le partage!
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