Paris, Salle Pleyel,
mercredi 17 septembre 2014
Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris. Photo : DR
C’est sur une partition, Métaboles, du compositeur français qui l’a
le plus accompagné depuis sa création en 1967, Henri Dutilleux, que l’Orchestre
de Paris a ouvert son deuxième concert de la saison 2014-2015, qui a été précédée
par l’annonce par Paavo Järvi, son directeur musical en personne, de son départ
en juin 2016 vers les cieux japonais. Charles Munch, le fondateur de la
phalange parisienne et qui fut un proche de Dutilleux, dirigea non seulement la
création de sa Symphonie n° 2 « Le
Double » alors qu’il était le patron de l’Orchestre Symphonique de
Boston, mais inscrivit aussi ses Métaboles
dès la première saison de l’Orchestre de Paris, qui donnera deux ans plus tard
la première mondiale du concerto pour violoncelle Tout un monde lointain sous la direction de Serge Baudo, qui avait
été l’assistant de Munch, fruit d’une commande de Mstislav Rostropovitch. Composées en 1964, les cinq pièces aux titres évocateurs
(Incantatoire, Linéaire, Obsessionnel, Torpide, Flamboyant) qui s’imbriquent les unes dans les autres pour
constituer Métaboles, œuvre pour
grand orchestre avec bois et cuivres par quatre et dix contrebasses, sont le
fruit d’une commande de George Szell pour le cinquantième anniversaire de
l’Orchestre de Cleveland, qui en a donné la première exécution mondiale le 14
janvier 1965. La partition est conçue à la façon d’un concerto pour orchestre,
chacune des parties, dont la formule initiale subit une succession de
métamorphoses, privilégiant une famille spécifique d’instruments, bois, cordes,
percussion, cuivres, avant d’être toutes réunies dans le finale. Le chef
estonien et son orchestre français en ont donné une interprétation
souple et aérée mais manquant parfois d’allant, Järvi préférant laisser sonner
les pupitres solistes, il est vrai tous plus délectables les uns que les autres,
tandis que les textures des tutti se
sont avérées particulièrement fluides.
Xavier Phillips. Photo : DR
L’œuvre concertante
qui a suivi est très fréquentée par les apprentis violoncellistes mais peu
jouée au concert. Il est vrai qu’elle a clairement davantage une essence
scholastique que créatrice et musicale, même sous l’archet du plus musicien des
violoncellistes français, Xavier Phillips. Bien que plus significatif que son
concerto pour violon, le Concerto pour
violoncelle et orchestre en ré mineur qu’Edouard Lalo composa en 1876.
Surtout connu à l’opéra pour son Roi d’Ys
et au concert pour sa Symphonie espagnole,
la création du compositeur lillois connaît depuis une dizaine d’années un
frémissement de résurrection. Le concerto pour violoncelle, qui a déjà figuré
par deux fois au programme de l’Orchestre de Paris (1978 avec Paul Tortelier,
2011 avec Marc Coppey) compte trois mouvements dans lesquels le soliste ne
cesse que fort rarement de jouer. Chacun alterne des épisodes vif-lent-vif, le mouvement
initial étant précédé d’un séduisant prélude marqué Lento dont la rythmique gouverne la partition entière tel un
leitmotiv. L’amour du compositeur nordique pour l’Espagne imprègne
naturellement l’œuvre dans sa globalité dont le caractère populaire est ponctué
dans l’Intermezzo central de passages
d’une profonde mélancolie où l’instrument soliste peut s’épancher dans une
véritable rêverie. Xavier Phillips, toujours très concentré mais au jeu d’une
générosité prodigue, a transcendé les vingt-cinq minutes de ce concerto de ses
sonorités de braise, par l’ampleur de ses respirations, sa gestique concentrée
mais large au service d’un chant d’une générosité communicative, l’Orchestre de
Paris lui érigeant un tapis à l’étoffe onctueuse. En bis, le violoncelliste
français a donné le troisième mouvement de la Suite n° 1 pour violoncelle de Benjamin Britten « pour rester
dans l’esprit espagnol de Lalo », climat suscité par des pizzicati joués comme sur une immense
guitare.
Beaucoup
plus fréquentée que le concerto de Lalo, appartenant au répertoire
symphonique le plus populaire, la Symphonie
n° 5 en mi mineur op. 64 (1888)
de Tchaïkovski qui a occupé toute la seconde partie de la soirée a figuré au
programme du concert que l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi ont donné au
Festival d’Aix-en-Provence le 5 juillet dernier en hommage à Patrice Chéreau. Le
« destin » « sans espoir » que le compositeur dépeint dans
cette partition est sombre et douloureux, mais aussi empreint d’une lumière plus
ou moins consolatrice qui perce de l’obscurité la plus noire. Paavo Järvi en a
donné une interprétation tendue comme un arc malgré les pauses entre les
mouvements qui ont amoindri les aspérités autobiographiques de l’homme
Tchaïkovski pour mieux en souligner la science de l’orchestration et le sens
des couleurs propres au compositeur russe. Les musiciens de l’Orchestre de
Paris ont ainsi pu briller sans relâche, rivalisant de sonorités et de virtuosité,
l’atmosphère ombrée étant plantée dès le début par le chant onctueux des deux
clarinettes. La direction exaltée et exaltante de Järvi a soulagé l’œuvre de
son pathos excessif, mais l’on eut apprécié davantage d’allant et de
grincements dans la Valse, tandis que
le chant du mouvement lent est apparu merveilleusement humain, alors que le
finale a atteint une suprême unité. A souligner les splendides solos de
clarinettes, de cor, basson, de somptueux traits d’altos et de violoncelles, précis
dans le rythme souvent complexe à réaliser.
Bruno Serrou
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