Antoine Duhamel (1925-2014). Photo : DR
Célébré
pour ses musiques de films, Antoine Duhamel est connu des cinéphiles autant que
du grand public pour ses chansons et des mélomanes pour ses nombreuses
partitions dans lesquelles il aura abordé tous les genres, de la musique de chambre
à l’opéra. Il est mort mercredi 10 septembre 2014 dans sa maison familiale de
Valmondois dans le Val-d’Oise où il est né le 30 juillet 1925.
Initié
très jeune à l’art des sons, ayant baigné dès sa naissance dans un
environnement musical, Antoine Duhamel était la musique-même. Il était le cadet
d’une fratrie de trois garçons nés de la comédienne Blanche Albane (1886-1975)
et du grand écrivain-poète catholique Georges Duhamel (1884-1966), auteur entre
autres de Vie des martyrs et de Civilisation où il témoigne des horreurs
de la Première Guerre mondiale, Confession
de minuit (1920), Chroniques des
Pasquier (1933-1945), interdit de publication pendant l’Occupation, connu
des mélomanes comme auteur de Dialogues
des Carmélites dont Francis
Poulenc allait s’inspirer pour son grand opéra éponyme. Formé à la musique à 32
ans, apprenant la flûte et le solfège alors qu’il est chirurgien sur le front,
Georges Duhamel organisait chez lui avec ses amis et sa femme, qui « avait
une jolie voix », des concerts qu’il dirigeait, principalement des œuvres de
Jean-Sébastien Bach et de Richard Wagner, à qui il voue un véritable culte, et
allait même signer des critiques musicales dans les colonnes du Figaro à partir de 1939 et écrire
pendant la Seconde Guerre mondiale l’essai La
Musique consolatrice où il exprime sa passion pour la musique, qui joue un
rôle central dans sa vie. « Chez certains hommes la passion
de la musique et de la poésie est une défense contre la vie, écrira François
Mauriac dans Le Figaro du 22 décembre
1935. Nés sans carapaces, ils marchent dans un nuage d’harmonie, comme des
poissons troublent l’eau pour n’être pas découverts. Ainsi Bach et Mozart
protègent Duhamel. [...] Humain, ce Duhamel, trop humain, il n’aurait pu
supporter la douleur des corps qui souffrent, sans une défense
appropriée : la mémoire musicale. »
Georges
Duhamel allait donner à ses enfants, dès leur plus jeune âge, une solide
formation musicale, qui conditionnera la carrière de compositeur d’Antoine
Duhamel. « Je me souviens quand mon
frère Jean déchiffrait avec moi des œuvres de Bach ou de Buxtehude à l’orgue,
dira-t-il, d’avoir accompagné ma mère dans des mélodies de Schumann et de
Moussorgski, d’avoir joué des opéras. J’ai voulu convaincre mes parents que
Verdi valait beaucoup mieux qu’ils ne croyaient. L’influence de mon père est
importante quant à la façon dont il concevait la musique telle qu’il l’a
notamment exprimée dans La Musique
consolatrice. » (1) Ce qui n’a pas empêché la rupture du fils avec le
père, lorsqu’il choisit de s’orienter vers la musique dodécaphonique sitôt la
fin du second conflit mondial.
Dès
l’adolescence, alors qu’il étudie le piano, Antoine Duhamel est fasciné par le cinéma autant
que par la musique. Au lendemain de la Libération, il assiste au premier
concert d’Olivier Messiaen dont son père s’était occupé alors qu’il était
prisonnier tout comme il l’a fait pour André Jolivet. Avec Pierre Boulez, Serge
Nigg et Yvonne Loriod, il fréquente la classe d’harmonie de Messiaen, étudie la
Musicologie à la Sorbonne et suit les cours de René Leibowitz, qui le formera
au dodécaphonisme et lui fera découvrir le jazz. Ami de Pierre Henry, il s’attache
également à la peinture dans la mouvance surréaliste. Tout en adhérant à l’avant-garde
musicale, il commence à composer pour le cinéma. L’occasion se présente en
1947, lorsqu’il se voit confier la musique d’un film d’Alain Resnais sur le
peintre Hans Hartung. « C’était pour moi une sorte d’évasion, reconnaîtra-t-il.
Cela me faisait sortir des sentiers les plus académiques du langage
dodécaphonique. » (1) Malheureusement, au montage, il s’avèrera que la
production n’avait pas assez d’argent pour financer la sonorisation du
documentaire, et la musique sera créée à Darmstadt sous la direction de Jean
Prodromidès. Au Club d’Essai il écrit un opéra radiophonique de deux heures,
alors que les compositeurs de sa génération considèrent le théâtre lyrique
comme un genre obsolète. Dans les années 1950, il compose des mélodies en dédiant
certaines à Gustav Mahler, alors inconnu en France, l’oratorio La maison des morts qui n’a jamais été
joué au grand désespoir de son auteur, un concerto pour alto, un autre pour
violon pour sa deuxième femme, Michèle Auclair, un troisième pour piano pour
Yves Nat qui resteront longtemps dans ses cartons. Parallèlement, il travaille
pour le disque, réalisant des arrangements pour René Leibowitz, qu’il assista
lors de son enregistrement des Gurrelieder
de Schönberg, ce qui lui permet d’être engagé par André Charlin comme ingénieur
du son et de prendre la direction artistique des Discophiles français. Ainsi
travailla-t-il avec Yves Nat, Lily Kraus, Marcelle Meyer, Marie-Claire Alain.
Il dédie à cette époque à Willy Boskovsky et Lily Kraus la première de ses
deux sonates pour violon et piano, une autre pour Yves Nat qui n’a jamais été
jouée. Une œuvre à laquelle Duhamel tenait particulièrement, l’Ivrogne ou le Scieur de long d’après une
lettre de Charles Baudelaire.
A
partir des années 1960, tout en continuant à enrichir son catalogue de musique
de chambre, symphonique et lyrique, il se tourne vers le cinéma, qui lui donne
une notoriété comparable auprès des réalisateurs à celles de Bernard Herrmann, Nino
Rota, Ennio Morricone ou John Williams. « Pour moi, dira-t-il, les
musiques de film c’est tout le temps un peu des portraits du réalisateur. »
(1) Après l’essai avorté avec Alain Resnais à la fin des années 1940, il
devient le compositeur de la Nouvelle Vague. En 1962, il signe la bande son du
court métrage Ballade en Camargue de
Philippe Condroyer, qu’il retrouvera deux ans plus tard pour Tintin et les Oranges bleues. En 1963 c’est Méditerranée de Jean-Daniel Pollet, sa
première partition d’importance pour le cinéma, et la série de télévision le Chevalier de Maison-Rouge de Claude
Barma qu’il retrouve en 1965 pour Belphégor
ou le Fantôme du Louvre, après le
Voleur de Tibidabo de Maurice
Ronet et le Grain de sable de Pierre
Kast… En 1965, c’est la rencontre avec Jean-Luc Godard pour Pierrot le fou, suivent Made in USA et Week-end. « Godard était le cinéaste de mes rêves,
avouera-t-il plus tard. J’étais fasciné par son audace. Moi qui venais de l’avant-garde
musicale que j’avais plus ou moins rejetée parce qu’elle me semblait aride et
pour des spécialistes, je voyais cet homme qui était lui aussi de l’avant-garde
comme un modèle parce qu’il pouvait affronter le grand public tout en l’intéressant.
Mais ce rêve est arrivé un peu trop tôt pour moi. » (1) Puis ce fut un
premier François Truffaut, Baisers volés en
1968, suivi de la Sirène du Mississipi,
Domicile conjugal et l’Enfant sauvage. « Je m’en suis
toujours voulu d’avoir l’air de dire du mal de ma collaboration avec Truffaut,
avouera-t-il plus tard, parce qu’en vérité j’ai beaucoup d’admiration pour lui.
Mais il y a eu entre nous quelque chose qui n’a pas fonctionné. » (1) Après
Un Condé d’Yves Boisset, c’est la première collaboration avec Bertrand
Tavernier dans Que la fête commence
(1974), pour lequel il orchestre l’opéra inédit Penthée de Philippe d’Orléans, personnage central du film, avant la Mort en direct (1979), Daddy nostalgie (1990) et Laissez-passer (2002). Il travaille
également pour Yannick Bellon (l’Affût,
1991), Patrice Leconte (Ridicule,
1995), Fernando Trueba (notamment dans la
Fille de tes rêves, 1998, et l’Envoûtement
de Shanghai, 2004), Marcel Bluwal (Le
plus beau pays du monde, 1998)…
Il laisse au total plus d’une soixantaine de musiques de film, aux côtés d’une
cinquantaine d’œuvres symphoniques et concertantes, d’une vingtaine de pièces
vocales solistes, pour chœur et de chambre, une douzaine d’opéras, dont Lundi, monsieur vous serez riche (1969)
et Ubu à l’opéra (1974), et six
cantates et oratorios parmi lesquels le
Concile féerique, Requiem de Jean Cocteau, Leçons de
ténèbres du Mercredi saint et un Libera
me. En 1999, le Festival d’Ambronay lui avait commandé le motet Dixit Farouche.
Parallèlement
à sa florissante activité de compositeur, Antoine Duhamel avait fondé en 1980 l’Ecole
nationale de musique de Villeurbanne dans laquelle il entendait faire sauter
les cloisonnements. Ouverte au jazz, aux musiques traditionnelles, à la chanson
et à la musique baroque, elle sera vite considérée comme une alternative au
Conservatoire de Lyon.
Bruno Serrou
1) Les
citations de propos d’Antoine Duhamel sont extraites des entretiens de plus de
sept heures réalisés par Noël Simsolo dans le cadre de la série Musique Mémoires, production de l’INA et
de la SACEM en collaboration avec le ministère de la Culture et de la
Communication direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et du Spectacle
vivant, http://entretiens.ina.fr/video/Musique/Duhamel
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