Paris, Athénée Théâtre Louis Jouvet,
samedi 20 avril 2013
Marius Felix Lange, Blanche-Neige. Marie Cubaynes (la Reine-Sorcière). Photo : DR
A 45 ans, Marius Felix Lange est peu connu en France.
Violoniste et pianiste de formation, élève entre autres de Saschko Gawriloff à
Berlin, sa ville natale, membre de l’orchestre du festival du Schleswig-Holstein,
ses centres d’intérêt visent éclectisme, puisqu’il s’attache autant au jazz qu’à
la musique populaire, à la musique de film, au design sonore et à la
composition. Il excelle également dans un genre
réputé difficile, les opéras pour enfants. Après Le bateau opéra et quelques mois
avant la création à Zurich du Fantôme de Canterville, sa Blanche-Neige, créée
en allemand en 2011 à l’Opéra de Cologne, a fait, en
décembre 2012, l'objet d'une nouvelle production en français par
l'Opéra-Studio de l'Opéra du Rhin, que reprend en ce moment le Théâtre de
l'Athénée, à Paris. La belle aux cheveux d’ébène des frères
Grimm n’a rien de neuf à révéler. Walt Disney ayant sans doute à jamais gravé dans le marbre ses aventures, il n’en reste pas moins intéressant d’assister
à ses terribles épreuves sur une scène de théâtre, avec une musique autre que
la mièvre bande son du célèbre film d’animation que nous avons tous à l’esprit.
Marius Felix Lange, Blanche-Neige. Sahara Sloan (Blanche-Neige), Kristina Bitenc (une Souris). Photo : DR
La
musique de Lange, qui ne cède jamais à la facilité, est remarquablement
agencée, vive et intelligente, exigeante sans être complexe. Exploitant tous
les modes d’expression vocale, du parlé au chanté, elle convainc petits et
grands, suscitant la surprise tout en parsemant des repères solides pour
conforter l’écoute. La partition répond ainsi bel et bien aux vœux du
compositeur qui entendait séduire autant les mélomanes familiers de Bach et de
Stravinski et les enfants d’autres cultures, « aux fils d’intellectuels
berlinois et aux enfants d’émigrés turcs ». Ainsi Lang
utilise-t-il une mesure à sept temps pour les sept nains, des accords en triton
- le fameux Diabolus in musica - pour la sorcière et des sonorités blafardes pour le rôle-titre.
Marius Felix Lange, Blanche-Neige. Sahara Sloan (Blanche-Neige) et les Nains. Photo : DR
Toujours
belle, toujours jeune, toujours un naïve, Blanche-Neige suscite toujours la jalousie de la jalouse marâtre
qui acquiert ici une dimension telle qu’elle en devient le personnage central
de l’opéra. Et le miroir, ce « miroir chéri »
à qui elle demande continuellement « quelle est la plus belle de
tout le pays ? » et qui rage de voir une âme si noire sous un si bel aspect est le deus ex machina de l’action. Tous les participants du conte sont également convoqués,
le chasseur au grand cœur, les sept
nains protecteurs, baptisés pour l’occasion Api, Quartz, Pic, Oups, Ourson,
Chouquette et Rubi, ainsi que la nature. Bien évidemment, Blanche-Neige croque la pomme, et tombe
comme morte, au point d’être enfermée dans un cercueil de verre, où elle est
bien sûr réveillée par le prince charmant qui survient sur un destrier blanc à
bascule, et le spectacle se termine sur un beau mariage.
Marius Felix Lang (né en 1968)
Les
décors de Florian Angerer sont inventifs et féeriques, jouant sur une armée de
miroirs qui enferment la Reine dans son narcissisme, tandis la maison des nains
est lilliputienne, tandis que le septuor est accoutré de chapeau melon et pipe
au bec. Quant au miroir magique, il se venge de ses décennies de soumission par
une rébellion bien légitime. Au sein de ce jeu de miroirs grossissant et
rapetissant, Waut Koeken signe une mise en scène onirique emprunte d’humour et
de gravité, mue par une direction d’acteur qui confine au théâtre dans laquelle
la jeune troupe de l’Opéra Studio de l’Opéra national de Strasbourg se fond
avec bonheur. Il convient avant tout de saluer remarquable
Reine-sorcière de Marie Cubaynes, aussi extraordinaire comédienne que
chanteuse. Elle domine en aisance et en présence la Blanche-Neige un peu pâle de
Sahara Sloan, que l’opéra a déjà trop tendance à éteindre et qui, en plus,
est plombée par une voix trop frêle et sans chair. Huub Claessens est un impressionnant
miroir-narrateur qui souffre et se joue de son terrible bourreau en se faisant
à son tour bourreau de son propre bourreau… Le reste de la troupe (nains,
chasseur, marchand ambulant, prince, courtisans, animaux de la forêt, certains
tenus par un même chanteur, au nombre de huit) excelle dans cette œuvre emplie
de poésie.
Brillamment dirigé par Vincent Monteil, directeur musical de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, l'Orchestre Lamoureux
en effectif réduit, renforce l’enchantement.
Bruno Serrou
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