Ernest Martinez Izquierdo, Barbara Hannigan, Kaija Saariaho et Avanti!. Photo : (c) BS
Kaija Saariaho est assurément l’un des compositeurs
vivants les plus significatifs. S’il était encore nécessaire de le démontrer,
le fait-même que la Cité de la Musique lui ait consacré un Domaine privé, série
réservée aux musiciens les plus célèbres, l’atteste. Originaire de Finlande, nation
septentrionale qui, ce dernier demi-siècle, a produit plus de musiciens de
talent qu’aucun autre pays, résidant en France depuis 1982, elle est parmi ses
pairs l’un des plus joués au monde. Au point que les commandes ne cessent d’affluer,
tandis que festivals, orchestres, ensembles et théâtres lyriques lui consacrent
tout ou partie de leurs programmations. « J’ai le sentiment de n’avoir
rien fait d’autre pour me faire connaître que de composer, dit-elle modestement.
Plus je suis jouée, plus on entend ma musique, plus on veut me programmer. Ainsi
puis-je me concentrer sur ma seule création. » Remarquée pour ses grandes partitions
d’orchestre et son opéra l’Amour de loin créé à Salzbourg en 2000 en coproduction
avec le Théâtre du Châtelet et qui connut un succès immédiat, elle a donné à
l’Opéra de Paris Adriana Mater en
2006 et, à l’Opéra de Lyon, Emilie,
en 2010. Autant de portraits de femmes, auxquels il faut ajouter l’oratorio la Passion de Simone, sur des
livrets en français d’Armin Maalouf qui sont autant de facettes de la
compositrice.
Kaija Saariaho (née en 1952). Photo : DR
Cinq concerts en une semaine ont permis de parcourir les
diverses facettes de la création de Kaija Saariaho, qui a établi elle-même la
programmation et choisi les artistes invités. Les fils conducteurs de chaque rendez-vous
de la semaine ont été Jean Sibelius et la Finlande mis en regard avec la
musique de la compositrice. Ainsi, l’ultime concert de ce Domaine privé était
assuré par l’orchestre de chambre Avanti! Fondé en 1983 sur l’initiative d’Esa-Pekka
Salonen, Jukka-Pekka Saraste et Olli Pohjola pour défendre la création
contemporaine finlandaise formée à l’aune de l’Académie Sibelius d’Helsinki,
cet ensemble est d’un très haut niveau artistique. Il reste étonnamment méconnu
en France où il n’est guère invité, à la différence de ses semblables allemands,
autrichiens et anglais auxquels il n’a pourtant absolument rien à envier. Il n’aura
guère attiré les foules, hier, malgré la présence de l’une des cantatrices les
plus remarquables aujourd’hui, Barbara Hannigan…
Barbara Hannigan. Photo : DR
La
première partie du concert était constituée de cinq œuvres données en continu
comme autant de volets d’une symphonie introduite et conclue par une mélodie de
Sibelius et une troisième comme épicentre. Chantée avec émotion par Barbara
Hannigan délicatement accompagnée au piano par Jouko Laivuori, membre fondateur
d’Avanti!, Flickan kom ifran sin
älsklings möte op. 37/5 (La jeune
fille revient du rendez-vous de son
bien-aimé) de Sibelius préludait à une fort belle pièce de Paavo Heininen
(né en 1938), qui fut le professeur de composition de Saariaho à Helsinki, Musique d’été op. 11 pour flûte,
clarinette, percussion, clavecin, violon et violoncelle en trois denses mouvements
développés célébrant la nature abondante et épanouie de la belle saison, avec
bruissement de feuillages, souffle du vent, chaleur alanguie, chant d’animaux,
plus particulièrement d’oiseaux, le tout mettant en évidence le brio des
pupitres d’Avanti! Après une deuxième
ponctuation sibélienne, Säv, säv, susa op. 36/4 (Soupirez, roseaux, soupirez) qui prolongeait
la partition de Heininen, une autre page finlandaise, composée en 2005 par Lotta
Wennäkoski (née en 1970), Kuule II (Entends II) pour clarinette basse solo
et ensemble (flûte, hautbois, clarinette, basson, cor et quintette de cordes),
expressive et emplie de sève, virtuose et colorée, qui avance et se densifie
tout au long de son développement. La partie soliste, remarquablement tenue par
Heikli Nikula, musicien d’Avanti!, est riche et bigarrée en technique, timbre
et tournure, et l’on se plait à espérer entendre d’autres œuvres de cette
créatrice de quarante-trois ans. Barbara Hannigan et Jouko Laivuori concluaient
sur les oiseaux migrateurs chantés par Sibelius dans sa mélodie Norden op. 90 (Nord) de
Sibelius.
Orchestre de Chambre Avanti!, Ernest Martinez Izquierdo, Barbara Hannigan et Kaija Saariaho dans le désordre des saluts de fin de concert. Photo : (c) BS
La
seconde partie du programme était entièrement dédiée à Kaija Saariaho et à une
seule de ses œuvres, la suite qu’elle a tirée de son monodrame Emilie créé en 2010 à l’Opéra national
de Lyon. Inspiré des mémoires de Madame du Châtelet, traductrice de
Newton, compagne de Voltaire, physicienne, écrit
pour la soprano finlandaise Karita Mattila, cet ouvrage se fonde sur la
dernière lettre d’Émilie, enrichie de textes de Maalouf, reflets de ce
qu’auraient pu être les réflexions de l’héroïne sur sa vie en ses derniers
instants. L’écriture de cette lettre ultime est ponctuée par l’évocation de
souvenirs personnels et de pensées scientifiques. Dans la suite qu’en a réalisé
la compositrice à la demande du Carnegie Hall, qui en a donné la création le 30
novembre 2011, de la Cité de la Musique et des Orchestres Symphonique de Lucerne
et Philharmonique de Strasbourg, les neuf scènes sont concentrées, la section
des cordes réduite, l’électronique « live » supprimée, et la présence
du clavecin, qui tenait déjà dans l’opéra une place centrale, apparaît plus
prégnante encore. Barbara Hannigan donne de
cette grande page vocale de près d’une demi-heure une interprétation
intensément dramatique et humaine. Si l’on sent parfois chez elle une
articulation contrainte du français, la soprano canadienne veille à se faire
compréhensible, et elle y réussit, surtout dans les passages les plus chantants,
ce qui ne manque pas dans l’écriture de Saariaho, qui, contrairement à trop de
ses confrères français paralysés par le mélisme de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, offre à ses interprètes de
grandes plages cantando. Hannigan entre dans l'univers de Saariaho avec élan et générosité, s'investissant pleinement dans le personnage d'Emilie, criant, susurrant, vivant intensément les affres tout en exaltant la force de cette femme d'exception.
Le chef
catalan Ernest Martinez Izquierdo a la gestique d’une clarté et d’une précision
singulière, ses mains semblant pétrir la pâte sonore. Il porte en outre un
soin particulier à souligner la moindre inflexion de la partition, indiquant la
métrique avec l’exactitude du métronome mais sans pour autant négliger l’expression.
L’Orchestre de chambre Avanti! est d'une rare homogénéité de timbre et de
virtuosité. A son écoute, l’on ne peut que s’étonner qu’il soit si peu présent
en France dans les festivals et séries de musique contemporaine, tant il est
impressionnant, chaque partition acquérant avec lui la dimension d’un classique.
Un concert si peu rempli que le balcon était fermé, même de face. Dommage, car
il est rare que la qualité soit à un tel degré d’exigence.
Bruno
Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire