Wolfgang Rihm est parmi les compositeurs allemands vivants l’un
des plus célébrés dans le monde, aux côtés de Helmut Lachenmann. Créateur prolifique,
ne se consacrant qu’à la composition et à la pédagogie, joué dans le monde
entier, Rihm est à 61 ans à la tête d’une production impressionnante qui compte
quelques trois cents œuvres. Au sein de cet abondant catalogue, tous les genres
sont abordés, de la musique de chambre à l’opéra, en passant par la symphonie
et l’oratorio.
Depuis l’enfance, la musique
chorale fascine Wolfgang Rihm. « Jeune, chantant dans des chœurs, je
voulais écrire une messe pour eux, mais c’était trop compliqué pour mon âge »,
me disait-il voilà quelques années. Catholique de confession, élève de deux
grands mystiques, Karlheinz Stockhausen et, surtout, Klaus Huber, il ne s’est
pas intéressé aux questions de spiritualité du début des années 1970 à la fin
des années 1990, pour y revenir au contact d’amis et de se plonger dans les
textes liturgiques en vue d’œuvres d’inspiration sacrée.
Le disque que propose Harmonia
Mundi réunit trois recueils de pièces chorales, dont deux consacrées à la
passion du Christ. Elles témoignent toutes d’un sens très fin et personnel de
la fusion d’influences d’époques et de styles divers, qui inscrivent Rihm dans
la grande tradition chorale allemande. Les plus anciennes de ces pièces, les
cinq motets pour chœur mixte a capella Fragmenta
passionis, émanent d’un compositeur
de seize printemps ouvert et original, qui expérimente une notation novatrice
et laisse la bride sur le cou à ses interprètes. L’expression de la foule et de
sa violente colère contre le Christ inspirent au jeune Rihm des pages d’une
puissance extrême. Composé en 2001 pour petit chœur, violoncelle et deux
timbales, Astralis,
qui donne son titre au disque, est une méditation lente sur l’idée
exprimée dans le poème éponyme
de Novalis (1772-1801). Le poète,
dont un certain nombre de vers ont partiellement inspiré à Richard Wagner son Tristan und Isolde, prévoyait
« un futur étrange, merveilleux, chatoyant »,
bien que sa vision soit tragique,
comme l’atteste cette phrase merveilleuse : « le corps dissout en
larmes ». Considérant cette anticipation
d’un sombre avenir, Rihm a
conçu une musique hymnique à laquelle le
violoncelle ajoute sa voix, tour à tour chantant et sanglotant. Les deux timbales restent
dans l’ombre, leur son à peine
perceptible, mystérieux, à la façon des grondements d’un
orage lointain. Sieben Passions-Texte (Sept
textes sur la Passion) pour six voix a capella date de 2001-2006. A presque
quarante ans de distance, ces superbes méditations attestent d’une pérenne
proximité du compositeur avec les maîtres du passé, par la couleur, les
structures formelles, l’écriture, la façon dont les voix concertent et se
répondent et qui n’est pas sans rapports avec Palestrina.
Cette musique délicate et éthérée,
d’une expressivité intense quoique pudique et introvertie, est d’une beauté
confondante. Sous la direction par Hans-Christoph Rademann, le RIAS Kammerchor,
remarquablement soutenu dans Astralis
par deux musiciens de l’Ensemble MusikFabrik de Vienne - Rie Miyama
(percussion), Dirk Wietheger (violoncelle) - offre de ces œuvres une interprétation
remarquable de fluidité, d’engagement et d’humilité, confinant ces pages au
rang de purs joyaux, dans la continuité de la tradition multiséculaire du chant
liturgique. Un disque à garder précieusement et à écouter et réécouter à
satiété, tant il en émane de plénitude et de rayonnement.
Bruno Serrou
1CD Harmonia Mundi HMC 902129
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire