vendredi 19 avril 2013

L’Instant Donné brille dans des œuvres d’Arturo Fuentes et de Ramon Lazkano



Bagnolet, Théâtre de L’Echangeur, jeudi 18 avril 2013

Théâtre de L'Echangeur, fin du concert de l'Instant Donné. A droite, les compositeurs Arturo Fuentes et Ramón Lazkano. Photo : (c) Jean-Charles Beaumont
 
Le 4 juin 2012, le collectif L’Instant Donné, dont l’une des particularités est de jouer sans chef, célébrait ses dix ans d’existence avec un excellent concert monographique consacré à Frédéric Pattard (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/voue-la-musique-des-xxe-et-xxie-siecles.html). Basé à Montreuil, cet ensemble se produit principalement dans l’Est parisien et sa périphérie, dans des salles plus ou moins improbables. Le concert d’hier était organisé sous l’un des principaux échangeurs autoroutiers des portes de Paris, un complexe réseau de croisements de dix-neuf ponts et viaducs en béton reliant le périphérique à l’autoroute A3, dans un endroit fantasmagorique, vu le cadre et naturellement dénommé L’Echangeur…

Gratin autoroutier

Le spectacle commençait largement avant le concert, au bar du théâtre. Il était en effet amusant de retrouver le gratin de « la contemporaine », compositeurs, interprètes et organisateurs confondus, se bousculant pour ce concert. Un petit monde que l’on a plus l’habitude de croiser dans des lieux beaucoup plus huppés plutôt que dans une zone déshumanisée à l’ambiance post-catastrophe nucléaire sous une chape de bruit étonnamment étouffé et de pollution amplifiée par les embarras de la circulation parisienne. Beaucoup de jeunes aussi, venus des conservatoires parisiens mais aussi du cru, et des curieux de tous âges à l’écoute particulièrement aiguisée.

A l’affiche, deux compositeurs d’origines hispaniques mais vivant à Paris, le Mexicain Arturo Fuentes (né en 1975) et le Basque Ramón Lazkano (né en 1968). Aucun lien entre la création de chacun, le premier se caractérisant par des sons raréfiés et un discours tassé, le second mû par une inspiration chatoyante et lyrique propulsée par un authentique plaisir du son. Ainsi, outre le fait de réunir deux compositeurs, la soirée a-t-elle été nettement divisée en deux volets présentant des paysages forts distincts.

Arturo Fuentes (né en 1975). Photo : © Julien Bourgeoi, DR

Paysages comprimés

Les paysages d’Arturo Fuentes, qui donnait en création mondiale Contour coulant pour flûte, clarinette, percussion, violon, alto et violoncelle - l’œuvre la plus captivante des trois proposées -, et deux première françaises (Dunkelkammermusik et Festina lente) sont uniformément dans le souffle et l’atomisation des reliefs. Cet univers est très limité sur le plan de l’allégorie et de la palette sonore. D’évidence, Fuentes ne se plaît pas à développer son matériau ni ses timbres. Etroitesse du spectre, amoindrissement de la matière annihilent résonance et plaisir du son. Les instruments à vent, hier essentiellement clarinette (basse) et flûte (basse), sont quasi exclusivement travaillés en bruits blancs, à fort peu d'exceptions près. A force de distanciation, de musique qui ne veut pas en avoir l’air, de sonorités laiteuses, les œuvres se font étroites, comme démembrées. Seule la dernière est douée de vie véritable et de variété.

Ramón Lazkano (né en 1968). Photo : DR


 Paysages épanouis

Tout change avec Ramón Lazkano, qui ne craint pas de faire chanter ses instruments, surprenant au détour de chaque phrase, jouant avec un plaisir évident des timbres et des rythmes qui évoluent et se renouvellent inlassablement. La première pièce, Wintersonnenwende-1 (Solstice d’hiver-1, 2005) pour trio à cordes et célesta, ce dernier lumineux et juvénile, est si ludique et scintillant que l’on regrette qu’il soit si court. La dernière page, Egan-2 pour flûte, clarinette, percussion, piano, violon et violoncelle (2006-2007), avec un piano étincelant et au jeu varié, sur le clavier et dans les cordes, est dense et mouvante. Seule réserve ici, une flûte et une clarinette qui, après avoir chanté un moment, se retrouvent réduites à émettre une fois encore une série de bruits blancs, dont l’usage est il est vrai mieux contextualisé que chez Arturo Fuentes.

Les sept musiciens de L’Instant Donné - Cédric Jullion (flûte), Matthieu Steffanus (clarinette), Caroline Cren (piano et célesta), Maxime Echardour (percussion), Saori Furukawa (violon), Elsa Balas (alto) et Nicolas Carpentier (violoncelle) - ont confirmé leur excellence et leur homogénéité exceptionnelle qui conforte le bien fondé de leur politique artistique de jouer sans chef, attaques, rythmes et tutti étant parfaitement en place. Parmi des musiciens de haut rang, se sont singularisées la pianiste et la violoniste, au doigté et à l'archet aérien dans leur duo Wintersonnenwende-4 (2009) de Ramón Lazkano, surtout après la scordatura

Bruno Serrou

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