mardi 23 avril 2013

La Blanche-Neige de Lange en création parisienne : une Reine impressionnante et son ingénieux miroir ont raison d’une blafarde Blanche-Neige


Paris, Athénée Théâtre Louis Jouvet, samedi 20 avril 2013

Marius Felix Lange, Blanche-Neige. Marie Cubaynes (la Reine-Sorcière). Photo : DR

A 45 ans, Marius Felix Lange est peu connu en France. Violoniste et pianiste de formation, élève entre autres de Saschko Gawriloff à Berlin, sa ville natale, membre de l’orchestre du festival du Schleswig-Holstein, ses centres d’intérêt visent éclectisme, puisqu’il s’attache autant au jazz qu’à la musique populaire, à la musique de film, au design sonore et à la composition. Il excelle également dans un genre réputé difficile, les opéras pour enfants. Après Le bateau opéra et quelques mois avant la création à Zurich du Fantôme de Canterville, sa Blanche-Neige, créée en allemand en 2011 à l’Opéra de Cologne, a fait, en décembre 2012, l'objet d'une nouvelle production en français par l'Opéra-Studio de l'Opéra du Rhin, que reprend en ce moment le Théâtre de l'Athénée, à Paris. La belle aux cheveux d’ébène des frères Grimm n’a rien de neuf à révéler. Walt Disney ayant sans doute à jamais gravé dans le marbre ses aventures, il n’en reste pas moins intéressant d’assister à ses terribles épreuves sur une scène de théâtre, avec une musique autre que la mièvre bande son du célèbre film d’animation que nous avons tous à l’esprit.

Marius Felix Lange, Blanche-Neige. Sahara Sloan (Blanche-Neige), Kristina Bitenc (une Souris). Photo : DR

La musique de Lange, qui ne cède jamais à la facilité, est remarquablement agencée, vive et intelligente, exigeante sans être complexe. Exploitant tous les modes d’expression vocale, du parlé au chanté, elle convainc petits et grands, suscitant la surprise tout en parsemant des repères solides pour conforter l’écoute. La partition répond ainsi bel et bien aux vœux du compositeur qui entendait séduire autant les mélomanes familiers de Bach et de Stravinski et les enfants d’autres cultures, « aux fils d’intellectuels berlinois et aux enfants d’émigrés turcs ». Ainsi Lang utilise-t-il une mesure à sept temps pour les sept nains, des accords en triton - le fameux Diabolus in musica - pour la sorcière et des sonorités blafardes pour le rôle-titre.

Marius Felix Lange, Blanche-Neige. Sahara Sloan (Blanche-Neige) et les Nains. Photo : DR

Toujours belle, toujours jeune, toujours un naïve, Blanche-Neige suscite toujours la jalousie de la jalouse marâtre qui acquiert ici une dimension telle qu’elle en devient le personnage central de l’opéra. Et le miroir, ce « miroir chéri » à qui elle demande continuellement « quelle est la plus belle de tout le pays ? » et qui rage de voir une âme si noire sous un si bel aspect est le deus ex machina de l’action. Tous les participants du conte sont également convoqués, le chasseur au grand cœur, les  sept nains protecteurs, baptisés pour l’occasion Api, Quartz, Pic, Oups, Ourson, Chouquette et Rubi, ainsi que la nature. Bien évidemment, Blanche-Neige croque la pomme, et tombe comme morte, au point d’être enfermée dans un cercueil de verre, où elle est bien sûr réveillée par le prince charmant qui survient sur un destrier blanc à bascule, et le spectacle se termine sur un beau mariage.

Marius Felix Lang (né en 1968)

Les décors de Florian Angerer sont inventifs et féeriques, jouant sur une armée de miroirs qui enferment la Reine dans son narcissisme, tandis la maison des nains est lilliputienne, tandis que le septuor est accoutré de chapeau melon et pipe au bec. Quant au miroir magique, il se venge de ses décennies de soumission par une rébellion bien légitime. Au sein de ce jeu de miroirs grossissant et rapetissant, Waut Koeken signe une mise en scène onirique emprunte d’humour et de gravité, mue par une direction d’acteur qui confine au théâtre dans laquelle la jeune troupe de l’Opéra Studio de l’Opéra national de Strasbourg se fond avec bonheur. Il convient avant tout de saluer remarquable Reine-sorcière de Marie Cubaynes, aussi extraordinaire comédienne que chanteuse. Elle domine en aisance et en présence la Blanche-Neige un peu pâle de Sahara Sloan, que l’opéra a déjà trop tendance à éteindre et qui, en plus, est plombée par une voix trop frêle et sans chair. Huub Claessens est un impressionnant miroir-narrateur qui souffre et se joue de son terrible bourreau en se faisant à son tour bourreau de son propre bourreau… Le reste de la troupe (nains, chasseur, marchand ambulant, prince, courtisans, animaux de la forêt, certains tenus par un même chanteur, au nombre de huit) excelle dans cette œuvre emplie de poésie.

Brillamment dirigé par Vincent Monteil, directeur musical de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, l'Orchestre Lamoureux en effectif réduit, renforce l’enchantement.

Bruno Serrou

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