Paris, Opéra de Paris-Bastille, lundi 4 février 2013
Wagner, Das Rheingold. Alberich et les Filles du Rhin. Photo : (c) Opéra national de Paris
2013, comme chacun sait, est l’année du bicentenaire Richard Wagner. Le seul compositeur à la renommée digne d’un dieu, avec ses rituels, ses prêtres, ses fondamentalistes et ses fidèles. On entre en Wagner comme on entre en religion. Au point que les autres anniversaires, de Verdi à Poulenc, en passant par Britten et Lutoslawski, passent aux yeux des wagnérolâtres comme des épiphénomènes. Tandis que tous les théâtres lyriques du monde y vont de leurs productions nouvelles de l’un ou plusieurs des dix ouvrages jugés dignes par les gardiens du temple d’accès au Festspielhaus de Bayreuth, l’Opéra de Paris se limite à la reprise de la première production du complète du Ring depuis les années 1950 déjà présentée à l’Opéra Bastille entre mars 2010 et juin 2011 à raison de deux ouvrages par saison. Cette saison, l’Opéra de Paris présente ce même cycle en deux vagues, la première (31 janvier-16 juin), puis, du 18 au 26 juin, un unique cycle complet en quatre soirées…
Wotan, Fricka et Freia. Photo : (c) Opéra national de Paris
Ce Ring a marqué le retour du grand cycle wagnérien à l’Opéra de Paris, absent pendant soixante ans, et son entrée à Bastille. Du moins devrait-il en être ainsi, car, rappelons-le, dans les années 1970, Rolf Liebermann avait confié à Georg Solti et Peter Stein un Ring qui n’a pu aller au-delà de Die Walküre… Das Rheingold, qui constitue le prologue du cycle et qui se déroule aux temps immémoriaux, est nettement séparé du premier volet, la Walkyrie, et constitue à lui seul une véritable bande dessinée « tétralogique » en quatre tableaux. Dès le prologue, une heureuse surprise s’est imposée hier à l’auditeur : Philippe Jordan s’avère d’entrée plus « visionnaire », plus tendu et dramatique qu’en 2010. Dès les premières mesures du prélude, avec cet accord qui émerge du néant - hélas perturbé par les fins de conversations de spectateurs inattentifs - pour se structurer jusqu’aux jeux insouciants des Filles du Rhin. La direction du chef suisse est plus serrée, les tempi plus contrastés, ménageant des plages d’une poésie chatoyante, des moments de rupture et de tension extrême, soulignant la variété de climats et d’humeurs qui font de l’orchestre de Wagner le personnage central de ses drames. Jordan semble avoir trouvé dans la fosse de Bastille les équilibres dont il n’avait peut-être pas pris la mesure voilà trois saisons. Au point que le spectacle dure une dizaine de minutes de moins. Sa direction toujours claire et fluide, s’avère beaucoup moins retenue et lisse qu’auparavant, ce qui augure d’un Ring musicalement autrement plus signifiant, même si, hier, les cors, peut-être plus sollicités qu’auparavant, se sont confrontés à quelques dérapages.
Günter Krämer connaît incontestablement
le Ring et s’y entend en dramaturgie.
Auteur d’une première approche des Nibelungen présentée à Hambourg, le metteur
en scène allemand n’ignore rien des rouages politiques de l’ouvrage qu’il
démonte avec ironie. En deux ans, il n’a guère apporté de modifications tangibles
à sa conception, à l’exception des bustes-poitrines-nues de la gente féminine
moins prégnants, ou des petits détails comme le mot "Germania" composé en huit grosses lettres moins expressément exposé. Son approche ironique a toute sa place dans ce prologue où les
dieux sont de roués imposteurs dont la suprématie universelle repose sur la
duplicité. Ces derniers règnent ici sur un faux globe terrestre accoutrés de
bustes postiches. Dans le monde frelaté que propose Krämer, les géants sont des
égoutiers portant casque et cagoule prêts à s’affranchir en brandissant le
drapeau rouge, allant jusqu’à envahir le parterre en lançant des tracts - « Tout
pouvoir t’est venu par eux : Ta puissance a été fixée selon leur règle »
en quatre langues - sur le public, qu’ils gênent quelques minutes en se plantant
carrément devant un certain nombre de spectateurs en balayant l’espace de leurs
drapeaux. Quant aux nains du Nibelheim, ce sont des mineurs apeurés qui,
accablés par leur patron Alberich, aident Wotan et Loge à capturer leur chef d’entreprise
tortionnaire.
Dans cet univers de clans corrompus, où les Filles du Rhin sont des cocottes à paillettes aux attributs grossièrement dessinés à l’épais pinceau noir jouant sur des balançoires, le demi-dieu Loge est un clown persifleur qui raille les déités décadentes dans son costume souillé pour avoir trop séjourné dans les ordures. Toute légitime qu’elle soit, cette démythification est pour le moins éculée. Si certaines images, comme l’entrée au Walhalla ou les effets de miroirs, sont fortes, l’esthétique relève du patchwork indolent, tiré avec de grosses ficèles, comme ce Walhalla rebaptisé « Germania », lourde allusion à la mythologie national-socialiste… Heureusement, le monumental escalier du finale conclut le prologue sur une image imposante.
La distribution, homogène, est de qualité.
L’Erda de Qiu Lin Zhang est toujours abyssale, Peter Sidhom un Alberich mordant
et d’une présence singulière, Sophie Koch est une Fricka généreuse et charnelle,
Kim Begley un Loge singulièrement amoral. Mais aussi Wolfgang
Ablinger-Sperrhacke (Mime), l’excellent Günther Groissböck (Fafner), tandis que
Lars Woldt n’a rien à envier à Iain Paterson en Fasolt. Maillon faible du Rheingold de 2010 avec Falk Struckmann, voix
instable et terne, le personnage central qu’est Wotan est plus chantant et sûr
avec le baryton-basse letton Egil Silins - qui alterne avec l’allemand Thomas
Johannes Mayer -, mais manque de carnation et apparaît un brin éteint, laissant
le jeu clairement mené par Loge et les Géants.
Wotan et Erda. Photo : (c) Opéra National de Paris
Dans cet univers de clans corrompus, où les Filles du Rhin sont des cocottes à paillettes aux attributs grossièrement dessinés à l’épais pinceau noir jouant sur des balançoires, le demi-dieu Loge est un clown persifleur qui raille les déités décadentes dans son costume souillé pour avoir trop séjourné dans les ordures. Toute légitime qu’elle soit, cette démythification est pour le moins éculée. Si certaines images, comme l’entrée au Walhalla ou les effets de miroirs, sont fortes, l’esthétique relève du patchwork indolent, tiré avec de grosses ficèles, comme ce Walhalla rebaptisé « Germania », lourde allusion à la mythologie national-socialiste… Heureusement, le monumental escalier du finale conclut le prologue sur une image imposante.
La montée au Walhalla. Photo : (c) Opéra National de Paris
Bruno Serrou
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