Le jour de ses 97 ans, le 22
janvier 2013, au vingt-deuxième étage de la tour centrale de la Maison de la
Radio à Paris, Henri Dutilleux s’est vu remettre un nouveau disque
monographique réunissant trois de ses œuvres avec orchestre, qui sont autant
d’accomplissements.
Henri Dutilleux est ici
interprété par trois éminents interprètes de la génération 1958-1971, les
Finlandais Esa-Pekka Salonen et Anssi Karttunen, et l’Allemande Barbara
Hannigan, associés à l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Deux des
œuvres ont déjà fait l’objet d’enregistrements, tandis que la troisième fait
son apparition au disque. Lui-même compositeur, Salonen considère Dutilleux
comme le plus grand compositeur vivant et le plus remarquable de ceux qu’il a
été appelé à rencontrer dans sa vie. Ayant entendu à la radio Salonen diriger à
Los Angeles ses Correspondances,
Dutilleux lui écrivit instantanément afin de demander au chef finlandais s’il
accepterait d’enregistrer cette même œuvre. « Ce que j’ai naturellement accepté
sur le champ, se souvient Salonen, car tout ce que Dutilleux a écrit ces
dernières années tient du chef-d’œuvre ». Très ému, toujours modeste, le
corps diminué mais l’esprit encore vif et le regard scintillant, Dutilleux a répondu à son jeune confrère : « C’est un grand
jour, une joie infinie que vous m’offrez avec ce disque. »
Henri Dutilleux entouré à sa droite d'Esa-Pekka Salonen et d'Eric Montalbetti, directeur artistique de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, et, à sa gauche, d'Anssi Karttunen, le 22 janvier 2013 à Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
Composé
en 2002-2003 pour l’Orchestre Philharmonique de Berlin, dédié à la soprano américaine
Dawn Upshaw et au chef britannique Simon Rattle, sur inspiré quatre
extraits de lettres empruntés aux correspondances de Charles Baudelaire, Rainer
Maria Rilke, Vincent Van Gogh et Alexandre Soljenitsyne ayant la foi pour thème
commun, qui inspirent à Dutilleux une sérénité transcendante grâce à une
orchestration d’une grande luminosité, Correspondances tient avec Salonen et Barbara
Hannigan, que l’on a entendu à Paris dans cette même œuvre dès 2004 avec l’Orchestre
National de France dirigé par Kurt Masur, des interprètes idéaux, tant ils
exaltent tout deux la partition et sa profonde humanité. La présence de
Dutilleux durant les enregistrements a conduit les interprètes à se surpasser,
ce que confirme Anssi Karttunen. Le violoncelliste finlandais a
rencontré Dutilleux à 18 ans, en 1979, après avoir découvert son concerto pour
violoncelle Tout un monde lointain
dans l’enregistrement réalisé peu après la création le 25 juillet 1970 au
Festival d’Aix-en-Provence par Mstislav Rostropovitch, son commanditaire, et
l’Orchestre de Paris dirigé par Serge Baudo. « Ce fut un électrochoc, se
souvient-il. La première fois que je l’ai vu, Dutilleux m’a parlé comme si
j’étais son égal, alors que je n’avais rien prouvé encore. Depuis, je joue
souvent son concerto que j’espérais enregistrer depuis de longues années. »
Le titre de ce concerto pour violoncelle et orchestre composé entre 1967 et
1970 est emprunté à un vers du poème La Chevelure extrait des Fleurs du Mal de Baudelaire, « Tout
un monde lointain, absent, presque défunt ». Chacun des cinq mouvements porte
en exergue quelques vers d’autant de poèmes de ce même recueil (le troisième, Houles, puisant également dans La Chevelure), que la partition n’illustre
pas directement. Karttunen, Salonen et le Philharmonique de Radio France en
exaltent l’onirisme et les alliages de couleurs nocturnes, les élans
énigmatiques et merveilleusement suggestifs.
Troisième pièce du disque, le
bouleversant The Shadows of Time écrit en 1997 en réponse à une commande
de l’Orchestre Symphonique de Boston et de Seiji Ozawa dans laquelle Dutilleux
célèbre la mémoire d’Anne Frank. « Dans les cinq épisodes enchaînés qui
composent The Shadows of Time,
précisait Dutilleux peu après la création en 1998, je suis resté fidèle au
principe d’unité - temps et espace – qui, le plus souvent, domine mes œuvres,
en me référant tantôt à des images intemporelles, tantôt à des événements lointains
dont l’intensité, malgré l’empreinte du temps, n’a cessé de me hanter. “Les
Heures“, “Ariel maléfique", “Mémoire des ombres“, “Vagues de lumière“,
“Dominante bleue“, tels sont les sous-titres de cette partition qui, dans sa
partie médiane, comprend également un Interlude succédant au troisième épisode
où apparaissent d’une manière fugitive trois voix d’enfants. C’est l’épisode
intitulé “ Mémoire des ombres“ ponctué par ces simples mots : “Pourquoi nous ?
Pourquoi l’étoile ?“, allusion à la tragédie vécue par Anne Frank et page
dédiée “à tous les enfants du monde, innocents“. »
Un disque passionnant, à se
procurer toute affaire cessante.
Bruno Serrou
1) 1 CD DG 479 1180 (Universal
Classics)
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