Paris. Philharmonie. Jeudi 21 janvier 2016
Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris
Comme il l’a fait pour Kullervo du Finlandais Jean Sibelius ou Peer Gynt du Danois Edvard Grieg, Paavo
Järvi poursuit son voyage avec l’Orchestre de Paris au sein de partitions rares
en France de grands compositeurs nordiques connus et reconnus par le biais de
quelques pages symphoniques ou concertantes. Ainsi, jeudi dernier, était-ce au
tour des sept pièces de la Suite Aladdin op.
34 du Norvégien Carl Nielsen, que seul son père Neeme Järvi a dirigé par
deux fois à la tête du même orchestre, en 2006 et 2008. Une orchestration
énorme pour une musique de scène, autant côté cordes (18-15-13-11-9) que côté
instruments à vent (bois et cuivres par quatre, tuba), harpe et riche
percussion caractérise cette œuvre qui reflète bien l’époque de sa composition,
en se plaçant en 1919 dans la mouvance des derniers Mahler et des premiers
Schönberg, Richard Strauss, Bartók, Prokofiev, Stravinski… L’interprétation qu’ont
donné Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris, taillée au cordeau et flatteuse à l’oreille,
a amenuisé le côté clinquant de l’œuvre sans y réussir pleinement, ni à
amoindrir l’impression de longueur qui en émane.
Lisa Batiashvili. Photo : DR
Après ce long prologue de près d’une
demi-heure de Nielsen, qui est loin ici des réussites de ses symphonies, le Concerto pour violon et orchestre n° 1 en la
mineur op. 77 de Dimitri Chostakovitch était bienvenu. Le compositeur
russe, même s’il renouvelle peu sa façon de concevoir ses œuvres, qui commence et
s’achèvent toutes sur de gigantesques pianissimi avec entre les deux de virulents
soubresauts, s’est trouvé littéralement transcendé par la soliste invitée, Lisa
Batiashvili, qui a porté l’Orchestre de Paris sur des sommets de virtuosité et
de profondeur de champ, tant les couleurs et les timbres ont scintillé de mille
feux tout en laissant percer les voix de l’orchestration avec une transparence
flatteuse. Magistralement joué par la violoniste géorgienne,
personnalité charismatique au jeu époustouflant de virtuosité simple et
naturelle, dont l’interprétation donne à l’œuvre une dimension onirique, voire
épique. Cette partition que Chostakovitch composa en 1947-1948, mais qu’il ne
vit créée qu’en 1955 en raison de sa mise à l’index pour cause de « formalisme »
par Andreï Jdanov, a été dédiée à David Oïstrakh, son dédicataire. Lisa
Batiashvili se situe ici comme une héritière du « Roi David », bien
que ce dernier soit mort cinq ans avant sa naissance, jouant cette œuvre comme
si elle était sienne, avec un panache et une profondeur ahurissants, avec une
expressivité à fleur de peau mais sans jamais surcharger le trait ni les contrastes
pourtant fort marqués de l’écriture et des intentions de l’auteur, jusque dans
la brillante Burlesque finale. Ainsi,
remarquablement soutenue par l’Orchestre de Paris, dont tous les pupitres se
sont distingués, la violoniste a-t-elle inscrit cette partition de quarante
minutes parmi les grands concertos pour violons du répertoire, scotchant littéralement le public sur les fauteuils de la Philharmonie. Reste à espérer
pour ma part l’écouter dans le Concerto « à
la mémoire d’un ange » d’Alban Berg… En bis, Paavo Järvi et les cordes
de l’Orchestre de Paris ont donné la réplique, une fois n’est pas coutume, à
Lisa Batiashvili dans une valse apaisante de Fritz Kreisler, Dance of the Dolls - Lyric Waltz, orchestrée par Tamas Batiashvili… avant de laisser
la place à la Symphonie n° 9 « la
Grande » de Franz Schubert…
Bruno
Serrou
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