Lyon. Opéra National de Lyon. Samedi 23 janvier 2016
Dimitri Chostakovitch (1908-1975), Lady Macbeth de Mzensk. Klare Presland (Aksinia) et Ausrine Stundyte (Katerina Ismaïlova). Photo : (c) Jean-Pierre Morin
La direction de braise de Kazushi
Ono et la mise en scène modérée de Dmitri Tcherniakov, quoique prenant quelque
liberté avec l’œuvre, donnent toute la dimension tellurique et barbare de
l’hallucinant Lady Macbeth du District de
Mzensk de Dimitri Chostakovitch.
Dimitri Chostakovitch (1908-1975), Lady Macbeth de Mzensk. Peter Hoare (Zinovyi), Ausrine Stundyte (Katerina Ismaïlova) et Vladimir Ognovenko (Boris). Photo : (c) Jean-Pierre Morin
Chaque production de Lady Macbeth du District de Mzensk,
second opéra de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) après Le Nez, constitue en soi un véritable événement. En effet, cet
opéra, qui est l’un des plus grands du XXe siècle aux côtés de ceux
d’Alban Berg, Giacomo Puccini, Arnold Schönberg ou Richard Strauss. Il aura
fallu attendre 1989 pour voir cet opéra sulfureux contemporain de Lulu de Berg programmé en France, à
Nancy, et 1992 pour son entrée à l’Opéra de Paris.
Dimitri Chostakovitch (1908-1975), Lady Macbeth de Mzensk. Ausrine Stundyte (Katerina Ismaïlova) et John Daszak (Sergueï). Photo : (c) Jean-Pierre Morin
Tirée d’une nouvelle de Nicolaï
Leskov, l’intrigue conte l’histoire scabreuse de la jeune épouse d’un riche
marchand, Katerina Ismaïlova, aussi monstrueuse que la Lady Macbeth du
drame de William Shakespeare et de son adaptation par Arrigo Boïto pour
Giuseppe Verdi. L’héroïne de Chostakovitch tue son beau-père, Boris, qui la
harcèle, et son mari, Zinovi, par amour pour l’un de leurs ouvriers, Sergeï,
qui la déleste de son ennui, avant d’être arrêtée avec lui et d’être condamnée
au bagne sur la route duquel elle se suicide en entraînant sa rivale Sonietka
dans la mort. De cet être apparemment effroyable, Chostakovitch a fait le jouet
d’un environnement cauchemardesque qui le conduit à une satire sociale qui a
suscité la vindicte de Staline autant que la violence érotique exacerbée par
une musique violente, sarcastique, singulièrement suggestive. Le dictateur,
après avoir assisté à une représentation en 1936, fera publier un article au
vitriol dans la Pravda intitulé « Le chaos remplace la musique »
qui conduisit à l’interdiction de l’opéra jusqu’en 1974.
Dimitri Chostakovitch (1908-1975), Lady Macbeth de Mzensk. Ausrine Stundyte (Katerina Ismaïlova) et John Daszak (Sergueï). Photo : (c) Jean-Pierre Morin
Pour l’entrée de Lady Macbeth du District de Mzensk à son
répertoire, l’Opéra de Lyon a choisi une production venue de l’English National
Opera, révision d’un spectacle né à Düsseldorf en 2008. Réputé iconoclaste,
surtout après sa conception de Dialogues
des Carmélites de Francis Poulenc à l’Opéra de Munich qui a récemment
suscité l’ire des héritiers du compositeur et lui a valu en octobre dernier une
condamnation de la Cour d’appel de Paris interdisant la distribution de la
vente en France du DVD, Dmitri Tcherniakov apparaît étonnement sage, tout en
prenant une grande liberté avec le texte qu’il adapte à sa propre conception de
l’œuvre. Sa surprenante réserve a le mérite d’éviter d’en rajouter quant au
sujet comme de la musique qui en disent déjà beaucoup, le metteur en scène
russe évitant ainsi toute redondance. Dans son décor unique de froids bureaux
années 2000 éclairé par des néons défectueux, Tcherniakov situe l’action dans
une entreprise d’e-commerce, avec informatique et chariots élévateurs et non
plus en rase campagne au XIXe siècle, tandis que Katerina Ismaïlova dispose
de son propre espace où elle vit entourée de tapis orientaux vêtue de costumes
traditionnels colorés, tandis que son environnement porte des vêtements de
notre temps. Mais le machisme est le même qu’au XIXe siècle. Un
réserve cependant, l’acte final perd de sa force et de sa signification, car au
lieu du grand espace de toundra et de lac noir où l’héroïne entraîne sa rivale qui
dilue la folie meurtrière de l’héroïne et forme un déchirant contraste entre la
violence de la première partie de l’œuvre et la tristesse glabre de son ultime
tableau, le metteur en scène enfermant les bagnards dans une cellule étriquée
et crasseuse où Katerina trucide froidement son adversaire avant de se faire
massacrer par ses gardiens.
Dimitri Chostakovitch (1908-1975), Lady Macbeth de Mzensk. Ausrine Stundyte (Katerina Ismaïlova). Photo : (c) Jean-Pierre Morin
Austrine Stundyte campe une Katerina
fulgurante, à la fois solide, volontaire, fragile respirant l’ennui et exaltée
par la passion qui atteint une densité ahurissante. Face à elle, le Boris de
Vladimir Ognovenko n’est pas assez virulent et libidineux, Peter Hoare est un
mari légitimement falot, John Daszak est un amant brut de fonderie, coq prétentieux
mais à la voix peu sûre et trop tendue. En revanche, Jeff Martin (la Balourd
miteux), Gennady Bezzubenkov (le Pope), Clare Presland (Aksinia) et Michaela
Selinger (Sonietka) sont parfaits, à l’instar du Chœur de l’Opéra de Lyon. Dans
la fosse, porté par la direction brûlante de Kazushi Ono, l’Orchestre de
l’Opéra de Lyon se donne sans compter dans cette partition flatteuse dans laquelle
tous ses musiciens prennent un plaisir évident à s’exprimer, servant avec
précision jusqu’aux plus infimes détails.
Bruno Serrou
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