Paris. Biennale du quatuor à cordes. Philharmonie 2/Cité de la Musique.
Lundi 18 janvier 2016
Depuis le 15 janvier, la Philharmonie
de Paris dans la grande salle de la Cité de la Musique et en l’Amphithéâtre, accueille
la VIIe Biennale de quatuors à cordes, qui propose vingt-cinq
concerts jusqu’au 24 janvier, avec des ramifications pédagogiques et des
présentations de tout jeunes quatuors d’archets, dont quelques-uns venant du
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris voisin.
Semble définitivement révolu le
temps du quatuor à cordes réservé à une élite. En effet, réputé difficile, le
genre a longtemps été réservé aux connaisseurs, et a de ce fait été cantonné à
l’intimité de salles exiguës. Seules notables exceptions, le Quartetto
Italiano, qui, dans les années 1970, remplissait le Théâtre des Champs-Elysées,
à l’instar du Quatuor Berg dans les années 1990, ou des Quatuors de Cleveland
et Juilliard Salle Gaveau… L’association ProQuartet fondée en 1987 par Georges
Zeisel, et la Biennale de la Philharmonie née voilà quatorze ans Cité de la
Musique ont non seulement forgé, quantité d’ensembles dédiés mais aussi un
public toujours plus large, plus connaisseur, enthousiaste et fidèle au genre
le plus exigeant et gratifiant, le quatuor d’archets. Cette année, les
participants à ce qui se présente sous la forme d’un véritable festival
proposent chacun un volet de l’intégrale des quinze quatuors que Dimitri
Chostakovitch a composés entre 1938 et 1974.
Quatuor Szymanowski. Volodia Mykytka (alto), Marcin Sieniawski (violoncelle), Agata Szymczewska et Grzegorz Kotow (violons). Photo : (c) Bruno Serrou
C’est ainsi que le Quatuor
Szymanowski s’est vu confier le Troisième
Quatuor à cordes de Chostakovitch. Le quatuor polonais a mis cette
partition de 1948 en regard avec deux pièces de deux compositeurs polonais. Il
a commencé par le rare Quatuor à cordes
n° 13 op. 118 composé en 1977 par Mieczyslaw Weinberg (1919-1996). Proche
de Chostakovitch, sa musique doit beaucoup à son aîné de treize ans, mais il
est par certains aspects plus inventif et téméraire. Il conclura sa prestation sur
le Quatuor à cordes n° 3 sur des thèmes
populaires polonais d’un compositeur plus rare encore que Weinberg, Szymon
Laks (1901-1983), Polonais ayant fait ses études musicales à Paris avec Henri
Rabaud avant d’être arrêté à Orléans en 1941, déporté à Auschwitz puis à Dachau
pour se retrouver à Paris. Les deux violons du Quatuor Szymanowski ont alterné
les postes de leader, Agata Szymczewska l’étant dans les œuvres de Weinberg et
Chostakovitch, et Grzegorz Kotow dans le quatuor de Laks. Le son acide de la
première a participé à l’âpreté des deux premières partitions, leur transmettant
une violence et une sécheresse idoine, tandis que le second a donné au plus
convenu quatuor de Laks un chatoiement bienvenu.
Philippe Manoury et le Quatuor Arditti. Irvine Arditti et Ashot Sarkissjan (violons), Lucas Fels (violoncelle) et Ralf Ehlers (alto). Photo : (c) Bruno Serrou
Le second concert de lundi a été
proposé Salle des concerts de la Philharmonie 2. Deux formations étaient
invitées, le Quatuor Arditti et le Quatuor de Jérusalem. Malgré un programme
plutôt pointu, le public était au rendez-vous, ne laissant pas un fauteuil
libre. Une œuvre en création mondiale, l’un des derniers opus de Chostakovitch
et le tout premier quatuor de Beethoven, voilà qui constituait en effet un
cursus peu populaire. Recordman des créations mondiales (entre vingt et
cinquante par an) depuis sa fondation par Irvine Arditti en 1974, à l’exception
des domaines du jazz, de la pop’ et du crossover
territoires occupés par le Quatuor Kronos, le Quatuor Arditti a donné en
ouverture de concert la première mondiale du quatrième quatuor à cordes de
Philippe Manoury (né en 1952) intitulé Fragmenti.
Commande de la Philharmonie de Paris et de ProQuartet-Centre européen de
musique de chambre, cette partition d’un peu plus d’un quart d’heure est
constitué, comme son titre l’indique, de courts morceaux, au nombre de onze,
alternant mouvements vifs-lents-vifs. Deux ans après la première française dans
le cadre de la VIe Biennale du Quatuor à cordes du remarquable Quatuor n° 3 Melencolia (2012) dédié à
la mémoire du compositeur portugais Emmanuel Nunes disparu en septembre 2012
tout en s’inspirant d’un tableau de Dürer et du carré magique, Manoury s’est
détourné dans ses Fragmenti de la
prospection pour puiser dans ses œuvres antérieures, comme s’il était soudain
pris de… mélancolie. Comme si, aussi, après un troisième quatuor particulièrement
dense en inventions et développé (près de trois-quarts d’heure), le compositeur
français entendait reprendre son souffle, tirer une synthèse de tout ce qu’il a
imaginé, et cherchait à gratifier le Quatuor Arditti, créateur de Melencolia le 22 mars 2013 dans le cadre
du Printemps des Arts de Monaco, d’une aire de jeu plus sereine et limpide. Chaque
partie est en fait une authentique miniature forgée autour d’un matériau simple
mais compact d’une brièveté dans l’esprit de Kurtag et, plus encore, de Webern,
tant elles sont consistantes et suffisantes, y compris les deux interludes qui
n’atteignent pas même la minute.
Quatuor Jérusalem. Alexander Pavlovsky et Sergei Bresler (violons), Zyril Zlotnikov (violoncelle), Ori Kam (alto). Photo : (c) Bruno Serrou
Sans entracte autre qu’un très
bref changement de plateau, le Quatuor de Jérusalem a créé un violent contraste
avec ce qui précédait avec le Quatuor n°
12 en la bémol majeur op. 133 que Dimitri Chostakovitch a composé en 1968.
Bien que le matériau tienne de la même volonté de simplicité que dans le
quatuor de Manoury, la comparaison s’arrête là, car l’œuvre est typique du
compositeur russe, avec constamment la même idée, qui plonge dans son univers
symphonique. Chaque ligne instrumentale est clairement définie, indépendante les
unes des autres, se fondant néanmoins ici sur un concept dodécaphonique - clin d’œil
au numéro d’ordre du quatuor et au pouvoir soviétique qui rejetait
viscéralement ce mode d’écriture - exposé au violoncelle, repris plus loin par
l’alto, avant que le premier violon se l’accapare. La seconde partie fait à
elle seule trois fois la durée de la première, enchâssant scherzo, deux adagios
et moderatos, et l’allegretto finale. Moins rêche et plus moelleuse que les
Szymanowski dans le Troisième de
Chostakovitch, les Jérusalem ont donné du Douzième
un contour classique et comme occidentalisé quant au pathos, aux frictions,
frottements et déchirures caractéristiques du compositeur, qui est apparu comme
assagi et moins virulent que sous d’autres archets. Ce tour classique a été
conforté par la magnifique conception des Jérusalem de la première partition du
genre de Beethoven, le Quatuor à cordes n°
1 en fa majeur op. 18/1, d’une intensité et d’une luminosité à la fois classique
et d’une grande expressivité, le Quatuor Jérusalem réussissant à la fois à ancrer
l’œuvre dans la descendance directe de Haydn et à lui donner une essence
annonciatrice du Beethoven de la maturité.
Bruno Serrou
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