Photo : (c) Bruno Serrou
Pour les quatre vingt dix
printemps le 25 mars 2015 de celui qui l’a imaginée et promue, la Philharmonie
de Paris organise la plus grande rétrospective jamais consacrée à Pierre Boulez
avec une exposition réalisée à son initiative déployée sur deux étages dans
l’enceinte du Musée de la Musique (1). Ont été réunis par Sarah Barbedette,
commissaire de l’exposition, plus de cent soixante documents qui mettent en
perspective l’homme, le compositeur, le chef, l’administrateur, sa pensée, son
temps et ceux qu’il a côtoyés. Ces documents sont ainsi présentés après
trois années de travail préparatoire et de recherche, dont trois semaines à la
Fondation Paul Sacher de Bâle, dépositaire universel et exclusif de tous les documents
émanant du compositeur depuis 1986.
L’exposition suit la chronologie
biographique de Pierre Boulez, de 1945 à 2015. Une chronologie articulée à partir
d’une sélection d’œuvres symptomatiques de l’évolution du compositeur Pierre
Boulez dont la genèse a accompagné son activité de chef et de patron
d’orchestres et d’ensembles, de concepteur et de fondateur d’institutions de
recherche et de diffusion.
Luigi Nono, Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen à Darmstadt dans les années 1950. Photo : (c) Südwestrundfunk DR. G.W. Baruch
Les années d’après-guerre
Ainsi, le parcours de
l’exposition se subdivise-t-il en sept étapes et autant de jalons. La première,
« les années d’après-guerre », entre conservatoire, cours
particuliers de Messiaen et de Leibowitz, découverte des œuvres majeures du
premier XXe siècle (Debussy, Ravel, Seconde Ecole de Vienne,
Stravinski, Bartók), des grands textes littéraires (Kafka, Mallarmé, Char) ainsi
que des chefs-d’œuvre de la peinture (Mondrian, Klee), tandis qu’il compose ses
Notations pour piano, est mise en
résonance avec la Deuxième Sonate pour
piano, œuvre de rupture qui fait exploser forme et langage traditionnels. Ces
mêmes années 1943-1950, il compose la première version de Visage nuptial, Soleil des
eaux, la Sonatine pour flûte et piano, Polyphonie X et le premier livre des Structures pour deux pianos, deux œuvres où il s’essaie au
sérialisme intégral qui intègre la série dodécaphonique à tous les composants
de la musique, non seulement sur les hauteurs, mais aussi les durées, rythmes, intensités,
modes d’attaque, etc., dont il reviendra très vite.
Pierre Boulez dans la fosse du Théâtre Marigny pendant une représentation de Marlborough s'en va-t-en guerre de Marcel Achart mis en scène par Jean-Louis Barrault en 1950. Photo : (c) Etienne Bertfrand Weill-Gallica/Bibliothèque Nationale de France
La Compagnie Renaud-Barrault
Deuxième étape, « la Compagnie
Renaud-Barrault », qu’il intègre en 1950 comme chef de la musique,
compositeur et arrangeur après avoir assisté aux répétitions de l’Echange de Paul Claudel au Théâtre
Marigny, avant de partir en tournée avec elle en Argentine, puis aux Etats-Unis
et au Canada. Grâce à John Cage, il rencontre à New York De Kooning, Guston,
Pollock, Calder, Varèse et Stravinski et lit E. E. Cummings, tandis qu’il fait
à Paris la connaissance de Karlheinz Stockhausen. A Darmstadt et
Donaueschingen, il côtoie Berio, Cage, Maderna, Nono, Stockhausen, Zimmermann,
et fréquente à Paris quantité d’intellectuels, galeristes, peintres, hommes de
lettres comme Nicolas de Staël, Alberto Giacometti, Henri Michaux. Boulez
publie en 1952 dans la revue The Score
l’un de ses textes les plus célèbres sous le titre polémique Schoenberg is Dead (Schönberg est mort). En résonance de cette étape, une œuvre qui
retourne pourtant à Schönberg via Pierrot
lunaire, par la forme et par les effectifs, le Marteau sans maître pour voix et ensemble qui est la troisième
œuvre de Boulez fondée sur la poésie de René Char et qui sera créée en 1957.
Boulez s’y inspire des musiques orientales, que l'on retrouve autant dans l’esprit que dans les
couleurs et les résonances.
Eventuellement (1951-1952). Manuscrit autographe. Collection Pierre Boulez Fondation Paul Sacher, Bâle. Photo : (c) Ed. Christian Bourgois
Le Domaine musical
Troisième période mise en avant par
l’exposition, le Domaine musical. Le 13 janvier 1954, sous l’aile protectrice
de Barrault qui laisse à sa disposition le Petit Marigny, Pierre Boulez
organise le premier concert de ce qui devient dès le suivant le Domaine musical.
Il est dirigé par Hermann Scherchen, Roger Désormière, qui aurait dû être l’un
des acteurs du nouvel ensemble, étant retenu loin du pupitre de chef à cause de
la maladie dont il devait mourir. Parmi les auditeurs des premiers concerts, le
peintre Nicolas de Staël peint durant la dernière décade de sa vie un tableau
qu’il laissera inachevé, le Concert,
directement inspiré des concerts Webern du Domaine musical programmés les 5 et 6
mars 1955 auxquels l'artiste a assisté. D’autres peintres illustreront des prestations
du Domaine musical, Masson, Ubac, Zao Wou-Ki, Miró et
Giacometti, pour les pochettes de disques publiés par le label Véga. Deux
œuvres-phares naissent à cette époque, la Troisième
Sonate (1957) et Pli selon pli (1957-1962),
la première introduisant la notion d’aléatoire contrôlé, le seconde abordant
les différents alliages du texte et de la musique. Ces deux œuvres sont mises
en perspective dans cette séquence de l’exposition, autant par les partitions,
la correspondance et des explications audiovisuelles que par la diffusion
sonore. D’autres pièces voient parallèlement le jour, comme des fragments du Livre pour quatuor, le second livre des Structures pour deux pianos, ainsi
que des textes comme Tendances de la musique récente, Aléa, plusieurs entrées
de l’Encyclopédie Fasquelle, des conférences à Darmstadt et Harvard… Par
ailleurs, en 1962, il dirige ses premiers concerts symphoniques à l’étranger, à
la tête des Orchestres du Concertgebouw d’Amsterdam et Philharmonique de Vienne.
Ce dernier au Festival de Salzbourg dans le
Sacre du printemps et Noces de
Stravinski pour une représentation des ballets de Maurice Béjart. Le 18 juin
1963, il dirige le Sacre du printemps de Stravinski au
Théâtre des Champs-Elysées avec l’Orchestre National de la RTF…
Photo : DR
Direction d’orchestre
La quatrième partie de
l’exposition est d’ailleurs consacrée à la carrière de chef d’orchestre de
Pierre Boulez. C’est à Caracas, en 1956, qu’il fait ses débuts devant une
formation symphonique. « Par
chance, me disait-il en 1993, je n'ai pas donné ce premier concert en Europe !
Mais au Venezuela, lors d’une tournée de la Compagnie Renaud-Barrault avec
laquelle j’ai travaillé pendant les dix premières années de ma vie
professionnelle. Mes concerts du Domaine musical, que je ne dirigeais encore
que très peu et dans de toutes petites pièces, avaient certes commencé trois
ans plus tôt. En 1956, c’est l’écrivain cubain Alejo Carpentier, alors réfugié
au Venezuela et qui connaissait bien Jean-Louis Barrault, apôtre du Domaine
musical, qui me demanda de donner quelques pièces contemporaines. Je ne dirai
pas que j'ai fait des merveilles, ni que l’orchestre était de très haut niveau.
Mais c’est ainsi que l’on apprend. Je ne me souviens que d’une partie du
programme, qui comprenait les Images de Debussy et la Symphonie d'instruments à vent de
Stravinski. Les pages de Debussy étaient très difficiles ; celle de Stravinski
plus encore... Rythmiquement, ce n’était vraiment pas en place ! C’est en
observant Hans Rosbaud, en particulier lors de ses répétitions à Baden-Baden,
que j’ai acquis les bases du métier. » Cinq ans après avoir quitté la France pour
s’installer en Allemagne, à Baden-Baden au cœur de la Forêt Noire, il dirige à
l’invitation de Georges Auric, alors directeur de l’Opéra de Paris, la première
production au Palais Garnier de Wozzeck d’Alban
Berg, le 29 novembre 1963. Première à laquelle j'ai eu le bonheur d'assister, accompagné de mes parents, et dont je garde un souvenir ébloui du haut de mes douze ans...
André Masson (1896-1987), Etude préparatoire pour le décor de Wozzeck, A. I sc. 1, 1963. Pastel et collage sur papier noir. Collection particulière. Photo : (c) AGAP, Paris 2015
« Nous avons énormément travaillé cette
production de Wozzeck, dirigeant pour ma part une quinzaine de
répétitions d'orchestre, se souvenait-il trente ans plus tard. Cette œuvre
nouvelle pour les musiciens de l’Orchestre de l'Opéra présentait pour moi une
excellente opportunité pour me produire pour la toute première fois dans un
ouvrage lyrique. En effet, personne ne connaissait mieux que moi cette
partition, que je fréquentais depuis longtemps pour l’avoir analysée dans le
cadre des cours que je donnais à Donaueschingen. J'ai eu ainsi des relations
plus saines avec les musiciens que si j'avais eu à diriger Carmen...
Jean-Louis Barrault était dans la même position que moi : il signait sa
première mise en scène d'opéra. » En mars 1965, il dirige ses
premiers concerts avec l’Orchestre de Cleveland, effectue une première tournée
aux Etats-Unis avec l’Orchestre Symphonique de la BBC et dispense ses premiers
cours de direction d’orchestre. En 1966, il fait sa première apparition à
Bayreuth, où il dirige Parsifal dans
la mise en scène de Wieland Wagner, peu après leur Wozzeck à l’Opéra de Francfort, et avec qui il élabore quantité de
projets qui n’aboutiront pas à cause de la mort soudaine du petit-fils de
Richard Wagner, à qui il rendra hommage en dirigeant au printemps 1967 deux uniques représentations de Tristan und
Isolde avec Birgit Nilsson et Jon Vickers, à Osaka, au Japon. Représentation que les
caméras de la NHK ont heureusement captées, préservant ainsi la seule mise en
scène filmée de Wieland Wagner, tandis que leur Parsifal est repris à Bayreuth en 1967,
1968 et 1970. Pourtant, en septembre 1967, il publie dans l’hebdomadaire grand
public allemand Der Spiegel un virulent article dans lequel il affirme qu’il
faut « faire sauter les maisons d’opéra », tout en préparant une
réforme de l’Opéra de Paris avec Maurice Béjart et Jean Vilar, son
commanditaire. En 1968, à la mort de George Szell, il est nommé premier chef
invité de l’Orchestre de Cleveland, et dirige pour la première fois en 1969 les
Orchestres Symphonique de Chicago et Philharmonique de New York, et réalise sa
première prestation dans la fosse du Covent Garden de Londres avec Pelléas et Mélisande de Debussy. En
1971, il est nommé en même temps Directeur musical de l’Orchestre Symphonique
de la BBC, où il prend la succession de Colin Davis, et de l’Orchestre
Philharmonique de New York, où il succède à Leonard Bernstein. Deux postes
qu’il occupera respectivement jusqu’en 1975 et 1977. En 1975, il effectue une
tournée européenne avec le New York Philharmonic, donnant notamment deux
concerts en France, le premier Salle Pleyel à Paris avec un programme
Bartók/Carter/Stravinski, le second dans la cathédrale de Chartres, où il
dirige la Neuvième Symphonie de
Mahler. Deux concerts auxquels j’ai eu la chance inouïe d’assister. Le 5
janvier 1976, il dirige pour la première fois l’Orchestre de Paris, qu’il avait
largement critiqué lors de sa création en 1967.
Deux compositeurs directeurs du New York Philharmonic Orchdestra, Leonard Bernstein et Pierre Boulez. Photo ; (c) Christian Steiner, New York Philharmonic Archives
Cette expérience de la
direction d’orchestre marque un tournant dans le style des œuvres de Boulez et
l’incite à la réécriture d’un certain nombre de partitions anciennes. Eclats pour quinze instruments est créé
à Los Angeles en 1965, la dernière version de Figures Doubles Prismes est créée à Utrecht en mars 1968, en
décembre de la même année il crée le Livre
pour cordes, extension des sections 1a et 1b du Livre pour quatuor, en avril de l’année suivante Pour le Dr. Kalmus pour flûte,
clarinette, alto, violoncelle et piano. En septembre 1970, il donne à Ulm la
création de son Cummings ist der Dichter
(Cummings est le poète), puis, en
octobre, d’Eclat/Multiples, à
Londres. Paris voit la création de la version révisée de Domaines pour clarinette et orchestre. Une première version d’…explosante-fixe… est créée en janvier
1973 à New York « afin d’évoquer Igor Stravinski, de conjurer son
absence », tandis que l’un des chefs-d’œuvre de Boulez est créé le 2 avril
1975 avec l’Orchestre Symphonique de la BBC, Rituel. In memoriam Bruno Maderna,
véritable requiem à la mémoire de son ami et confrère italien mort le 13
novembre 1973.
Wolfgang Wagner, Pierre Boulez et Patrice Chéreau pendant une représentation à l'Opéra de Paris. Photo : DR
L’Opéra
La section suivante est
étroitement liée à l’activité de chef d’orchestre de Pierre Boulez, puisqu’il
s’agit de « l’Opéra ». Au milieu des
années 1960, la critique des institutions et la nécessité de leur réforme
conduisent Pierre Boulez à travailler avec Jean Vilar et Maurice Béjart sur un
projet de réforme de l’Opéra de Paris, auquel Vilar renonce en 1968. Après Parsifal et Tristan, qu’il dirige en Allemagne et au Japon, la fin des
années 1970 est marquée par ses collaborations avec Patrice Chéreau qui
suscitent un véritable bouleversement dans la conception du spectacle lyrique.
Naissent ainsi la Tétralogie du centenaire de Bayreuth à
l’invitation de Wolfgang Wagner qui sera présentée cinq ans durant avec un succès
croissant, la dernière du Crépuscule des
dieux faisant l’objet de plus de cent rappels, puis Lulu en 1979
à l’Opéra de Paris. Pierre Boulez dirige ensuite deux productions mises en
scène par Peter Stein, Pelléas et
Mélisande de Debussy à
l’Opéra de Cardiff et au Théâtre du Châtelet à Paris, et Moses und Aron de
Schönberg à Amsterdam, ainsi qu’un triptyque Falla-Stravinski-Schönberg mis en
scène par Klaus Michael Grüber au Festival d’Aix-en-Provence, avant de
retrouver Patrice Chéreau en 2007 pour De la maison des
morts de Janáček à
Aix-en-Provence puis en tournée. En 2004 et 2005, il fait ses dernières apparitions dans la fosse
mystique du Festspielhaus de Bayreuth ou il dirige ses ultimes Parsifal dans une mise en scène
contestable qu’il renonce à reprendre en 2006.
En 1985, il est nommé vice-président de l’Opéra Bastille,
où il travaille sur le projet commun avec Daniel Barenboïm et Patrice Chéreau,
reconstituant ainsi une équipe comparable à celle de 1966, où il avait pour partenaires Jean Vilar et Maurice Béjart, avec la perspective d’inaugurer le nouvel
Opéra avec une salle modulable spécialement affectée à la création lyrique et
chorégraphique. L’abandon de ce projet le conduit à démissionner en 1989, peu
avant l’ouverture de l’Opéra-Bastille le 13 juillet.
Ces sections quatre et cinq sont
mises en écho avec un véritable cérémonial funèbre, le fameux Rituel. In memoriam Bruno Maderna, « œuvre frontale » pour
huit groupes instrumentaux et percussion. L’œuvre, comme le
précise un document de la Philharmonie, est organisée en quinze séquences.
Dans les séquences paires, les groupes ne sont pas synchronisés entre eux, et
progressent telles des processions qui, empruntant des chemins différents dans
une ville, ont leur propre unité mais finissent par se rejoindre sans être coordonnées
entre elles. Rituel se situe à la charnière de nombreuses
recherches sur la répartition des groupes instrumentaux dans l’espace et d’un
intérêt pour les rites, nourri par l’ethnologie, le théâtre, la poésie.
Le chantier de l'Ircam en 1976. Photo : (c) Patrick Croix / Archives Ircam - Centre Pompidou
Outils pour la
création
La sixième étape de l’exposition
est intitulée « Outils pour la création ». Il s’agit donc de la
période de la conception et de la réalisation de l’Institut de recherche et de
coordination acoustique/musique (Ircam) pour la composition, et de son outil de
diffusion, l’Ensemble Intercontemporain, constitué de musiciens aguerris à
l’interprétation de la musique de notre temps. Le tout destiné à terme à
l’usage de tous les compositeurs. En 1966, il proteste contre le plan de
réforme de la musique élaboré par le compositeur Marcel Landowski retenu par
André Malraux alors ministre des Affaires culturelles qui en fait son Directeur
de la Musique. Boulez réagit violemment dans l’hebdomadaire le Nouvel Observateur du 25 mai 1966 sous
le titre « Pourquoi je dis non à
Malraux ». Il décide alors de s’installer définitivement à Baden-Baden et
laisse la direction artistique du Domaine musical à son confrère Gilbert Amy. C’est
à la fin de l’année 1970 que le cabinet de la présidence de la République
française contacte Pierre Boulez au nom du président Georges Pompidou pour lui
confier un projet d’institut de recherche musicale associé au futur Musée d’art
moderne du Centre Pompidou. Quatre ans plus tard, Boulez s’entoure d’une
équipe de compositeurs constituée de Luciano Berio, Vinko Globokar, Gerald
Bennett, Jean-Claude Risset et Michel Decoust, pour travailler à sa
constitution, tandis que les premiers ateliers sont proposés au
Théâtre d’Orsay dirigé par Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud. En 1976,
avec l’appui de Michel Guy et la collaboration de Nicholas Snowman, il fonde
l’Ensemble Intercontemporain qui réunit trente et un musiciens virtuoses, et
donne le 10 décembre de cette même année son cours inaugural de la chaire
« Invention, technique et langage en musique » au Collège de France.
A travers cette chaire, qu’il occupera jusqu’en 1995, la transmission est
pensée à travers le dialogue avec les sciences, l’architecture, la philosophie.
En janvier de l’année suivante, l’Ircam et le Centre Pompidou sont inaugurés. Boulez
dirige les premières manifestations publiques dans le cadre de « Passage
du XXe siècle ». L’outil-Ircam expressément conçu pour la
recherche dans le domaine de la musique électroacoustique sur le modèle de
l’institut de recherche de Stanford University en Californie, ne se limite pas à la lutherie instrumentale mais s'étend à la
salle de concert, objet de transmission ouvert aux impératifs de la création. Il
abandonnera la direction de l’Ircam dont il gardera la présidence d’honneur,
confiant les clefs de l’institut à Laurent Bayle, pour se consacrer à la
direction d’orchestre et à la composition.
Dispositif pour Répons, carrière Callet-Boulbon, Festival d'Avignon 1988. Photo : (c) Daniel Cande / BNF
L’œuvre emblématique
de Pierre Boulez née à l’Ircam et conçue pour l’Ensemble Intercontemporain dans
les années 1981-1984, est Répons pour
six solistes (vibraphone, glockenspiel, harpe, cymbalum, deux pianos), ensemble
(deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, clarinette basse, deux bassons,
deux cors, trompettes, trombones, tuba, trois violons, deux altos, deux
violoncelles, contrebasse) et électronique en temps réel. Cette œuvre conçue
avec le système 4X mis au point expressément pour elle, se réfère au plain
chant médiéval dans lequel un chanteur soliste alterne avec le chœur. Prolifération
d’une idée musicale à partir d’un élément simple, alternance entre jeu
individuel et jeu collectif, sources sonores organisées dans un espace non
frontal, Répons intègre à la fois des sons produits
par ordinateur et ceux des instruments traditionnels. Le public est placé autour
de l’ensemble instrumental et est lui-même encadré par six solistes et
six haut-parleurs qui en restituent le son traité en temps réel. Difficile
à restituer au disque, limité à la stéréophonie, Répons est spatialisé dans la salle qui lui est dédiée au sein de
l’exposition. Autres œuvres nées dans les années 1976-1990, Messagesquisse pour sept violoncelles
sur le nom de Paul Sacher en 1976, Notations
I à IV pour grand orchestre,
créée le 18 juin 1980 par l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Barenboïm, Dérive 1 pour ensemble de chambre créé
par le London Sinfonietta le 31 janvier 1985, Dialogue de l’ombre double pour clarinette et électronique en temps
réel à Florence par Alain Damiens le 28 octobre suivant, Mémoriale (…explosante-fixe… Originel) pour flûte solo, ensemble de
huit instruments et informatique en temps réel créé Théâtre des Amandiers à
Nanterre le 29 octobre de la même année, le 23 septembre 1986, le Festival
Musica de Strasbourg voit la création de la version définitive de Cummings ist der Dichter, puis il donne
le Houston, le 4 juin suivant, la première exécution d’Initiale, fanfare pour sept instruments à vent. En mai 1989, une
nouvelle version du Livre pour cordes
est donnée, et, en novembre, l’ultime version du Visage nuptial est créée à Metz. Le 21 juin 1990, Dérive 2 pour onze musiciens est créé à
Milan - cette œuvre sera révisée en 2002 et 2006. 1991 voit la création d’Anthèmes pour violon solo à Vienne le 18
novembre par Irvine Arditti.
De nombreux textes de Pierre
Boulez paraissent dans ces années 1970-1990 : Par volonté et par hasard,
fruit d’entretiens avec Célestin Deliège et Style
ou idée dans The Saturday Review
en 1971, la première rédaction de Points
de repère en 1981 régulièrement augmenté depuis, Le Pays fertile. Paul Klee qui rassemble trois textes sur le
peintre écrits en 1985, 1987 e 1988.
Salle de concert de la Cité de la Musique - Philharmonie 2. Photo : (c) P.E. Rastoin / Philharmonie de Paris
Architectures virtuoses
Intitulée « Architectures
virtuoses », la septième et ultime étape de l’exposition est centrée sur
les dernières réalisations nées de l’esprit de Pierre Boulez, de 1990 à 2015. Ont
en effet été érigées durant ce dernier quart de siècle une série de bâtiments
consacrés à l’enseignement et à la diffusion de la musique, dans le nouveau
quartier de la Porte de La Villette dans le XIXe arrondissement de
Paris, commencée par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris inauguré le 7 décembre 1990, complété par la Cité de la Musique
ouverte le 7 décembre 1995, son Musée de la Musique et sa
Bibliothèque-Médiathèque musicale, deux édifices dessinés par l’architecte
Christian de Portzamparc, et parachevée avec la Philharmonie de Paris conçue
par Jean Nouvel inaugurée le 14 janvier 2015. Pierre Boulez a noué
des dialogues privilégiés avec les architectes, parmi lesquels Renzo Piano,
Christian de Portzamparc et Frank Gehry, et a su garder un goût prononcé pour
certaines réalisations plus anciennes, comme la spirale du musée Guggenheim de
New York.
Pierre Boulez dirige sur Incises. Photo : (c) Ensemble Intercontemporain
Il trouve ainsi dans l’architecture une source d’inspiration pragmatique, esthétique et politique avivant son goût pour les questions relatives à la virtuosité. Dans Incises (1994) puis dans sur Incises (1996-1998), qui illustre cette ultime étape du parcours proposé par l’exposition, Boulez donne libre cours à cette écriture virtuose.
Les autres œuvres de
cette dernière période créatrice de Pierre Boulez sont …explosante-fixe… pour flûte midi, orchestre de chambre et
électronique en temps réel (1993), Incises
(1994/2001) pour piano dont la première version a été écrite pour le concours
international de piano Umberto Micheli, Anthèmes 2 pour violon et électronique en temps réel (1997), sur Incises pour trois harpes, trois pianos et trois
percussionnistes (1996-2001), Improvisé -
pour le Dr Kalmus révision en 2005 d’une œuvre de 1969, Une page d’éphéméride pour piano (2005),
et la version définitive de Dérive 2
pour onze instruments créée en juillet 2006 au Festival d’Aix-en-Provence,
enfin, en 2008, Christophe Desjardins crée la version pour alto et électronique
en temps réel d’Anthèmes 2.
Le catalogue de l’exposition Pierre Boulez
Simplement titré
« Pierre Boulez » sur une superbe photo noir et blanc du musicien
dans son rôle de chef d’orchestre le regard fixé sur une partition, les bras
grands ouverts et les mains levées les doigts écartés, les Editions Actes Sud
et la Philharmonie de Paris (2) publient un remarquable catalogue réunissant
une trentaine de textes préfacés par Laurent Bayle, Président de la Philharmonie
de Paris, et Eric de Visscher, Directeur du Musée de la musique, enrichi d’une
chronologie aussi dense que précise réalisée par Sarah Barbedette, commissaire
de l’exposition, suivie d’une liste des cent cinquante neuf œuvres reproduites
dans le catalogue, de l’esquisse à la partition entière, en passant par cahiers
d’élève, agendas, carnets de notes, lettres, décors, dessins, tableaux, photos,
vidéos, films reproduits en noir et blanc et en couleur, et de deux index, celui
des noms et celui des œuvres de Pierre
Boulez, hélas sans les nomenclatures. En tout deux cent cinquante deux pages
denses et riches en informations pour une grande part. Ce catalogue ne s’adresse
pas aux seuls visiteurs de l’exposition, car il s’agit d’un ouvrage conçu pour
l’honnête homme au sens humaniste du terme, c’est-à-dire épris de Culture et de
création de son temps, ancrées dans le passé, vivifiées par le présent et
porteuses d’avenir, puisque Pierre Boulez et son œuvre sont stimulés par la
littérature, la poésie, la philosophie, la psychanalyse, la peinture, le théâtre, la transmission et la pédagogie.
Parallèlement, DG,
Erato, Sony Classical et Universal Classics rassemblent en d'énormes coffrets la grande
majorité des enregistrements discographiques de Pierre Boulez (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/12/cd-pour-les-90-ans-de-pierre-boulezsony.html
et http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/cd-pierre-boulez-integrale-des.html)
Bruno Serrou
1) Jusqu’au
28 juin 2015. Du lundi au vendredi de 12h à 18h, le samedi et le dimanche de
10h à 18h. Cité de la Musique - Philharmonie. 221, avenue Jean-Jaurès. 75019 - Paris. Tél. : 01.44.84.44. contact@philharmoniedeparis.fr.
http://pierreboulez.philharmoniedeparis.fr. A noter que le week-end du 20 au 22 mars 2015 trois jours de concerts consacrés à Pierre Boulez sont proposés au public à la Philharmonie et la Philharmonie 2, notamment par les musiciens de l'Ensemble Intercontemporain et Matthias Pintscher, et que le 30 mars 2015, Maurizio Pollini interprètera la Deuxième Sonate pour piano de Pierre Boulez à la Philharmonie
2) Pierre Boulez, Editions Actes Sud / Philharmonie de Paris, 252
pages ISBN : 978-2-330-04796-2 (2015, 38€)
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