Paris, Théâtre des Champs-Elysées, lundi 30 avril 2013
Serena Malfi (Zerlina), Nahuel Di Pierro (Masetto), Robert Gleadow (Leporello), Sophie Marin-Gregor (Donna Anna) et Daniel Behle (Don Ottavio). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées, DR
Poursuivant son cycle Mozart
confié à Jérémie Rohrer commencé en 2010, le Théâtre des Champs-Elysées a porté
son dévolu pour son centenaire sur le chef-d’œuvre absolu du compositeur
autrichien, Don Giovanni. Deux ans
après un superbe Idomeneo dans ce
même théâtre, Stéphane Braunschweig a été de nouveau sollicité pour mettre en
scène cette nouvelle production.
A l’instar de la conception de
Michael Hanecke pour l’Opéra de Paris (voir 26/03/12), Stéphane Braunschweig
déplace les tribulations du célèbre Burlador de Séville aux temps présents.
Mais au cadre supérieur amoral sévissant dans les bureaux luxueux du quartier de
la Défense à Paris du cinéaste allemand, le metteur en scène français a substitué
un jeune libertin sans état d’âme, d’une vitalité débordante, au souffle pétillant
à jet continu comme des bulles de champagne. Il place pourtant son action au cœur
d’un dispositif tournant en noir et blanc, qui, dans la conception de Braunschweig,
va au-delà du simple machiavélisme. En effet, Don Giovanni, pourtant
susceptible d’incarner le « mal », est continuellement vêtu de blanc,
qu’il soit en costume de ville ou en habit de fête du XVIIIe siècle, le visage recouvert
du masque de la mort, pendant la scène finale du premier acte, n’apparaissant
en noir que lorsqu’il endosse les vêtement de son serviteur, tandis que les
personnages « moraux » sont habillés de noir. Le tout donne le tour d’un
film en noir et blanc des années 1950-1960, tandis que l’orgie qui précède la
scène des masques plonge dans l’univers de Stanley Kubrick, d’Orange mécanique et plus encore d’Eyes
Wide Shut. C’est ici qu’apparaissent les seuls taches de
couleur, celles de beaux costumes de courtisanes à dominante rouge et or.
Miah Persson (Donna Elvira) et Robert Gleadow (Leporello). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysée. Photo : DR
La vision d’ensemble
de Braunschweig est sombre et mortifère, avec une prégnante présence de divers
aspects de la mort et de sa symbolique anthropomorphe, avec en particulier sept
corps en décomposition dominant le plateau enfermés derrière autant de vitrines,
tandis que des lits de morgue et autres tiroirs à cadavres donnant sur un
crématorium occupent l’espace avant qu’y soit finalement précipité Don Giovanni
vivant, après qu’il eut servi au cadavre du Commandeur au début du spectacle.
Mue par une
excellente direction d’acteur, quoique Don Ottavio soit désorienté et par trop indécis,
comme si Braunschweig ne savait pas quoi faire du patient amoureux de Donna
Anna, le rendant excessivement niais considérant la personnalité de l’excellent
titulaire du rôle, la distribution est dominée par la Zerlina fraîche et
spontanée de Serena Malfi, et le Don Ottavio généreux et mâle de Daniele Behle,
ténor lumineux et véloce. Steven Humes campe un impressionnant Commandeur, Nahuel
Di Pierro un Masetto tout d’une pièce. Le Don Giovanni de Markus Werba est un
cran en dessous du Leporello de Robert Gleadow, qui domine son « patron »,
autant physiquement que musicalement, de sa voix plus sombre et pleine. Sophie
Martin-Gregor incarne une Donna Anna un peu trop plaintive, sa voix apparaît blafarde
au début, puis s’échauffe peu à peu, allant s’épanouissant dans une touchante aria « Non mi dir, bell’idol mio », rehaussée de vocalises sûres et
franches. Ce qui n’est pas le cas de la Donna Elvira de Miah Persson, qui n’est
pas toujours juste et dont les vocalises patinent.
Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées, DR
Abondant dans
le sens de la mise en scène, la direction nerveuse et vive de Jérémie Rohrer ne
laisse aucun répit au spectateur, qui, du coup, ne s’ennuie pas une seconde. L’élan
est si fébrile dès le début de l’ouverture - au cours de laquelle on voit Don
Giovanni violer Donna Anna avec une rare violence -, une faute de cor point,
écart de justesse que l’on retrouve ailleurs, notamment au chalumeau dans la
musique de scène du souper. Mais le plus frustrant est l’effectif réduit des
cordes. Si le compte y est, celles utilisées sont dans chair, les sonorités sonnent
aigre et manquent de présence. Au point que les somptueuses volutes du
violoncelle solo dans l’aria de Zerlina,
« Batti batti, o bel Masetto »,
sont inaudibles, écrasées par les bois. Si le panache et l’urgence du drame
sont supérieurement mis en évidence, ils conduisent à une carence côté
sensualité, fluidité, et la délicieuse polyphonie de l’inspiration mozartienne
est édulcorée.
Bruno Serrou
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