Paris, Opéra national
de Paris-Bastille, jeudi 2 mai 2013
Ne donnant pas dans la demi-mesure, à l’exception de l’orchestre,
seul protagoniste capable de rares moments d’onirisme le compositeur lui instillant un élan généreux,
avec des thèmes récurrents, une riche palette sonore fort évocatrice, La
Gioconda d’Amilcar Ponchielli (1834-1886) démontre combien il était difficile en Italie de sortir des canons de l’opéra
selon Verdi. En 1876, année de la création de la première version, c'était cinq
ans après Aïda, et les compositeurs
italiens ne trouvaient pas d’échappatoire au style du maitre vieillissant... Inspiré
de Victor Hugo et sa pièce Angelo, tyran de Padoue (1835), le livret est signé Arrigo Boito,
qui allait signer pour Giuseppe Verdi de somptueux livret, ceux d’Otello et de Falstaff, après avoir révisé Simon
Boccanegra, et ceux de ses propres opéras. Il n’en demeure pas moins que
cet essai avec Ponchielli n’est pas des plus probants, tant l’action est à la
fois compliquée et simplificatrice, à force de manichéisme. Tant et si bien
que, créé le 18 avril 1876 à la Scala de Milan, l’ouvrage ne connaîtra pas
moins de quatre révisions, l’ultime étant donnée en première mondiale le 12
février 1880, quinze ans avant d’être révélé en France, à l’Opéra de Rouen.
La Gioconda, Acte III. Production de Pier Luigi Pizzi. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
Sous
les traits d’un chanteur de rue, Barnaba est en fait un mouchard au service du
pouvoir. Il désire ardemment la belle Gioconda, chanteuse elle aussi. Amoureuse
d’un noble exilé, Enzo Grimaldo, elle repousse Barnaba avec répugnance. Vexé, il
entend se venger. Il commence par exciter la foule contre la Cieca, la mère
aveugle de Gioconda, qu’il accuse de sorcellerie... Condamnée à mort par le
chef de l’Inquisition, la pauvre femme est sauvée in extremis, grâce à l’intervention de Laura émue par la piété de la
Cieca qui la remercie en lui offrant son rosaire. Mais Barnaba découvre que ladite
Laura, épouse d’Alvise Badoero, est aussi l’ancienne promise du Prince de
Gênes, alias Enzo, venu incognito à Venise mû par l’espoir de la retrouver.
Barnaba échafaude alors un plan machiavélique pour atteindre encore plus
cruellement la belle Gioconda, qui se dérobe. Il va favoriser les retrouvailles
et la fuite d’Enzo et de Laura tout en les dénonçant à Alvise pour qu’il les châtie
et les voue à la mort. La machination semble atteindre son but. Mais c’est
sans compter sur la noblesse de cœur de Gioconda… Son amour filial la conduit à
vouer à Laura une reconnaissance éternelle, au point d’oublier leur rivalité. Voulant
assurer aux amants le bonheur qui par ricochet fait son propre malheur, elle va
jusqu’à sacrifier sa propre vie… Cette intrigue alambiquée, qui a pour
cadre Venise au moment du Carnaval et des joutes de gondoles, suscite quantité de
coups de théâtre.
Amilcar Ponchielli (1834-1886). Photo : DR
Pour l’entrée de La
Gioconda de Ponchielli à son répertoire, l’Opéra de Paris a opté non pas
pour une production inédite mais pour un spectacle né à Barcelone voilà huit
ans et ayant déjà fait l’objet de deux publications DVD captées en 2005 et 2006.
La jalousie et la vengeance sont les moteurs de ce mélo où l’excès est continu,
cris, larmes, menaces, tortures, lynchages, beuveries s’enchaînant à jet
continu au point que le spectateur ne trouve aucun moment de répit. Au cœur de
ce mélodrame qui se plaît à jouer avec l’adrénaline de l’auditeur, de grands
mouvements de foule et une série de ballets, dont la célèbre Danse des heures qui a inspiré à Walt
Disney la fameuse séquence des crocodiles et des hippopotame dans Fantasia en 1940. Un « deus ex
machina », le torve Barnaba, préfigure le Iago de l’Otello de Verdi, dont l’auteur du livret est également Boito.
Arrigo Boito (1842-1918). Photo : DR
De cette intrigue machiavélique portée par une musique excessivement
violente, la production présentée à Paris s’en sort avec les honneurs. En
effet, le chef israélien Daniel Oren maintient l’ouvrage dans un registre expertement
contrôlé, incitant l’Orchestre de l’Opéra de Paris à chanter avec souplesse et éclat,
tandis que Pier Luigi Pizzi, qui transpose l’action d’un siècle, passant de la
Venise du XVIIe à celle du XVIIIe, signe une scénographie élégante et
évocatrice d’une Venise grise noyée dans la brume menaçante comme la mort,
jouant à satiété avec les ombres et les contrejours. En revanche, comme
toujours avec le Pizzi, nous avons affaire ici d’avantage à une vision de
scénographe esthète que de metteur en scène de théâtre, les chanteurs étant trop
souvent statiques et la gestique pesante, la direction d’acteur étant réduite au
strict minimum, et les mouvements de foule comme télégraphiés. Ce qui pouvait
passer avec des artistes de la dimension de Marilyn Horne ou de Montserrat
Caballé s’avère désormais plus fâcheux, avec des distributions où le chant,
moins musical, doit impérativement être associé au théâtre.
Danse des heures. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
Certes particulièrement concernée dans le propos, la distribution réunie
pour cette première parisienne de La
Gioconda n’est pas sans défauts. Intensément engagée dans son personnage, Violetta
Urmana déçoit en incarnant une Joconde tonitruante. Luciana D’Intino est infiniment
plus chantante en Laura, mais est contrainte à forcer la note lorsqu’elle se
confronte à La Gioconda-Urmana, ce qui fait de ce duo d’amoureuses des
femmes-harpies. Le seul personnage féminin vraiment touchant et parfaitement
campé est la Cieca de Maria José Montiel, voix moelleuse et profonde. Marcelo
Alvarez brûle les planches, faisant d’Enzo un être de chair et de sang, portant
l’œuvre quasi à lui seul, avec le chef et l’orchestre. Claudio Sgura, voix sombre
mais sans puissance ni coloration, et Orlin Anastassov, voix tendue dans l’aigu
flottant, déçoivent en Barnaba et Badoero. Les longs ballets chorégraphiés par
Gheorge Iancu permettent au beau couple de danseurs Letizia Giuliani et Angel
Corella de briller dans la Danse des
heures qu’ils dansent torse nu.
Bruno Serrou
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