Présenté une première fois en juin 2011, Götterdämmerung est repris cette saison
dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Avec cette
production, l’Opéra de Paris avait enfin réussi la gageure de présenter son
premier Ring complet depuis… 1957. La
représentation du 21 mai 2013 aura été un moment d’émotion pour les Wagnériens
passionnés qui se sont retrouvés à l’Opéra Bastille, tandis que se déroulait au
dehors une fête populaire organisé sous l’intitulé « Concert pour Tous »
pour célébrer le Mariage homo où se sont retrouvés Bertrand Delanoë, la ministre déléguée chargée de la Famille
Dominique Bertinotti, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, le Premier
secrétaire du PS Harlem Désir, alors qu’il ne s’est trouvé aucun
officiel pour célébrer l’anniversaire de Wagner. Il s’agissait en effet de la
soirée de ce que les Wagnériens idolâtres - ils sont nombreux - pouvaient à
juste titre considérer comme la vigie de Noël du Maître saxon, une soirée qui s’est
terminée dans les premières minutes du 22 mai, soit deux cents ans jour pour jour
et presque heure pour heure après la venue au monde de son auteur…
Avant 2011, la dernière tentative d’un Ring complet remontait aux années 1970,
avec le projet avorté confié par Rolf Liebermann à Georg Solti et Peter Stein
qui s’est abruptement terminé à mi-parcours sur Die Walküre. Quant au présent Götterdämmerung,
il reste fort contestable sur le plan scénique. Mais la conception du chef d’orchestre,
Philippe Jordan, a muri. Du coup, la vivacité des tempi, à l’exception du prologue et du premier acte, et le sens des
contrastes se sont affermis. En dépit d’un Siegfried discutable, la
distribution est homogène, tandis que, abstraction faite de quelques dérapages
de cuivres assurément dus à la fatigue (dommage en effet que les cors dérapent
à découvert dès l’attaque du troisième acte, tandis que la trompette solo
défaille ailleurs), l’orchestre de l’Opéra est somptueux, au point que l’on ne
peut que se délecter de la clarté et de la fluidité polyphoniques et de la
chaleur et de la diversité des coloris. Dès l’acte initial, Jordan s’avère plus
dynamique qu’il y a deux ans, le chef suisse y gagnant dix minutes, passant de
deux heures et dix à deux heures. Ce qui n’empêche pas quelques longueurs de
poindre, avec des ralentissements qui plombent la dynamique, élaguent les
reliefs, affectent la théâtralité du volet le plus accompli du cycle, suscitant
ainsi une certaine léthargie au centre du premier acte. Philippe Jordan y ménage
aussi des moments splendides, comme le récit de Waltraute, le deuxième acte en
son entier, la marche funèbre dans l’acte ultime et la scène finale. Il sait également
tirer profit de la pâte sonore et des timbres d’un orchestre de toute évidence
heureux de jouer cette partition foisonnante.
Acte II. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
Mais là où le bât blesse toujours reste la mise
en scène, pire encore dans Götterdämmerung
que dans les autres pages du cycle. Günter Krämer n’aura finalement pas trouvé
la clef capable d’ouvrir son imaginaire, malgré ses deux ans de réflexion. L’on
retrouve évidemment l’escalier monumental déjà vu dans les trois épisodes
précédents et qui occupe toute la largeur du plateau de l’acte II. S’y meuvent
les chœurs en costumes Mao contenus derrière des grilles et agitant de la main
un petit drapeau à l’arrivée du trio Brünnhilde/ Siegfried/Gunther. Auparavant,
le premier acte renferme sa part de bizarreries prêtant à rire, tel le mobilier
du palais des Gibichungen droit sorti d’une sous-marque d’Ikea, et qui ne
craint pas la vulgarité, notamment lorsque Siegfried, apparemment saoul sous
l’effet du philtre d’oubli, se jette sur Gutrune, accoutrée d’un tailleur rouge
mal coupé et d’un chignon de grenouille de bénitier, et la trousse de façon vile,
ou le pacte du sang, sur joué au point d’en devenir ridicule. Le troisième
acte, à la scénographie réduite au strict minimum d’un plateau nu avec pour
seul élément de décor un écran-paravent derrière lequel meurt Siegfried dont le
spectre monte à la cadence de la marche funèbre les gradins d’une vidéo confuse
d’un Walhalla prêt à s’embraser, tandis que Brünnhilde se jette dans un brasier
projeté sur ledit écran-paravent, avant que, sur le plateau nu plongé dans une
lumière bleuâtre, réapparaisse la coque-rocher vue dans la scène initiale de Rheingold, mais cette fois explosée,
tandis qu’est projeté une vidéo où l’on voit au premier plan un luger faisant
un carton sur les héros et les dieux du Walhalla… Alors qu’Alberich errait
voilà deux ans tel un zombi opportunément sauvé par le tomber du rideau, cette
fois il est pourchassé par les Filles du Rhin qui lui plantent une lance dans
le flanc.
Acte III, Immolation de Brünnhilde. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
Comme en 2011, Torsten Kerl est Siegfried. Il manque toujours de puissance vocale et il s’avère
moins endurant tout en restant bien chantant. C’est pourquoi les huées qui l’ont
accueilli au moment des saluts sont apparues déplacées. Après un premier acte
en demi-teinte, Petra Lang, qui succède à Katarina Dalayman et alterne avec Brigitte
Pinter et Linda Watson, est une Brünnhilde rayonnante et sûre, qui impose sa
stature de tragédienne dans le deuxième acte et s’engage sans réserve dans un
finale de grande beauté, sauvant à elle seule le tragique et la théâtralité de
la scène finale. Evgeny Nitikin est un Gunther mâle au timbre séduisant, Peter
Sidhom un Alberich âpre et acide, et les Filles du Rhin, Wiebke Lehmkuhl
(également première Norne), Caroline Stein et Louise Callinan, constituent un
trio d’excellence. Trois chanteurs de premier plan, Hans-Peter König, Hagen
impressionnant de puissance et de haine, qui confirme la belle impression
laissée en 2011, Edith Haller, qui excelle en Troisième Norne et plus encore en
Gutrune, malgré le costume et la coiffure hideux dont elle est affublée, enfin
Sophie Koch, Waltraute éperdue, bouleversante de douleur et d’amour, au point
que l’on oublie que la voix bouge étonnamment et manque de graves.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire