jeudi 2 mai 2013

Don Giovanni de Mozart monochrome de Stéphane Braunschweig teinté par la direction énergique de Jérémie Rohrer


Paris, Théâtre des Champs-Elysées, lundi 30 avril 2013

Serena Malfi (Zerlina), Nahuel Di Pierro (Masetto), Robert Gleadow (Leporello), Sophie Marin-Gregor (Donna Anna) et Daniel Behle (Don Ottavio). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées, DR

Poursuivant son cycle Mozart confié à Jérémie Rohrer commencé en 2010, le Théâtre des Champs-Elysées a porté son dévolu pour son centenaire sur le chef-d’œuvre absolu du compositeur autrichien, Don Giovanni. Deux ans après un superbe Idomeneo dans ce même théâtre, Stéphane Braunschweig a été de nouveau sollicité pour mettre en scène cette nouvelle production.

A l’instar de la conception de Michael Hanecke pour l’Opéra de Paris (voir 26/03/12), Stéphane Braunschweig déplace les tribulations du célèbre Burlador de Séville aux temps présents. Mais au cadre supérieur amoral sévissant dans les bureaux luxueux du quartier de la Défense à Paris du cinéaste allemand, le metteur en scène français a substitué un jeune libertin sans état d’âme, d’une vitalité débordante, au souffle pétillant à jet continu comme des bulles de champagne. Il place pourtant son action au cœur d’un dispositif tournant en noir et blanc, qui, dans la conception de Braunschweig, va au-delà du simple machiavélisme. En effet, Don Giovanni, pourtant susceptible d’incarner le « mal », est continuellement vêtu de blanc, qu’il soit en costume de ville ou en habit de fête du XVIIIe siècle, le visage recouvert du masque de la mort, pendant la scène finale du premier acte, n’apparaissant en noir que lorsqu’il endosse les vêtement de son serviteur, tandis que les personnages « moraux » sont habillés de noir. Le tout donne le tour d’un film en noir et blanc des années 1950-1960, tandis que l’orgie qui précède la scène des masques plonge dans l’univers de Stanley Kubrick, d’Orange mécanique et plus encore d’Eyes Wide Shut. C’est ici qu’apparaissent les seuls taches de couleur, celles de beaux costumes de courtisanes à dominante rouge et or.

Miah Persson (Donna Elvira) et Robert Gleadow (Leporello). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysée. Photo : DR

La vision d’ensemble de Braunschweig est sombre et mortifère, avec une prégnante présence de divers aspects de la mort et de sa symbolique anthropomorphe, avec en particulier sept corps en décomposition dominant le plateau enfermés derrière autant de vitrines, tandis que des lits de morgue et autres tiroirs à cadavres donnant sur un crématorium occupent l’espace avant qu’y soit finalement précipité Don Giovanni vivant, après qu’il eut servi au cadavre du Commandeur au début du spectacle.

Mue par une excellente direction d’acteur, quoique Don Ottavio soit désorienté et par trop indécis, comme si Braunschweig ne savait pas quoi faire du patient amoureux de Donna Anna, le rendant excessivement niais considérant la personnalité de l’excellent titulaire du rôle, la distribution est dominée par la Zerlina fraîche et spontanée de Serena Malfi, et le Don Ottavio généreux et mâle de Daniele Behle, ténor lumineux et véloce. Steven Humes campe un impressionnant Commandeur, Nahuel Di Pierro un Masetto tout d’une pièce. Le Don Giovanni de Markus Werba est un cran en dessous du Leporello de Robert Gleadow, qui domine son « patron », autant physiquement que musicalement, de sa voix plus sombre et pleine. Sophie Martin-Gregor incarne une Donna Anna un peu trop plaintive, sa voix apparaît blafarde au début, puis s’échauffe peu à peu, allant s’épanouissant dans une touchante aria « Non mi dir, bell’idol mio », rehaussée de vocalises sûres et franches. Ce qui n’est pas le cas de la Donna Elvira de Miah Persson, qui n’est pas toujours juste et dont les vocalises patinent.

Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées, DR

Abondant dans le sens de la mise en scène, la direction nerveuse et vive de Jérémie Rohrer ne laisse aucun répit au spectateur, qui, du coup, ne s’ennuie pas une seconde. L’élan est si fébrile dès le début de l’ouverture - au cours de laquelle on voit Don Giovanni violer Donna Anna avec une rare violence -, une faute de cor point, écart de justesse que l’on retrouve ailleurs, notamment au chalumeau dans la musique de scène du souper. Mais le plus frustrant est l’effectif réduit des cordes. Si le compte y est, celles utilisées sont dans chair, les sonorités sonnent aigre et manquent de présence. Au point que les somptueuses volutes du violoncelle solo dans l’aria de Zerlina, « Batti batti, o bel Masetto », sont inaudibles, écrasées par les bois. Si le panache et l’urgence du drame sont supérieurement mis en évidence, ils conduisent à une carence côté sensualité, fluidité, et la délicieuse polyphonie de l’inspiration mozartienne est édulcorée.

Bruno Serrou


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