lundi 30 janvier 2012
A l’Opéra de Lyon, Il Trittico de Puccini à l’aune de Schönberg, Hindemith et Zemlinsky
Lyon, Opéra National, vendredi
27, samedi 28, dimanche 29 janvier 2012
Depuis 2005, l’Opéra National de
Lyon intègre au sein de ses saisons un festival autour d’une thématique. Après trois
portraits de femmes de Janacek, Offenbach et Weill, l’Amour soupçon, Tchaïkovski
et Pouchkine, Mozart et Da Ponte, le Japon vu par l’opéra occidental, Serge
Dorny, directeur du premier théâtre lyrique de France après Paris, propose un
rendez-vous qu’il a intitulé « Puccini Plus ». Un cycle dont l’ossature
est le Triptyque Il Tabarro (La Houppelande) Suor Angelica (Sœur Angélique) et Gianni Schicchi qui a été créé au Metropolitan Opera de New York en
1918. Chacun de ces actes est mis en regard d'un ouvrage de la même époque en
langue allemande et au sujet plus ou moins comparable. Il est en effet très
rare de pouvoir apprécier ces trois opéras dans une même
production, les théâtres choisissant généralement de coupler l’un ou l’autre avec un ouvrage d’un autre compositeur. L’Opéra de Lyon a
choisi d’alterner les deux options, proposant le triptyque en une fois ou en
trois soirées successives. Cette dernière proposition est d’autant plus
intéressante qu’elle permet d’apprécier ces œuvres et leur auteur à l’aune de
partitions expressionnistes plus rares encore et signées d’auteurs réputés pour
leur forte personnalité : Il Tabarro et Von heute auf morgen (D’aujourd’hui à demain) d’Arnold Schönberg,
Suor Angelica et Sancta Susanna de Paul Hindemith, Gianni Schicchi et Eine
florentinische Tragödie (Une tragédie
florentine) d’Alexandre Zemlinsky. Soit
six opéras en un acte dont la création s’est échelonnée sur un peu plus d’une
décennie.
Ces trois soirées s'avèrent passionnantes,
tant sur le plan historique que musical, stylistique, dramatique
et psychologique. Il est en effet instructif de mesurer la place de
premier plan qu’occupe Puccini, compositeur populaire souvent réduit au rang de
musicien tendant à la facilité mélodique pour séduire un large
public. D'autres le considèrent à juste titre comme un créateur complexe et
exigeant, autant pour son imaginaire musical que pour ses livrets, pour
lesquels il n’a pas craint d’user plusieurs équipes de collaborateurs dans le but
d'obtenir des textes vifs et dramatiques. Chez Puccini en effet, paroles et
musique sont traitées à parts égales au seul service du théâtre. Mais cette
conception de l’opéra était générale à l’époque, stimulée par le cinéma et la
radio, du moins en Allemagne, avec l’expressionnisme, et en Italie, avec le
vérisme, d’autant plus lorsqu’il est transcendé par Puccini. La première
soirée réunit le seul ouvrage au sujet frivole du Viennois Arnold Schönberg (1874-1951)
Von heute auf morgen (1930) et le
premier volet du triptyque de Puccini (1858-1924), Il Tabarro (La Houppelande)
(1918) sur un livret de Giuseppe Adami d’après Didier Gold, sombre mélodrame
qui dépeint la violence des passions amoureuses (adultère, jalousie, vengeance)… Signé Max Blonda, pseudonyme de l’épouse du compositeur, le livret de l’opéra
de Schönberg aux élans féministes est d’une vérité crue des plus contemporaines,
avec ce couple sans nom qui se dispute le droit à la liberté individuelle, et
dont la conclusion, donnée par l’enfant, est des plus plaisantes de la part de Schönberg
accusé d’avoir détruit l’équilibre tonal, « Maman, c’est quoi, les gens modernes ? »
La deuxième soirée associe deux opéras uniquement chantés par des femmes et dont
l’action aux relents blasphématoires se situe dans un couvent, le bref et troublant
Sancta Susanna (1922) de Paul
Hindemith (1895-1963) et le non moins violent Suor Angelica (1918), volet central du triptyque puccinien. Composé à partir d’une pièce à scandale de l’auteur
expressionniste allemand August Stramm, créé en 1921 à Berlin, l’ouvrage de
Hindemith reflète l’esprit provocateur de leurs auteurs, qui, aujourd’hui
encore, fait scandale avec son sujet pour le moins blasphématoire tournant
autour de la frustration et des fantasmes sexuels d’une religieuse, Susanna,
une nuit de mai alors qu’elle a entendu les cris alanguis d’un couple faisant l’amour près de la chapelle où elle priait. Exacerbant le désir et les délires de Susanna qui assimile Jésus et Eros,
Hindemith et Framm signent un spectacle d’une demi-heure d’une violence extrême. S'il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre, l’ouvrage n’en conserve pas moins un
caractère didactique sur l'époque. Pour la deuxième pièce de son triptyque, Puccini a fait
appel à Giovacchino Forzano dont le livret conte le tragique destin d’une femme
innocente et fragile, Suor Angelica, cloîtrée contre sa volonté pour avoir mis
au monde un enfant hors mariage et que la cruauté du monde va broyer en l’acculant
au suicide. Enfin, la troisième soirée rassemble deux opéras sur la duperie
ayant Florence pour cadre. Le premier, Une
Tragédie florentine (1916) du Viennois Alexandre Zemlinsky (1871-1942),
beau-frère et unique professeur de Schönberg, d’après la pièce éponyme posthume (1903) du
Britannique Oscar Wilde (1854-1900), est une œuvre à trois personnages contant l’histoire du commerçant juif Simone, qui pressent que sa femme Bianca et le
prince Guido Bardi sont amants. Pourtant, le soir qui les réunit incidemment
tous les trois, il se contient, mais n’en finit pas moins par tuer en duel son rival sur le cadavre de qui le couple se réconcilie. En dépit de son expressionnisme exalté,
l’ouvrage, construit en quatre mouvements de symphonie, est un modèle
d’objectivité. Le second, Gianni Schicchi,
puise dans L’Enfer de Dante pour un
opéra-bouffe à l’humour macabre, grinçant et amoral (la captation d’un héritage
par le biais d’un faux testament). A l’instar d’un Falstaff chez Verdi ou d’un Von
heute auf morgen pour Schönberg, cet
opéra fait exception dans l’œuvre de Puccini. Ainsi mis en lumière, les
compositeurs s’éclairent les uns les autres, Schönberg s’avérant plus lyrique, Puccini
plus novateur et singulier Zemlinsky extraordinairement dramatique, Hindemith
plus expressionniste…
Le cycle « Puccini plus »
est constitué de quatre nouvelles productions et de deux reprises (Il Tabarro et Une tragédie florentine, qui datent de 2007), toutes lyonnaises.
Trois sont signées d’une même équipe scénographique, trois d’équipes
différentes. Les Puccini sont mis en scène par le Britannique David Pountney,
qui anime des distributions riches et bariolées avec la maîtrise d’un grand
directeur d’acteurs, dans des décors assez touffus, du moins dans les volets
extrêmes dominés par un même container ouvert en son centre symbolisant dans Il Tabarro la soute d’une péniche et
dans Gianni Schicchi la chambre
coffre-fort mortuaire scénographiés par Johan Engels et éclairés par Fabrice Kebour de
sombre façon dans le premier et de façon pompeuse dans le second, tandis que dans
Suor Angelica le décor bleu pâle est
une cour entourée de mini cellules et orné en son centre d’un bassin
transparent surmonté d’une imposante vierge sulpicienne. Dans des mises en scènes
très théâtrales de John Fulljames, ces deux mêmes
scénographes illustrent de façon idoine l’opéra de Schönberg, dont le portail
pentu indique le titre de l’œuvre et son auteur derrière lequel se déroule l’action
dans un mobilier contemporain clinquant, et celui de Hindemith dominé par un
autel surplombé d’un Christ immense, tandis que Une tragédie florentine reste
comme l’une des plus belles réussites de Georges Lavaudant, magnifiée par la
scénographie de Jean-Pierre Vergier, murs inclinés traversés d’ombres vidéo et percés
de deux portes qui renforcent l’impression d’enfermement psychologique. Deux
chefs situés à deux pôles de leurs carrières artistiques se partagent les
opéras, le jeune Italien Gaetano d’Espinosa (33 ans) pour les Puccini, le vétéran
allemand Bernhard Kontarsky (74 ans) pour les opéras germaniques, tous deux remplaçant
Lothar Koenigs, souffrant, et qui dirigent avec
ferveur et de façon idiomatique leurs ouvrages respectif à la tête d’un
Orchestre de l’Opéra de Lyon répondant au cordeau. 40 chanteurs, dont 2 enfants
et 12 membres du chœur de l’Opéra lyonnais ont été requis pour ces six opéras. Au
sein de cette énorme distribution, citons l’impressionnant trio Martin Winkler,
Gun-Brit Barkim, Thomas Piffka dans Une
tragédie florentine, la solide et imperturbable Agnes Selma Weiland dans Sancta Susanna et Gianni Schicchi, l’ardente Csilla Boross et l’autoritaire Natascha
Petrinsky dans Suor Angelica et Il Tabarro, le plaisant couple querelleur
Wolfgang Newerla/Magdalena Anna Hofmann dans Von heute auf morgen, le séduisant Thiago Arancam (Il Tabarro), le puissant Werner Van
Mechelem, plus à l’aise en Michele dans Il
Tabarro qu’en Schicchi, la brûlante Ivana Rusko en Lauretta dans Gianni Schicchi et Sœur Geneviève dans Suor Angelica…
Bruno Serrou
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