mardi 31 janvier 2012
Création scénique à l'Opéra Garnier de La cerisaie de Philippe Fénelon d’après Tchekhov
Paris, Opéra Garnier, lundi 30 janvier 2012
Pour son sixième opéra, le troisième donné à
l’Opéra de Paris après Salammbô et Faust, Philippe Fénelon (né en 1952) a
porté son dévolu sur une pièce d’Anton Tchekhov (1860-1904), La Cerisaie, comédie en quatre actes créée
en 1904 dont il n’a retenu que le troisième, le Bal. Fondé sur un texte écrit en
russe, avec des rôles masculins confiés à des femmes et un emploi féminin à un
homme, il est difficile de ne pas penser avec cette Cerisaie au chef-d’œuvre du Hongrois Péter Eötvös créé à l’Opéra de
Lyon en 1999, Trois Sœurs, également adapté
de Tchekhov, chanté en russe et aux personnages féminins exclusivement dévolus
à des hommes (quoique Eötvös laisse expressément la porte ouverte à une
distribution féminine). Mais la comparaison s’arrête là, car la partition de
Fénelon est loin d’être aussi puissante, intense, originale et évocatrice que
celle de son aîné, qui signait pourtant à cette occasion son tout premier
opéra. Un an après Akhmatova de
Bruno Mantovani, autre opéra russe créé à l’Opéra Bastille, l’Opéra de Paris
reste en Russie dans le domaine de la création contemporaine, cette fois sur un
livret d’Alexei Parine (né en 1944) et confié à une distribution presque
exclusivement russe.
Cet ouvrage de
deux heures équitablement réparties entre deux actes de six scènes chacun, le
premier focalisé sur le bal le second sur d’intimes aveux, l’un précédé d’un
prologue l’autre suivi d’un épilogue pour former la symétrie, n’a pas véritablement pris
la mesure de l’extraordinaire puissance psychologique des personnages de
Tchekhov. Illustrant la nostalgie suscitée par la vente d’une propriété
séculaire par une noble famille en déconfiture à l’un de ses anciens moujiks, la
partition est plombée par les renvois incessants à l’histoire de l’opéra, que
le compositeur connaît parfaitement(1), singulièrement celui du XXe
siècle, avec des renvois continus à Berg (les premières mesures, les musiques
de bastringue et de fanfare entre autres) et à Messiaen, qui fut le professeur
de Fénelon au Conservatoire de Paris, et ne peut donner une réelle
consistance charnelle et tangible aux personnages. Cependant de rares moments
de lyrisme aux élans sincères et à l’articulation plus personnelle captent de
temps à autres l’attention de l’auditeur, particulièrement dans le second acte,
avec les souvenirs du vieux serviteur Firs, la confession de Liouba et les
aveux du marchand Lopakhine. L’écriture vocale de Fénelon reste dans la ligne
imprimée depuis le Chevalier imaginaire en 1984, tendue et uniformément
déclamée, tandis que l’orchestration s’impose dans les passages les plus délicats.
Fort bien dirigée par Georges Lavaudant qui signe une mise en scène brillante
mais dans des décors frigorifiques de Jean-Pierre Vergier faits d’énormes
troncs aux branches sans feuilles tordues et entortillées qui sont loin de
suggérer la nature luxuriante évoquée dans le texte, la troupe de chanteurs, où
brillent notamment Elena Kelessidi (Liouba), Alexandra Kadurina (Gricha), Ulyana
Aleksyuk (Ania), Anna Krainikova (Varia), Ksenia Vyaznikoya (Firs), Mischa
Schelomianski (Charlotta) et Igor Golovatenko (Lopakhine), s’avère fort
homogène, tandis que Tito Ceccherini impose sa direction précise et solide qui distille
un peu d’authenticité à cette œuvre saturée de références et permet à l’Orchestre
de l’Opéra d’exceller.
Bruno Serrou
1) Il est l’auteur
de Histoires d’opéras (Editions Actes Sud, 2007) et de L’Opéra l’incandescence
lyrique (Editions Musica Falsa, 2010)
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