Théâtre du Châtelet, vendredi 13 et samedi 14 janvier 2012
Après le Finlandais Esa-Pekka
Salonen en février 2011, musicien à l’aura internationale acquise comme chef
d’orchestre davantage que comme compositeur, le festival de création musicale
de Radio France Présences, qui se déroule cette année encore Théâtre du
Châtelet, a pour figure centrale de sa vingt-deuxième édition l’Argentin Oscar
Strasnoy. « Lorsqu’il m’a été proposé voilà deux ans d’être l’invité de cette
édition de Présences, je n’y ai dans un premier temps pas prêté attention, m’a déclaré le compositeur
pour le quotidien La Croix. Je me
trouvais en effet à Ekaterinbourg quand j’ai reçu un appel de Marc-Olivier Dupin, alors
directeur de la Musique à Radio France qui dirigeait le Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris quand j’y étais étudiant. Mais cette
idée m’a paniqué ! » Strasnoy s’est néanmoins décidé à relever le
défi non sans se précipiter sur ses partitions pour les corriger avant de
choisir les plus méritantes.
Né en 1970 dans une famille
« juive agnostique » d’origine russe comprenant un certain nombre de
musiciens installée à Buenos Aires, où il a très tôt commencé l’étude du piano,
pour aborder à 15 ans la composition et la direction d’orchestre, naturalisé
Français vivant moitié à Paris moitié à Berlin, ancien élève des Conservatoires
de Paris et de Francfort, Strasnoy est un compositeur iconoclaste. Riche en
influences littéraires et cinématographiques, bariolée, pleine d’esprit et de
bonne humeur, revendiquant son métissage, sa musique se veut avant tout discursive.
Soucieux de théâtralité, son langage s’approprie, réinvente, détourne le
patrimoine musical sans tomber dans le pastiche, et ne craint pas d’être corrosif, comme l’atteste sa « tragédie barbare » Cachafaz de Copi créée en 2010 à Quimper.
L’opéra et le théâtre musical sont au centre des préoccupations de
Strasnoy ; une création lyrique hors normes ouverte par Midea en 1996, qui lui a valu le Premio
Orpheus attribué par Luciano Berio, suivi de deux ouvrages d’après Witold
Gombrowicz, Opérette et Geschichte, toujours pour formations
réduites, sur des textes éclatés et une dramaturgie hors contingences. Ce que devrait
conforter le nouvel opéra sur lequel il travaille actuellement, une commande de
l’Opéra de Bordeaux pour la fin de l'année en cours sur un texte russe de Daniils
Harms (1905-1942), Slutchaï (Incident), succession de vingt-cinq
saynètes. « L’idée littéraire, le texte déterminent mon envie de composer,
tandis que la langue conditionne musicalité et dramaturgie : le russe est
dans la vitesse d’exécution, l’anglais est haché, l’italien incite à la
mélodie... Ma musique se veut au service du théâtre, ce qui m’incite à la
citation et à puiser dans le patrimoine populaire. » Si bien que, quelles
que soient les circonstances, l’œuvre de Strasnoy est avant tout illustrative.
« Mon imaginaire n’est pas conceptuel, reconnaît-il. J’aime travailler en
équipe, avec dramaturges, metteurs en scène et interprètes. C’est pourquoi, en
cours d’écriture, je me propose d'animer des ateliers à mi-parcours avec les divers
intervenants dans les productions afin de juger en groupe de la façon dont
sonne et fonctionne l’œuvre en devenir. Je compose à la mesure des interprètes,
comme Berio par exemple pour ses Sequenze. »
Le concert
d’ouverture n’a malheureusement pas été à la hauteur de l’attente suscitée par
ce que nous connaissions jusqu'à présent de Strasnoy. Tout d’abord en raison d’une salle moins remplie que d’habitude à
cause de la politique tarifaire décidée par la direction de la Musique de Radio
France, qui, après vingt ans de gratuité, a choisi de faire payer les plus de
28 ans, ce qui ne peut que handicaper un compositeur à découvrir encore d'un public potentiel qui assistait encore l'an dernier au festival. Autre déception, due cette fois aux
défaillances étonnantes de la formation amirale de Radio France, l’Orchestre National de France,
en petite forme dirigée sans panache par la jeune chef estonienne Anu Tali.
Les quatre Interludes marins et la Passacaille extraits de l’opéra Peter Grimes de Benjamin Britten ont non
seulement été victimes de
sérieux décalages et approximations, mais surtout d'une vision terne au
point
de rendre cette musique
ennuyeuse. Le comble
pour ces pages particulièrement imagées. Quant à
l’opéra
pour six solistes et orchestre le Bal d’Oscar Strasnoy, l’impression
eut
sans doute été toute autre avec un orchestre plus enthousiaste et
homogène. Il
convient néanmoins de constater que le livret de Matthew Jocelyn adapté de
la
nouvelle éponyme d’Irène Némirovsky (1903-1942) publiée en 1930 est une
réussite.
Bien qu'assistant à un oratorio mis en espace, le spectateur a pu suivre l’action
de cet
opéra créé le 7 mars 2010 à l’Opéra de Hambourg grâce aux illustrations
colorées et facétieuses de Hermenegildo Sabat mettant les personnages en
situation et au jeu des chanteurs conforme aux indications du librettiste
et à
leur diction claire. Trine Wilsberg Lund campe (Antoinette) une
délicieuse
adolescente revêche et mutine, Myriam Gordon-Stewart est une Rosine
nouveau-riche
plus vraie que nature, Fabrice Dalis un fourbe mari banquier, Anne-Beth
Solvang
une duègne déjantée, tandis que Chantal Perraud (Mlle
Isabelle,
professeur de piano) et Hugo Oliveiro (le domestique Georges) sont du même tonneau. Reste la musique, imprégnée d’influences diverses, de la musique
Klezmer à Mahler, ce qui, à force d'inciter à la recherche de les sources, perturbe la concentration nécessaire à l’écoute d’une partition
sans cesse mouvante, qui rebondit constamment et
qui s’amuse goulument...
En
revanche, le second concert Strasnoy en soirée du week-end (il y en avait
deux l’après-midi de samedi et deux dimanche après-midi) a été donné par un excellent Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé de superbe
façon par Dima Slobodeniouk. Le chef russe a ainsi pu restituer toute la magie et
l’élan poétique du Chant du Rossignol
qu’Igor Stravinsky a tiré en 1919 pour les Ballets russes de son opéra Rossignol adapté d’un conte d’Andersen et
créé en 1914 dont il reprend l’essentiel des deuxième et troisième actes. Les
trois œuvres de Strasnoy présentées avant celle de Stravinsky sont des hybrides
bien écrits mais trop emplis de citations et références pour être personnelles,
même si le tout est bien agencé et adopté ouvertement par le compositeur. La
première page du triptyque d’hier soir, Incipit
(Sum 1) commande de Radio France composée en 2008-2011 et dédiée à Péter Eötvös,
était donnée en création mondiale, tandis que Scherzo (Sum 3), composé
en 2005 pour l’Orchestre National d’Ile-de-France(1), cite littéralement entre
autres l’ultime sonate pour piano de Schubert reprise à l’envi par le piano de l’orchestre.
Hommages à Berio, les Trois Caprices de
Paganini de Strasnoy sont une succession de paraphrases en forme de concerto
pour violon et orchestre donné en création mondiale par leur dédicataire, la violoniste
Latica Honda-Rosenberg, le mouvement initial se fondant sur le premier des 24 Caprices pour violon op. 1 du maestro
italien, le mouvement lent sur le sixième et le finale sur le vingt-quatrième. Cette
musique fort sympathique et ludique est d’un musicien cultivé au cœur généreux,
mais ne bouleverse et ne surprend guère. Ce qui n’explique pas la désertion du
public, car, plus encore que la veille, le Théâtre du Châtelet était hier soir peu
fréquenté…
Bruno
Serrou
1) Nous nous faisons ici volontiers le relais d’un appel de l’ONDIF :
« L’Orchestre National d’Île de France est en danger !
Créé en 1974
à l’initiative de Marcel Landowski, alors directeur de la Musique d’André
Malraux, l’Orchestre National d’Île de France est composé actuellement de 117
salariés dont 95 musiciens.
Co-financé par le Conseil Régional d’Île-de-France et l’Etat, c’est la seule formation à avoir pour mission la diffusion de la musique symphonique sur l’ensemble du territoire francilien, notamment en dehors du périphérique.
Co-financé par le Conseil Régional d’Île-de-France et l’Etat, c’est la seule formation à avoir pour mission la diffusion de la musique symphonique sur l’ensemble du territoire francilien, notamment en dehors du périphérique.
Il offre à
nos 11 millions de concitoyens la possibilité d’entendre les grandes œuvres du
répertoire et mène une politique culturelle très engagée qui le place dans les
10 orchestres les plus remarqués dans ce domaine.
Le 4 octobre
dernier, la Direction régionale deglobale
de l’État) sur quatre ans, la ramenant ainsi au niveau du début des
années
1980.
Cette
décision sans concertation préalable et en totale contradiction avec les
propos
tenus en septembre par monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la
Culture et
de la Communication, place dès janvier prochain l’Orchestre National
d’Île de
France en danger.
À ce jour,
c’est le seul orchestre symphonique à être visé par ce recadrage
budgétaire.
Cette décision remet en cause la réalisation des missions de service des affaires culturelles (DRAC) a annoncé la décision de réduire sa subvention de 700 000 € (33 % de la subvention
Cette décision remet en cause la réalisation des missions de service des affaires culturelles (DRAC) a annoncé la décision de réduire sa subvention de 700 000 € (33 % de la subvention
public de
l’orchestre : missions territoriales, éducatives et sociales.
Face à cette décision brutale et injustifiée, le conseil
d’administration demande que la situation fasse l’objet d’un moratoire.
Pour nous soutenir, signez notre pétition :
http://www.orchestre-ile.com/petition/index.php?petition=4&signe=oui »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire