vendredi 1 novembre 2024

L’Orchestre de Paris a brillé sous la direction de Kirill Karabits, qui a serti une somptueuse étoffe sonore à une Khatia Buniatishvili apathique

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 30 octobre 2024

Kirill Karabits, Orchestre de Paris. Photo : (c) Ondine Bertrand

Chef ukrainien remarquable de finesse, d’élégance, de précision, de bonheur de diriger (par cœur) un programme pourtant difficile à unifier, Kirill Karabits, à la tête d’un Orchestre de Paris rayonnant, sauvant par son attention soutenue et son chant chaleureux le Concerto n° 2 de Rachmaninov par une Khatia Buniatishvili distante et froide, au son étriqué, aux doigts engourdis, au point de distiller l’ennui. Ce que la pianiste géorgienne fera de nouveau dans ses bis, Sérénade (Schwanengesang) de Schubert/Liszt, une compilation de la 8e Rhapsodie hongroise de Liszt avec clusters, et un arrangement terre à terre de La bohème d’Aznavour. Une scintillante Deuxième Symphonie de Scriabine a permis à l’orchestre de s’illustrer, tandis que chaque partie était préludée par une œuvre rare, un poème symphonique très rimskien (Ange) de l’Ukrainien Théodore Akimenko et une pièce d’orchestre (Knell) puissante et créative de l’Iranienne Niloufar Nourbakhsh 

Khatia Buniatishvili, Orchestre de Paris. Photo : (c) Ondine Bertrand

Devant un public conquis d’avance, Khatia Buniatishvili s’est montrée plus contrainte et moins relâchée que d’habitude, comme intimidée par la tâche qu’il lui fallait assurer devant la montagne que représente le Concerto n°2 pour piano et orchestre en ut mineur op. 18 de Serge Rachmaninov. Les mains de la pianiste géorgienne n’ont fait qu’effleurer le clavier, sans pouvoir détacher de ce dernier la moindre sonorité pleine et colorée, l’interprétation sans consistance se faisant plate lecture, sans contrastes ni nuances, annihilant tout élan et vitalité, ce qui est le comble pour l’un des concertos pour piano les plus expressifs, mélodiques et virtuoses de l’histoire du genre. Cognant moins que de coutume sur les touches du piano, elle a néanmoins vidé la célèbre partition de toute consistance, noyant sous un flot de pédales, confondant vitesse et précipitation, tandis que le son est resté étriqué et sans carnation. Heureusement pour elle, l’Orchestre de Paris a sonné de façon séduisante avec ses magnifiques solos de bois et de cors, tandis que Kirill Karabits particulièrement attentif à sa soliste, veillait à éviter tout décalage, rattrapant sans attendre tout écart. Le succès était néanmoins assuré, tant l’impact des médias « main stream » et de nombre d’institutions est puissant, et les rappels appuyés ont conduit la pianiste à donner trois bis tout aussi apathiques et monotones, la Sérénade S. 560/VII tirée du Schwanengesang de Franz Schubert arrangé pour piano seul par Franz Liszt, un pot-pourri de la huitième Rhapsodie hongroise de Franz Liszt, et pour finir dans le domaine de la variété pour célébrer le centenaire du chanteur comédien, une transcription de la chanson La bohème de Charles Aznavour…

Khatia Buniatishvili, Kirill Karabits; Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour ses débuts avec l’Orchestre de Paris, Kirill Karabits, chef principal du Bournemouth Symphony Orchestra depuis quinze ans, a remarquablement injecté souffle, unité et couleurs caractéristiques à l’orchestration des quatre œuvres programmées, donnant chair et consistance à la Symphonie n° 2 en ut mineur op. 29 d’Alexandre Scriabine. Composée en cinq mouvements en 1901 adoptant une forme cyclique tripartite (le long Andante central qualifié de « jardin des délices » est isolé), le thème initial au ton sombre exposé par la clarinette solo (magnifique prestation de Pascal Moraguès) au début de la symphonie se déployant durant les quarante minutes de l’œuvre, à l’exception de l'Allegro, pour se conclure en une parade militaire triomphale annonçant plus ou moins la maturité du compositeur russe. Cette œuvre qui connut l’échec lors de sa création à Saint-Pétersbourg le 12 janvier 1902 n’est pas l’une de ses partitions d’orchestre les plus ingénieuses, a été remarquablement servie par un Kirill Karabits sollicitant judicieusement les textures soyeuses de l’Orchestre de Paris, différenciant avec justesse les plans et les couleurs de l’orchestration, restituant grâce à un Orchestre de Paris en verve, la fluidité et la transparence contrastant à la perfection avec la compacité et la nervosité acérée de certains passages.

Kirill Karabits, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Le chef ukrainien dirigeant avec fougue et minutie, le geste ample, précis et souple tout en soutenant attentivement les solos dans chacune des œuvres aux caractères marqués, jusques et y compris les deux pages plus brèves qui ont préludé à chacune des parties du concert, à commencer par une œuvre de son compatriote Théodore Akimenko (1876-1945), élève de deux des membres du Groupe des Cinq russe, Mili Balakirev et de Rimski-Korsakov, également professeur d’Igor Stravinski à Saint-Pétersbourg qui s’exila à Prague puis en France, où il s’installa en 1928 et mourut à Nice. Le poème nocturne pour orchestre d’une douzaine de minute intitulé Ange qu’a dirigé Karabits a été composé en 1924 sur un poème éponyme de Mikhaïl Lermontov (1814-1841) et a été dédié à l’éditeur parisien Alphonse Leduc, est clairement estampillé Rimski-Korsakov par la richesse de son orchestration et sa force évocatrice. La seconde partie était ouverte par une courte page d’orchestre de l’Iranienne Niloufar Nourbakhsh (née en 1992), Knell (Glas) composée en 2019 mais donnée par l’Orchestre de Paris dans sa version révisée en 2023 et créée le 10 décembre de la même année lors de la remise du Prix Nobel de la Paix. Cette partition richement colorée, alliant judicieusement les traitements les plus contemporains des instruments de l’orchestre symphonique occidental aux couleurs orientales, pour évoquer l’universalité du ressenti des derniers instants de la vie à partir d’éléments liés à l’histoire de la compositrice exilée à New York, et de son pays, l’Iran. La brièveté de cette touchante partition a conduit le chef à l’enchaîner directement avec le symphonie de Scriabine, ce qui s’avèrera regrettable car, outre le fait que les deux œuvres n’avaient aucun élément commun, cela a conduit la compositrice à ne pas se rendre sur le plateau pour recueillir des applaudissements qu’elle eût méritée, malgré l’instance du chef à la trouver parmi le public pour la faire monter sur le plateau…

Bruno Serrou

 

 

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