Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 6 novembre 2024
L’Orchestre de Paris et son directeur musical Klaus Mäkelä ont célébré ce
soir le centenaire de la disparition de Gabriel Fauré (1845-1924) dans un
programme de saison puisqu’autour de la mort, une mort mue par l’espoir de la
transfiguration. Un Requiem op. 48 dans sa version 1900, enchaîné à la création
Thierry Escaich « complétant » Fauré, Towards the Light, avec trois percussionnistes avec effets « contemporains » en plus de
l’orchestre Fauré, mais d’un esprit loin du Requiem, cela après un puissant Mort
et Transfiguration de Richard Strauss et
un splendide L’Ascension de Messiaen
(donné pour la deuxième fois par l’OP depuis 1992), avec des cuivres
éblouissants (Majesté du Christ), des bois et des cordes d’une ardeur
saisissante
Quatre jours après le Jour des
Morts, qui est le 2 novembre, et en écho à la plus fameuse des partitions de
Gabriel Fauré, mort voilà cent ans, le paisible Requiem op. 48, l’Orchestre de Paris a présenté trois autres
partitions inspirées par le but suprême de toute vie terrestre, la mort, et ses
espoirs d’éternité de l’âme. Le cœur de la soirée aura bien évidemment été le Requiem op. 48 de Gabriel Fauré.
Chef-d’œuvre de la musique française d’essence sacrée, cette partition n’a rien
des grandes fresques sonores aux élans tragiques qu’inspire généralement
l’office funèbre catholique, le compositeur, qui s’inspire des musiques
anciennes enseignées à l’école de Louis Niedermeyer (1802-1861), de Grégoire le
Grand à Palestrina, faisant notamment abstraction du Dies Irae remplacé par le motet de l’élévation Pie Jesu à l’instar du rite dit parisien, Tandis que Fauré fusionne
la communion Lux aeterna et les deux
antiennes des obsèques In Paradisum et
Chorus angelorum. La version originale, achevée en janvier 1888,
ne compte que cinq parties avec chœur à six voix et soprano garçon,
l’orchestration réunissant harpe, orgue, timbales et excluant les bois, les
cuivres et les violons (à l’exception d’un seul), ce qui donne à l’œuvre de
sombres couleurs. Cinq ans plus tard, Fauré ajoute l’Offertoire et le Libera me,
ajoutant le baryton solo, les cuivres (quatre cors, deux trompettes, trois
trombones), deux bassons et les violons, version qui restera inédite du vivant
du compositeur. L’Orchestre de Paris a naturellement porté son dévolu sur la
version destinée au concert, pour grand orchestre réalisée en 1900 et créée à
Lille le 6 avril de la même année. La partie vocale est inchangée, bien que la
voix de soprano puisse être indifféremment confiée à une femme ou à un enfant,
mais les pupitres de bois (flûtes, clarinettes et bassons par deux), cuivres
(quatre cors, deux trompettes, trois trombones) et cordes (quinze violons à
partie unique, douze altos, dix violoncelles, huit contrebasses) sont étoffées. De grande cohésion, le Chœur
de l’Orchestre de Paris était un peu trop fourni avec ses quelques cent-cinquante
chanteurs, les deux solistes étaient placés entre ciel et terre (superbe Jean-Sébastien
Bou, Sarah Aristidou solide à la voix trop incarnée dans le Pie Jesu), tandis que le magnifique Agnus Dei aura constitué le sommet de cette interprétation.
Sans pause, coupant court à toute tentative
d’applaudissements, Klaus Mäkelä a enchaîné au Requiem de Fauré une œuvre nouvelle de Thierry Escaich, actuel compositeur
en résidence de l’Orchestre de Paris. Un mois après la création de son deuxième concerto pour
violon (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/10/impressionnante-premiere-avec.html),
le compositeur organiste donnait en première parisienne à l’Orchestre de Paris l’un
des trois commanditaires de la partition, Towards
the Light (Vers la Lumière), qui
complète le rituel des morts en ajoutant ce qui correspond à un Lux aeterna absent dans l’opus
48 de Fauré et qui se présente ainsi comme un complément ou une réponse au Requiem de Fauré. Créé le 9 octobre
dernier à Toulouse en la basilique Saint-Sernin par l’un de ses autres
commanditaires, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et le Chœur Philharmonique
de Tokyo dirigés par Kazuki Yamada, l’œuvre réunit le même effectif que celle
de Fauré, substituant néanmoins aux timbales trois percussionnistes à qui
revient un large instrumentarium (claviers,
crotales, cloches tubes, tams-tams). Le brillant orchestrateur qu’est Escaich élargit
ainsi le panel de couleurs de l’orchestre fauréen, tout en amplifiant sa
luminosité, notamment par le biais de sa percussion associée à la harpe et à l’orgue,
ce qui engendre un climat et une spiritualité plus lumineuse et aérée que l’œuvre
à laquelle elle fait écho.
Ce concert au climat funèbre
débutait avec deux œuvres d’orchestre seul obéissant à un programme clairement
défini. La première de Richard Strauss, la seconde d’Olivier Messiaen. Le
poème symphonique Tod und Verklärung op.
24 (Mort et Transfiguration) du
compositeur bavarois, qui, en 1887-1888, travaillait au même moment sur
l’actualisation en allemand du Traité
d’orchestration d’Hector Berlioz, décrit l’heure de la mort d’un homme, qui
cherche à atteindre l’idéal. Aussi est-ce probablement un artiste, avait écrit Strauss
à son ami Alexander Ritter de trente ans son aîné qui l’avait converti à la
musique « moderne ». Le malade repose en un profond sommeil et
respire difficilement. De délicieux rêves illuminent le visage du mourant. Le
sommeil se fait plus léger. Il se réveille, torturé par d’atroces douleurs,
tremblant de fièvre. Tandis que l’attaque s’estompe, émergent des réminiscences
des premières années de sa vie : son enfance, sa jeunesse, ses quêtes et
ses passions. Les souffrances reviennent encore. Il revit ses vaines tentatives
de parvenir au parfait accomplissement artistique, et réalise que cela reste
inaccessible en ce monde. La mort le saisit, l’âme quitte le corps. Il découvre
alors que les idéaux qu’il s’est si âprement efforcé d’atteindre sur la terre lui
sont dorénavant accessibles l’espace éternel atteint. Cette intuition de
l’agonie, surprenante de la part d’un jeune homme de vingt-quatre ans, révèle
une fibre dramatique éblouissante, fortement imprégnée de fructueuses lectures.
Si les phases successives de l’acte de mort constituent l’essentiel de l’œuvre,
la transfiguration, brièvement évoquée, n’en est que l’ultime étape, comme si
le compositeur ne cherchait qu’une porte de sortie. Sans doute n’y a-t-il en
effet rien de vraiment métaphysique ici. Le poème de Richard Strauss Tod und
Verklärung a permis à l’Orchestre de Paris de briller de tous ses feux, surtout
dans les tutti et les soli les plus hallucinés, la formation
restant continuellement limpide et fluide, mais les plages « comateuses » et
d’introspection n’ont pas suffisamment exposés dans les nuances ppp, s’avérant de ce fait trop sonores et transfiguration
manquant d’un rien de mystère.
Les quatre méditations symphoniques qu’Olivier
Messiaen composa en 1932-1933 s’exposent sur la même plage de temps que le
poème de Richard Strauss. Messiaen la transcrira pour orgue seul dès 1933, à
l’exception d’Alléluia sur la trompette,
Alléluia sur la cymbale qu’il remplace par une nouvelle pièce, Transports de joie d’une âme devant la
gloire du Christ qui est la sienne. Créée le 9 février 1935 Salle Rameau à
Paris, les effectifs instrumentaux de L’Ascension
sont conséquents, bois par trois, quatre cors, trois trompettes et
trombones, tuba, deux percussionnistes et cordes portées à seize premiers et
seize seconds violons, quatorze altos, douze violoncelles et dix contrebasses -
mercredi soir, elles étaient à 16-14-12-10-8. Dans le premier mouvement, Majesté du Christ demandant sa gloire à son
Père, qui illustre le chapitre XVII verset 1 de l’Evangile selon saint Jean, réunit les seuls instruments à vent
dominés par des sonneries de cuivres, magnifiés par le lustre flamboyant et la
sereine majesté des « souffleurs » de l’Orchestre de Paris. Les
splendides combinaisons instrumentales des Alléluias
sereins d’une âme qui désire le ciel (oraison de la messe de l’Ascension) ont
été exaltées par les musiciens, à l’instar de ce que ces derniers ont proposé
de l’Alléluia sur la trompette, alléluia
sur la cymbale (Psaume XLVI) d’une chaleur et d’une luminosité
transcendantes, tandis que les cordes s’épanouissaient dans la Prière du Christ montant vers son père
(Evangile selon saint Jean, XVII/1, 6, 11). En effet, pour la seconde
programmation de l’œuvre de l’histoire de l’Orchestre de Paris, la première
ayant été donnée voilà trente-deux ans, en 1992, L’Ascension de Messiaen a été remarquablement servie, l’Orchestre
de Paris émoustillé par son directeur musical Klaus Mäkelä suscitant une écoute
d’une qualité quasi mystique de la part d’une salle comme tétanisée par la
qualité de ce qui leur était offert, autant de la part du compositeur que de
ses interprètes. Il convient d’ailleurs de saluer ici la plastique somptueuse
des sonorités épanouies de la violon solo invitée, la Suédoise Ava Bahari,
disciple de Leonidas Kavakos, Pierre Amoyal, Midori Goto et Boris Kuschnir,
entre autres.
Bruno Serrou
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