dimanche 3 novembre 2024

Les splendeurs oniriques russes des Münchner Philharmoniker dirigés par Tugan Sokhiev avec le pianiste-magicien Alexandre Kantorow

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Samedi 2 novembre 2024 

Tigan Sokhiev, Münchner Philharoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

Fastueux concert russe des Münchner Philharmoniker, l’un des cinq prestigieux orchestres bavarois qui a été créé en 1893, la phalange allemande était dirigée cette fois avec une énergie et un sens aigu de l’évocation par Tugan Sokhiev et en soliste un époustouflant Alexandre Kantorow dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov et deux bis, l’orchestre ouvrant le concert avec l’ouverture Rouslan et Ludmila de Glinka pour conclure  sur une épique et onirique Schéhérazade de Rimski-Korsakov dont Sokhiev et les Munichois ont magnifié avec délectation les moindres méandres 

Tigan Sokhiev, Münchner Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

Créé en 1893 par Hans Winderstein, l’Orchestre Philharmonique de Munich a eu à sa tête quelques-uns des plus grands chefs de l’histoire comme directeurs musicaux, parmi lesquels Karl Löwe, Felix Weingartner, Hans Pfitzner, Siegmund von Hausegger, Hans Rosbaud, Rudolf Kempe, Sergiu Celibidache, James Levine, Christian Thielemann, Lorin Maazel et Valery Gergiev, ce dernier ayant été limogé en mars 2022, et à qui est appelé à succéder en 2026 Lahav Shani, tandis que Gustav Mahler le dirigea pour la création de ses Symphonies 4 (1901) et 8 « des Mille » (1910) - ainsi que Bruno Walter dirigeait son Chant de la Terre quelques mois après sa mort en 1911 -, avant que la phalange crée les versions originales des Symphonies n° 6 et n° 9 d’Anton Bruckner en 1932. Six mois après son dernier concert à la Philharmonie de Paris, dirigé par le chef britannique Daniel Harding (voir https://brunoserrou.blogspot.com/2024/04/bruckner-200-luxuriante-symphonie.html), le Philharmonique de Munich est revenu avec le russe Tugan Sokhiev, ex-directeur musical de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse dans un programme qui lui aura permis de chanter dans son jardin.

Alexandre Kantorow. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Ainsi, dès la courte ouverture de l’opéra Rouslan et Ludmila que Mikhaïl Glinka (1804-1857), l’auteur d’Une Vie pour le Tsar (1836) composa en 1837-1842 sur un texte adapté de Pouchkine, qui annonce l’orientalisme que l’on retrouvera de façon plus marquée encore chez Nikolaï Rimski-Korsakov en fin de programme. Assuré d’obtenir du Philharmonique de Munich ce qu’il en attendait, Tugan Sokhiev a donné de ces cinq minutes d’orchestre a dirigé avec dynamisme et vivacité une virevoltante lecture mettant en valeur le panache hallucinant de tous les pupitres, particulièrement trombones, basson et cordes graves.

Alexandre Kantorow, Münchner Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

Après cette chatoyante mise en bouche, le brillant pianiste français Alexandre Kantorow allait proposer un programme raccord en cette période de Toussaint et de Fête des Morts. Il se joignait tout d’abord aux Munichois pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini en la mineur op. 43 que Serge Rachmaninov composa en 1934. Malgré sa relative brièveté, il s’agit ici d’une œuvre parmi les plus intenses et les plus impressionnantes du genre concertant pour clavier. Créée à Baltimore le 7 novembre 1934 par l’Orchestre de Philadelphie sous la direction de Leopold Stokowski avec le compositeur au piano, la Rapsodie se présente comme une suite de variations en un seul tenant sur le thème de l’ultime et plus fameux des 24 Caprices pour violon de Niccolo Paganini. Sa structure se présente néanmoins en trois mouvements à la façon d’un concerto constituée de vingt-quatre variations, chiffre correspondant au numéro d’ordre du morceau dans lequel le thème a été puisé. Bienvenu en ce jour de la Fête des Morts du calendrier chrétien, le 2 novembre, et comme il l’avait déjà fait à six reprises, le compositeur-pianiste exploite ici pour la septième fois la séquence médiévale du Dies Irae qui évoque la colère divine intégrée dans la messe des morts du rite catholique, le virtuose compositeur Rachmaninov rendant hommage au virtuose compositeur Paganini connu sous le sobriquet de « violon du diable ». Transcendant, Alexandre Kantorow, stupéfiant d’aisance et de naturel, à la fois virtuose, élégiaque, onirique, jeu dense et flexible, suscitant des sonorités généreuses au large nuancier, en un mot brillant et confondant de facilité naturelle, s’est situé hier soir sur les cimes du jeu et de l’interprétation pianistique… En bis, le vainqueur du Concours Tchaïkovski de Moscou 2019, a offert au public enthousiaste une vibrante Liebestod de Tristan und Isolde de Richard Wagner dans la transcription de Franz Liszt, puis, en ce jour des morts, une mélancolique Litanei auf das Fest aller Seelen (Litanie pour la fête de toutes les âmes) D. 343 de Franz Schubert dans un arrangement d’Alfred Cortot.

Tigan Sokhiev, Münchner Philharmùoniker et son premier violon solo Naoka Aoki. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du concert était consacrée au chef-d’œuvre symphonique de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) dédié à son comparse du Groupe des Cinq Mili Balakirev, la grande fresque en quatre mouvements d’inspiration moyen-orientale d’après les Mille et une Nuits composée et créée à Saint-Pétersbourg en 1888, Schéhérazade op. 35 autour de deux thèmes principaux, celui de Schéhérazade confié au violon solo et à la harpe, et celui du sultan qui revient aux cuivres. Ce qu’ont donné à entendre les Münchner Philharmoniker et son chef invité Tigan Sokhiev de cette partition qui évoque l’univers de « l’Orient et ses contes merveilleux », atteste à la fois d’une sereine homogénéité et d’une virtuosité à toute épreuve, qualités qui ont transcendé cette interprétation d’une grande sensualité de Schéhérazade aux parures merveilleusement rimskiennes, le compositeur russe étant un véritable maître de l’orchestre à l’instar de son référent Hector Berlioz, tant les sonorités somptueuses aux carnations chatoyantes ont été magnifiées par un chef chantant dans son jardin. A l’exemple du somptueux violon solo tenu par Naoka Aoki, lumineux et admirablement chantant, rappelant en de nombreux points les sonorités chatoyantes d’un Zino Francescatti, tous les pupitres de l’orchestre bavarois l’ont disputé en brio et en moirures, autant les bois (du piccolo aux bassons) et les cuivres (des cors au tuba), la harpe, la percussion et les cordes, merveilleusement équilibrées, des aigus aux graves installés à l’américaine (16-14-12-10-8). A l’issue de cette remarquable interprétation de Schéhérazade, le Philharmonique de Munich et Tugan Sokhiev ont donné à leur tour un bis, un fragment de l'opéra inachevé Gopak de Modest Moussorgski.

Bruno Serrou

 

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