Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Samedi 2 novembre 2024
Fastueux concert russe des Münchner Philharmoniker, l’un des cinq
prestigieux orchestres bavarois qui a été créé en 1893, la phalange allemande était dirigée
cette fois avec une énergie et un sens aigu de l’évocation par Tugan Sokhiev et
en soliste un époustouflant Alexandre Kantorow dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov et deux bis, l’orchestre ouvrant
le concert avec l’ouverture Rouslan et Ludmila de Glinka pour conclure sur une
épique et onirique Schéhérazade de
Rimski-Korsakov dont Sokhiev et les Munichois ont magnifié avec délectation les
moindres méandres
Créé en 1893 par Hans Winderstein, l’Orchestre Philharmonique de Munich
a eu à sa tête quelques-uns des plus grands chefs de l’histoire comme directeurs
musicaux, parmi lesquels Karl Löwe, Felix
Weingartner, Hans Pfitzner, Siegmund von Hausegger, Hans Rosbaud, Rudolf Kempe,
Sergiu Celibidache, James Levine, Christian Thielemann, Lorin Maazel et Valery Gergiev,
ce dernier ayant été limogé en mars 2022, et à qui est appelé à succéder en
2026 Lahav Shani, tandis que Gustav Mahler le dirigea pour la création
de ses Symphonies n° 4
(1901) et n° 8 « des Mille » (1910) - ainsi que Bruno
Walter dirigeait son Chant de la
Terre quelques mois après sa mort en
1911 -, avant que la phalange crée les versions originales des Symphonies n° 6 et n° 9 d’Anton Bruckner en 1932. Six mois après son dernier concert à
la Philharmonie de Paris, dirigé par le chef britannique Daniel Harding (voir https://brunoserrou.blogspot.com/2024/04/bruckner-200-luxuriante-symphonie.html),
le Philharmonique de Munich est revenu avec le russe Tugan Sokhiev,
ex-directeur musical de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse dans un
programme qui lui aura permis de chanter dans son jardin.
Ainsi, dès la courte ouverture de l’opéra Rouslan et Ludmila que Mikhaïl Glinka (1804-1857), l’auteur d’Une Vie pour le Tsar (1836) composa en 1837-1842 sur un texte adapté
de Pouchkine, qui annonce l’orientalisme que l’on retrouvera de façon plus
marquée encore chez Nikolaï Rimski-Korsakov en fin de programme. Assuré d’obtenir
du Philharmonique de Munich ce qu’il en attendait, Tugan Sokhiev a donné de ces cinq
minutes d’orchestre a dirigé avec dynamisme et vivacité une virevoltante
lecture mettant en valeur le panache hallucinant de tous les pupitres,
particulièrement trombones, basson et cordes graves.
Après cette chatoyante mise en bouche, le brillant pianiste français Alexandre Kantorow allait proposer un programme raccord en cette période de Toussaint et de Fête des Morts. Il se joignait tout d’abord aux Munichois pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini en la mineur op. 43 que Serge Rachmaninov composa en 1934. Malgré sa relative brièveté, il s’agit ici d’une œuvre parmi les plus intenses et les plus impressionnantes du genre concertant pour clavier. Créée à Baltimore le 7 novembre 1934 par l’Orchestre de Philadelphie sous la direction de Leopold Stokowski avec le compositeur au piano, la Rapsodie se présente comme une suite de variations en un seul tenant sur le thème de l’ultime et plus fameux des 24 Caprices pour violon de Niccolo Paganini. Sa structure se présente néanmoins en trois mouvements à la façon d’un concerto constituée de vingt-quatre variations, chiffre correspondant au numéro d’ordre du morceau dans lequel le thème a été puisé. Bienvenu en ce jour de la Fête des Morts du calendrier chrétien, le 2 novembre, et comme il l’avait déjà fait à six reprises, le compositeur-pianiste exploite ici pour la septième fois la séquence médiévale du Dies Irae qui évoque la colère divine intégrée dans la messe des morts du rite catholique, le virtuose compositeur Rachmaninov rendant hommage au virtuose compositeur Paganini connu sous le sobriquet de « violon du diable ». Transcendant, Alexandre Kantorow, stupéfiant d’aisance et de naturel, à la fois virtuose, élégiaque, onirique, jeu dense et flexible, suscitant des sonorités généreuses au large nuancier, en un mot brillant et confondant de facilité naturelle, s’est situé hier soir sur les cimes du jeu et de l’interprétation pianistique… En bis, le vainqueur du Concours Tchaïkovski de Moscou 2019, a offert au public enthousiaste une vibrante Liebestod de Tristan und Isolde de Richard Wagner dans la transcription de Franz Liszt, puis, en ce jour des morts, une mélancolique Litanei auf das Fest aller Seelen (Litanie pour la fête de toutes les âmes) D. 343 de Franz Schubert dans un arrangement d’Alfred Cortot.
La seconde partie du concert
était consacrée au chef-d’œuvre symphonique de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908)
dédié à son comparse du Groupe des Cinq Mili Balakirev, la grande fresque en
quatre mouvements d’inspiration moyen-orientale d’après
les Mille et une Nuits composée et
créée à Saint-Pétersbourg en 1888, Schéhérazade
op. 35 autour de deux thèmes principaux, celui de Schéhérazade confié au
violon solo et à la harpe, et celui du sultan qui revient aux cuivres. Ce qu’ont
donné à entendre les Münchner Philharmoniker et son chef invité Tigan Sokhiev de
cette partition qui évoque l’univers de « l’Orient et ses contes
merveilleux », atteste à la fois d’une sereine homogénéité et d’une
virtuosité à toute épreuve, qualités qui ont transcendé cette interprétation d’une
grande sensualité de Schéhérazade aux
parures merveilleusement rimskiennes, le compositeur russe étant un véritable
maître de l’orchestre à l’instar de son référent Hector Berlioz, tant les
sonorités somptueuses aux carnations chatoyantes ont été magnifiées par un chef
chantant dans son jardin. A l’exemple du somptueux violon
solo tenu par Naoka Aoki, lumineux et admirablement chantant, rappelant en de
nombreux points les sonorités chatoyantes d’un Zino Francescatti, tous les
pupitres de l’orchestre bavarois l’ont disputé en brio et en moirures, autant
les bois (du piccolo aux bassons) et les cuivres (des cors au tuba), la harpe,
la percussion et les cordes, merveilleusement équilibrées, des aigus aux graves
installés à l’américaine (16-14-12-10-8). A l’issue de cette remarquable
interprétation de Schéhérazade, le
Philharmonique de Munich et Tugan Sokhiev ont donné à leur tour un bis, un fragment de l'opéra inachevé Gopak de Modest Moussorgski.
Bruno Serrou
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