Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 30 octobre 2024
Chef ukrainien remarquable de finesse, d’élégance, de précision, de bonheur
de diriger (par cœur) un programme pourtant difficile à unifier, Kirill
Karabits, à la tête d’un Orchestre de Paris rayonnant, sauvant par son
attention soutenue et son chant chaleureux le Concerto n° 2 de
Rachmaninov par une Khatia Buniatishvili distante et froide, au son étriqué,
aux doigts engourdis, au point de distiller l’ennui. Ce que la pianiste
géorgienne fera de nouveau dans ses bis, Sérénade (Schwanengesang) de
Schubert/Liszt, une compilation de la 8e
Rhapsodie hongroise de Liszt avec clusters, et un arrangement
terre à terre de La bohème d’Aznavour. Une scintillante Deuxième Symphonie de Scriabine a permis à l’orchestre de
s’illustrer, tandis que chaque partie était préludée par une œuvre rare, un
poème symphonique très rimskien (Ange)
de l’Ukrainien Théodore Akimenko et une pièce d’orchestre (Knell) puissante et créative de l’Iranienne
Niloufar Nourbakhsh
Devant un public conquis d’avance,
Khatia Buniatishvili s’est montrée plus contrainte et moins relâchée que d’habitude,
comme intimidée par la tâche qu’il lui fallait assurer devant la montagne que
représente le Concerto n°2 pour piano et
orchestre en ut mineur op. 18 de Serge Rachmaninov. Les mains de la
pianiste géorgienne n’ont fait qu’effleurer le clavier, sans pouvoir détacher de
ce dernier la moindre sonorité pleine et colorée, l’interprétation sans
consistance se faisant plate lecture, sans contrastes ni nuances, annihilant
tout élan et vitalité, ce qui est le comble pour l’un des concertos pour piano les
plus expressifs, mélodiques et virtuoses de l’histoire du genre. Cognant
moins que de coutume sur les touches du piano, elle a néanmoins vidé la célèbre
partition de toute consistance, noyant sous un flot de pédales, confondant vitesse
et précipitation, tandis que le son est resté étriqué et sans carnation.
Heureusement pour elle, l’Orchestre de Paris a sonné de façon séduisante avec
ses magnifiques solos de bois et de cors, tandis que Kirill Karabits
particulièrement attentif à sa soliste, veillait à éviter tout décalage,
rattrapant sans attendre tout écart. Le succès était néanmoins assuré, tant l’impact
des médias « main stream » et de nombre d’institutions est puissant,
et les rappels appuyés ont conduit la pianiste à donner trois bis tout aussi apathiques
et monotones, la Sérénade S. 560/VII tirée du Schwanengesang de Franz Schubert arrangé
pour piano seul par Franz Liszt, un pot-pourri de la huitième Rhapsodie hongroise de Franz Liszt, et
pour finir dans le domaine de la variété pour célébrer le centenaire du chanteur
comédien, une transcription de la chanson La
bohème de Charles Aznavour…
Pour ses débuts avec l’Orchestre
de Paris, Kirill Karabits, chef principal du Bournemouth Symphony Orchestra
depuis quinze ans, a remarquablement injecté souffle, unité et couleurs caractéristiques
à l’orchestration des quatre œuvres programmées, donnant chair et consistance à
la Symphonie n° 2 en ut mineur op. 29
d’Alexandre Scriabine. Composée en cinq mouvements en 1901 adoptant une forme cyclique tripartite (le long Andante central qualifié de « jardin
des délices » est isolé), le thème initial au ton sombre exposé par la
clarinette solo (magnifique prestation de Pascal Moraguès) au début de la symphonie se déployant durant les quarante
minutes de l’œuvre, à l’exception de l'Allegro,
pour se conclure en une parade militaire triomphale annonçant plus ou moins la
maturité du compositeur russe. Cette œuvre qui connut l’échec lors de sa
création à Saint-Pétersbourg le 12 janvier 1902 n’est pas l’une de ses
partitions d’orchestre les plus ingénieuses, a été remarquablement servie par
un Kirill Karabits sollicitant judicieusement les textures soyeuses de l’Orchestre
de Paris, différenciant avec justesse les plans et les couleurs de l’orchestration,
restituant grâce à un Orchestre de Paris en verve, la fluidité et la
transparence contrastant à la perfection avec la compacité et la nervosité acérée
de certains passages.
Le chef ukrainien dirigeant avec
fougue et minutie, le geste ample, précis et souple tout en soutenant
attentivement les solos dans chacune des œuvres aux caractères marqués, jusques
et y compris les deux pages plus brèves qui ont préludé à chacune des parties
du concert, à commencer par une œuvre de son compatriote Théodore Akimenko (1876-1945),
élève de deux des membres du Groupe des Cinq russe, Mili Balakirev et de Rimski-Korsakov,
également professeur d’Igor Stravinski à Saint-Pétersbourg qui s’exila à Prague
puis en France, où il s’installa en 1928 et mourut à Nice. Le poème nocturne
pour orchestre d’une douzaine de minute intitulé Ange qu’a dirigé Karabits a été composé en 1924 sur un poème éponyme
de Mikhaïl Lermontov (1814-1841) et a été dédié à l’éditeur parisien Alphonse
Leduc, est clairement estampillé Rimski-Korsakov par la richesse de son
orchestration et sa force évocatrice. La seconde partie était ouverte par une
courte page d’orchestre de l’Iranienne Niloufar Nourbakhsh (née en 1992), Knell (Glas) composée en 2019 mais
donnée par l’Orchestre de Paris dans sa version révisée en 2023 et créée le 10
décembre de la même année lors de la remise du Prix Nobel de la Paix. Cette
partition richement colorée, alliant judicieusement les traitements les plus
contemporains des instruments de l’orchestre symphonique occidental aux
couleurs orientales, pour évoquer l’universalité du ressenti des derniers
instants de la vie à partir d’éléments liés à l’histoire de la compositrice
exilée à New York, et de son pays, l’Iran. La brièveté de cette touchante
partition a conduit le chef à l’enchaîner directement avec le symphonie de
Scriabine, ce qui s’avèrera regrettable car, outre le fait que les deux œuvres n’avaient
aucun élément commun, cela a conduit la compositrice à ne pas se rendre sur le
plateau pour recueillir des applaudissements qu’elle eût méritée, malgré l’instance
du chef à la trouver parmi le public pour la faire monter sur le plateau…
Bruno Serrou
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