Michael Gielen (1927-2016). Photo : (c) WordPress.com
Le
chef d’orchestre et compositeur Michael Gielen s’est éteint vendredi 8 mars
2019 à l’âge de 91 ans. Réputé pour sa connaissance encyclopédique du
répertoire du XXe siècle, il est reconnu comme éminent interprète de
Gustav Mahler… Homme à l’humour froid qui faisait mouche, plus chaleureux qu'il le paraissait au premier abord, ce géant a servi la création
avec autant de talent que de ferveur
Photo : DR
Compositeur et chef d'orchestre de renom, Michael Gielen est
étonnamment resté méconnu en France. Il est pourtant l'un des rares chefs à
diriger avec le même génie le grand répertoire, de Bach et Beethoven à Mahler
et Schönberg, et la création contemporaine. C’est ce double aspect de son
talent qui a permis à l'Orchestre du Sudwestfunk de Baden-Baden, dont il
présida la destinée quatorze années durant, de devenir l'une des phalanges les
plus flexibles d’Europe.
Il est vrai aussi que Michael Gielen s’est particulièrement engagé
dans la défense de la musique de ses contemporains. Très tôt, il s’est produit
aux festivals de Donaueschingen, Darmstadt, Royan, à l’instar des Hans Rosbaud
ou Ernest Bour, ses prédécesseurs à la tête du Sinfonieorchester
des Südwestfunks Baden-Baden, créant à eux trois plus de quatre cents œuvres
nouvelles en soixante-cinq ans. Gielen portera l’orchestre de la Schwarzwald au
sommet de la hiérarchie des formations symphoniques internationales.
Le public de Musica à Strasbourg a pu souvent l’apprécier,
notamment dans Pli selon Pli de
Boulez et les Gurre-Lieder de
Schönberg, davantage que les Parisiens, particulièrement dans le cadre du
Festival d’Automne, qui l’avait invité entre autres en 1995 pour un inoubliable
Requiem für einen jungen Dichter
(Requiem pour un jeune poète) de
Bernd Aloïs Zimmermann. En 2000, il dirigeait Salle Pleyel la VIIIe Symphonie de Beethoven,
et une rareté, Lelio ou le Retour à la
vie de Berlioz, œuvre hybride pour récitant, solistes, chœur et orchestre,
complément de La Symphonie fantastique
et qui ouvrait un cycle Berlioz de l’Orchestre de Paris. Comme son compatriote
Carlos Kleiber, Michael Gielen possédait la double culture germanique, par ses
origines (il est né à Dresde en 1927), et hispanique par sa formation (il passa
sa jeunesse en Argentine). Revenu en Europe en 1950, il enchaîne les postes de
directeur musical : entre autres à l'Opéra de Cologne, où il crée en 1965 l’un
des opéras majeurs du XXe siècle, Die Soldaten de Zimmermann. Parmi ses très nombreuses créations, le
Requiem de Ligeti.
« La technique orchestrale se forge uniquement avec les
classiques, me disait-il en 2000. L’usage de l’archet, la qualité du son, l’homogénéité
des instruments à vent, l’équilibre s’exercent sur Haydn, Mozart, Beethoven. Si
vous travaillez le piano enfant, il vous faut faire des gammes, des arpèges,
sinon vous ne saurez jamais jouer du piano. De même pour l’orchestre, l’on ne
peut commencer par Webern ! » Compositeur, il n'a jamais écrit pour l’orchestre.
« Peut-être le ferai-je un jour. Le maximum des effectifs pour lesquels j'ai
écrit est de quarante musiciens. Non pas que cela m’effraie, mais je ne veux
pas d’un outil pré-formaté par son histoire. Pour chacune de mes œuvres, je me
façonne un ensemble qui m’offre les timbres que je désire. Je considère l’orchestre
comme un outil du passé, et il faut beaucoup de fantaisie pour le
renouveler. »
Né le 20 juillet 1927 à Dresde, de nationalité autrichienne, réfugié
en Argentine en 1940 avec ses parents, sa mère étant d’origine juive - son père
Josef Gielen (1890-1968) était comédien, metteur en scène et directeur de
théâtre -, Michael Gielen commença étudie le piano, la théorie et la
composition ainsi que la philosophie à Buenos Aires et se forge à la direction
d’orchestre auprès d’Erich Kleiber, dont il est le co-répétiteur au Teatro Colón de 1947 à 1950. De retour en Europe, il commence
sa carrière internationale alors qu’il est chef de chœur et répétiteur à l’Opéra
de Vienne de 1950 à 1960. De 1960 à 1965, il est chef principal de l’Opéra
Royal de Stockholm, de 1969 à 1973 de l’Orchestre National de Belgique, et de
1973 à 1975 de l’Opéra d’Amsterdam. A partir de 1977, il est pendant dix ans à
la fois directeur artistique de l’Opéra de Francfort et des concerts du Frankfurter
Museumsgesellschaft à Francfort-sur-le-Main, à l’Orchestre Symphonique de la BBC de Londres de 1978 à 1980. Directeur
musical du Cincinnati Symphony Ochestra de 1980 à 1986. Cette même année 1986,
il devient, pour treize ans, directeur musical du SWR
Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, dont il est en 1999 jusqu’en
2014 principal chef invité, ainsi que du Deutsches Symphonie-Orchester Berlin et
du Staatsoper unter den Linden de Berlin (1999-2014). Des tournées mondiales avec des formations réputées le conduisent
en Australie, au Japon, aux Etats-Unis. A la tête de l’Orchestre Symphonique du
SWR Baden-Baden/Freiburg de 1986 à 1999, il met l’accent sur des concerts et
des enregistrements consacrés aux symphonies de Beethoven et de Mahler. A
partir de 2002, il est chef honoraire de l’Orchestre Symphonique du SWR. La
maladie le contraint à se retirer en 2014.
Il se sera également produit comme pianiste, jouant dès 1949 l’intégrale
de l’œuvre pour piano de Schönberg. Ecrivain, il a co-signé avec Paul Fiebig le
livre Beethoven im Gespräch: die neun
Sinfonien (Ed. J. B. Metzler'sche
Verlagsbuchhandlung, 1995), Mahler
im Gespräch: die zehn Sinfonien (Ed. J. B.
Metzler'sche Verlagsbuchhandlung, 2002).
Parmi ses propres œuvres conçues entre 1946 et sa
mort, des pages pour piano, pour chœurs, des pièces pour voix et ensembles, de
musique de chambre et pour petits orchestre. Au sein d’une impressionnante
discographie sous divers label (Vanguard, Vox, SWR, Wergo Hänssler, Arte Nova, Schwann,
Sony, Decca, Warner, CPO, Naxos) commencée en 1958, outre les intégrales Beethoven
et Mahler, y figurent des partitions de J. S. Bach, Bartók, Haydn, Mozart, Berlioz, Liszt,
Chopin, Verdi, Wagner, Brahms, Bruckner, Tchaïkovski, Franck, R. Strauss, Reger,
Busoni, Zemlinsky, Schreker, Schönberg, Berg, Webern, Prokofiev, Enescu, Carter,
Zimmermann, Lutoslawski, Nono, Stockhausen, Kagel, Rihm, … On lui doit aussi l’admirable
bande son du film Moïse et Aron de
Schönberg sorti en 1975 et réalisé par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub.
Michaël Gielen s’est éteint vendredi 8 mars 2019
en son domicile de Mondsee, dans le Salzkammergut, en Autriche.
Bruno Serrou
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