Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots. Le massacre de la Saint-Barthélemy selon Andreas Kriegenburg. Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Onzième opéra de Giacomo
Meyerbeer, deuxième écrit pour l’Opéra de Paris un an après le succès de Robert le Diable, Les Huguenots est non seulement la partition la plus connue de son
auteur mais aussi l’archétype du grand opéra à la française, avec ses cinq
actes et ses trois tableaux, sur un livret d’Eugène Scribe et Emile Deschamps. Composé
en quatre ans, de 1832 à 1836, cet ouvrage a été créé le 29 février 1836 à l’Opéra
de Paris, salle Le Peletier. Il s’inspire des événements qui ont engendré les massacres
de la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. Cette œuvre a connu un immense succès
dès sa première, au point de totaliser cent ans plus tard sa mille cent dix
huitième représentation à l’Opéra de Paris, cette fois au Palais Garnier.
Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots. Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Contrairement à ce que suggère
son titre, Les Huguenots se focalise sur
la haine exacerbée des catholiques ultra qui, au nom de leur foi, transforment
leur religion en fanatisme contre ceux qui sont sortis du dorme de l'Eglise de France. Au point que cet opéra est rapidement devenu l’œuvre-symbole
des Hohenzollern, dont la capitale, Berlin, avait accueilli quantité de
Huguenots qui y ont trouvé refuge. Lorsque Richard Strauss devint directeur de
l’Opéra de Berlin « Unter den Linden » en 1898, il fut contraint de
diriger chaque année pour l’anniversaire de l’empereur d’Allemagne une
représentation de l’ouvrage, jusqu’à son départ du théâtre impérial pour l’Opéra
d’Etat de Vienne en 1919. Ce rendez-vous forcé constituait pour Strauss un véritable
pensum, comme il s'en plaignait chaque année à ses parents, au point qu’une fois parti de la
capitale prussienne il le reprit jamais. D’autres avant lui n’en pensaient
pas moins, comme Robert Schumann, qui écrivait : « Au premier acte,
une orgie d’hommes bruyants, et au travers, détail bien raffiné, une seule femme,
mais voilée. Au deuxième, une orgie de femmes au bain et, au travers, pour bien
émoustiller le public parisien, un homme mais les yeux bandés. Au troisième
acte, mélange de tendances libertines et sacrées ; au quatrième,
préparatifs de la boucherie ; et enfin, cinquième, égorgements dans l’église.
Débauche, assassinat et prière, il n’est pas question d’autre chose dans Les Huguenots. » Schumann reprochait
également à Meyerbeer son utilisation du choral luthérien Ein feste Burg ist unser Gott chanté ici par des calvinistes… Quant
à Richard Wagner, il en admira le succès, au point de s’en souvenir plus ou
moins dans son Tristan und Isolde et dans
ses Maîtres Chanteurs de Nuremberg,
tout en jalousant Meyerbeer au point d’écrire son livre polémique antisémite Du judaïsme dans la musique.
Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots. Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Aujourd’hui, Meyerbeer n’a plus guère la cote chez les programmateurs. La dernière représentation à l’Opéra de Paris des
Huguenots remontant au 18 novembre
1936, à l’occasion du centenaire de l’œuvre. Son retour attendu survient dans
le cadre du trois cent cinquantième anniversaire de la fondation de l’Opéra de
Paris. Et l’on saisit sans peine ce qui a pu attirer le public bourgeois du XIXe
siècle vers cette œuvre qui trouve aujourd’hui son équivalent dans les grandes fresques
historiques du cinéma hollywoodien, tandis que musicalement l’on y retrouve
tous les styles, du bel canto aux grandes fresques chorales, l’opéra italien,
allemand, français. Bref un melting-pot d’une longueur asphyxiante qui exige par
ailleurs une distribution si proche de la perfection qu’elle a de quoi
effrayer, même les institutions les plus déterminées. D’où les nombreuses
coupures généralement opérées dans la partition…
… Au risque de susciter des
longueurs plus insupportables encore, en tailladant dans le vif sans réflexion
véritable et souvent à la tronçonneuse. Pour cette reprise, outre le ballet, l’Opéra
de Paris n’a pas hésité à réaliser de nombreuses coupures. Allant jusqu’à
tronquer le second couplet de l’air de Marcel Pif paf pouf, chant de bataille huguenot du siège de La Rochelle. Mais
à l’écoute, du moins dans la production de l’Opéra de Paris, ce ne sont pas les
coupes qui nuisent à la partition, mais l’absence de tout crescendo dans le
développement de l’action, qui devrait conduire vers un climax paroxystique.
Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots. Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Le metteur en scène allemand
Andreas Kriegenburg, qui signe avec Les
Huguenots sa première production à l’Opéra de Paris, annonce par des
surtitres projetés pendant l’ouverture, des extraits d’un « journal intime
d’un soldat inconnu » qui situent l’action en 2063, dans un pays
indéterminé. Ledit soldat appelle à « anéantir et à brûler dans le jardin
terrestre de Dieu tout ce qui ne relève pas de la vraie foi », appel à l’intolérance
d’une actualité loin d’être subliminale et qui, à moins d’être sourd à toute
actualité, n’apporte rien de bien original. D’autant que cette transposition
temporelle ne fait en aucun cas oublier le contexte précis de l’action et de ses
personnages qui ont marqué l’Histoire de France et les Français depuis leur
plus jeune âge, Marguerite de Navarre, Coligny, Catherine de Médicis, alors que
les costumes de Tanja Hofmann, bien que stylisés - fraises et couleurs pour la
noblesse catholique, vêtements noirs pour les protestants -, n’en sont pas
moins respectueux du temps des derniers Valois. Mais la direction d’acteur manque
terriblement de vie, de tension, de tragique.
Giacomo Meyerbeer, Les Huguenots. Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Les décors d’Harald B. Thor tiennent
eux aussi de la conceptualisation, une boîte blanche sur trois niveaux sur
toute la largeur du plateau reliés par des escaliers, au premier acte, des entames
d’arbres pour symboliser le jardin de Marguerite au sein desquels Andreas
Kriegenburg installe les protagonistes plus qu’il les anime. Ce qui suscite une
impression d’ennui amplifiée par la longueur des scènes, et des options
dramaturgiques qui frisent le contresens, voire ruinent les intentions des
auteurs, comme la scène de la bénédiction des poignards scellant le pacte du
massacre qui suit et qui devrait effrayer, mais qui prête ici le flanc à la
franche rigolade.
Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots. Lisette Oropesa (Marguerite de Navarre). Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Malgré un statisme qui égare les
protagonistes, la distribution sert au mieux cette partition longuette.
Remplaçant Diana Damrau, malade, Lisette Oropesa est une Marguerite de Navarre
radieuse et agile, en totale empathie avec les deux personnages principaux,
Raoul et Valentine. L’on regrette ici la brièveté du rôle d’Urbain, le page de
Marguerite, campé par une Karine Deshayes à la voix leste et fraîche, tandis
que, après un départ raté dans Pif paf
pouf, Nicolas Testé se fait trop prudent dans le rôle de Marcel, le
serviteur de Raoul. Malgré une voix aux graves manquant d’épaisseur, Ermonela
Jaho est une émouvante Valentine, Florian Sempey incarne un comte de Nevers
jouisseur et veule à défaut d’une noblesse de pensée et d’action, Paul Gay est un
Compe de Saint-Bris froid et cynique.
Giacomo Meyerbeer, Les Huguenots. Lisette Oropesa (Marguerite de Navarre). Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Enfin Raoul, le « hanneton sentimental » décrit par George Sand, qui porte son honneur en
oriflamme, humilie brutalement Valentine sur un malentendu et, si l’on en croit
Scribe et Meyerbeer, précipite le massacre de la Saint-Barthélemy. A la suite
du renoncement soudain de Bryan Hymel, prévu à l’origine dans ce rôle
difficile, Yosep Kang a endossé le rôle au dernier moment. Rien que pour
avoir accepté de relever le gant, on doit lui être reconnaissant, car il a
ainsi sauvé la production. Mais s’il convient aussi de saluer sa grande musicalité,
son français clair, il faut aussi relever son manque d’endurance pour ce rôle
écrasant, une justesse approximative dans le haut du spectre.
Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots. Marguerite de Navarre et ses compagnes. Photo : (c) Agathe Poupenay/OnP
Mention spéciale au chœur de l’Opéra
de Paris, coloré et souple dans une partie exigeante. Elégante mais terne, la
direction de Michele Mariotti n’atténue en rien le sentiment d’asthénie qui
émane de la soirée et de ce monolithe qu’est l’œuvre peu raffinée de Meyerbeer,
amplifiée et de la production d’Andreas Kriegenburg.
Bruno Serrou
A lire : Jean-Philippe Thiellay, Meyerbeer. Editions Actes Sud, septembre 2018 (192 p., 19€)
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