Lyon. Opéra national de Lyon. Jeudi 11 octobre 2018
Arrigo Boito (1842-1918), Mefistofele. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon
Célébré pour les exceptionnelles qualités
de ses livrets écrits pour les deux derniers opéras de son compatriote Giuseppe
Verdi, Otello et Falstaff, dont il avait remanié auparavant celui de Simone Boccanegra, également auteur de
celui de La Gioconda d’Almicar Ponchielli,
retrouvé voilà peu par Marco Stroppa pour son opéra Re Orso, poète et romancier, Arrigo Boito (1842-1918), est
également l’unique auteur de l’opéra Mefistofele.
Arrigo Boito (1842-1918). Photo : DR
Compositeur, violoniste, pianiste
ayant étudié au Conservatoire de Milan entre 1855 et 1860, Arrigo Boito parcourt
l’Europe grâce à une bourse du roi Victor-Emmanuel II, particulièrement la
France où il se lie à Hector Berlioz, Gioacchino Rossini et Giacomo Meyerbeer, avant
de s’atteler à son Mefistofele de
retour en Italie. Le poète compositeur lombard suit de façon fidèle le texte
des deux Faust de Goethe, pièces de
théâtre respectivement publiées en 1808 et 1832. Le poète dramaturge allemand a
lui-même déclaré que la première partie de Faust
met en œuvre « un être troublé par la passion, qui peut obscurcir l’esprit
de l’homme », tandis que la seconde, truffée de références littéraires et
culturelles, s’ouvrant par un prologue qui pose la question obsédante du salut
de l’âme, est plus philosophique que théâtral. L’œuvre, dans sa globalité, est
une parabole sur l’humanité souffrante, tiraillée entre réflexion et action.
Arrigo Boito (1842-1918), Mefistofele. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon
Opéra en un prologue, quatre
actes et un épilogue créé à La Scala de Milan le 5 mars 1868, Mefistofele est très peu présent sur la
scène lyrique. Il est donc étonnant que deux productions distinctes de cet
ouvrage (Orange, Paris) soient données en moins de trois mois. Electron libre
de l’opéra italien, Boito est le seul compositeur à avoir tenté de saisir la
démesure métaphysique de la totalité du drame de Goethe. Pour en restituer la
profusion, l’Opéra de Lyon a fait appel à l’un de ses metteurs en scène favoris,
le catalan Alex Ollé, l’un des six directeurs artistiques du collectif La Fura dels
Baus.
Arrigo Boito (1842-1918), Mefistofele. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon
C’est avec ledit collectif qu’Alex
Ollé a abordé la figure de Faust par une « réinterprétation » en 1997
les deux Faust de Goethe, F@ust 3.0, pour le théâtre, et, quelques
mois plus tard, au Festival de Salzbourg, La
Damnation de Faust de Berlioz, avant de réaliser le film F@ust 5.0 en 2001. En 2014, il retrouve
le mythe en mettant en scène à l’Opéra d’Amsterdam le Faust de Gounod. Considérant cette fois le mythe non pas du point
de vue du savant mais par le biais du diable, Ollé place l’action du Mefistofele de Boito au sein d’une
officine gore, élargie par des miroirs, où sont pratiquées dans le « Prologue
du ciel » - ici davantage « du purgatoire » -, des expériences
médicales par des laborantins qui dissèquent des cœurs, comme celui de
Méphistophélès lui-même que des anges tout de blanc vêtus arrachent à un préparateur
tueur psychopathe. Il convient néanmoins de féliciter Ollé d’avoir imaginé un
décor spectaculaire réalisé par Alfons Flores, fait d’un plateau à deux niveaux,
le second pouvant s’élever et redescendre, ce qui permet d’opposer lumière et ténèbres,
entre les multitudes célestes présentes dans le prologue auxquelles se mêlera
Marguerite après son supplice, et le niveau inférieur de Méphistophélès. Ce
dernier se dévoile, souterrain et primitif, à la montée du plateau.
Arrigo Boito (1842-1918), Mefistofele. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon
Si l’usage de ce gigantesque échafaudage
tour à tour montagne, caverne, prison, rivage, est ingénieuse, sa présence
imposante s’avère pesante dans les moments les plus intimes. Les lumières d’Urs
Schönebaum, plutôt réussies, finissent par lasser l’œil, suscitant trop
systématiquement reflets et flashs aveuglants. Contrairement à son habitude,
Ollé est ici économe côté direction d’acteur, les protagonistes se retrouvant
souvent dans un statisme relatif.
Arrigo Boito (1842-1918), Mefistofele. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon
La distribution est portée par l’impressionnant
Méphistophélès de John Relya, coutumier de ce personnage maléfique qu’il incarne
souvent dans le Faust de Gounod et
dans La Damnation de Faust de
Berlioz. La basse canadienne campe un diable terrifiant, fauve, athlétique, de
sa voix d’une noirceur effrayante. Dans le rôle de Faust, après une première
partie effacée, due à quelques problèmes de justesse, Paul Groves finit par
trouver ses marques, et l’on ne peut que savourer sa diction et sa musicalité,
notamment dans son duo avec Marguerite, « Lontano,
lontano… ». D’une présence scénique remarquable Evgenia Muraveva est
une touchante Marguerite, ce qui fait oublier un large vibrato, et tient aussi
le rôle antinomique d’Elena avec une séduction assumée. Agata Schmidt convainc
à la fois en Marta et en Pantalis, et l’on regrette de ne pouvoir davantage
déguster les qualités de Peter Kirk, qui s’est vu confier le trop court rôle de
Wagner.
Arrigo Boito (1842-1918), Mefistofele. Scène de la prison de Marguerite. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon
Sous la direction de Daniele
Rustioni, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est un authentique personnage,
grondant, respirant comme un seul homme, engendrant des sonorités
polychromes sur de sombres fondations de basses d’une netteté édifiante, mais
le chef italien, poussé par l’enthousiasme, ne contrôle pas toujours la
puissance, couvrant parfois les voix. Enfin, les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra
de Lyon sont remarquables de timbres, de vie, de fondu, d’une plastique frappante
dans les Prologue et Epilogue.
Bruno Serrou
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