Genève (Suisse). Grand Théâtre, Théâtre des Nations. Dimanche 28
octobre 2018
Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris), Marina Viotti (Fiodor). Photo : (c) Carole Parodi
Première à Genève de la version
originale du chef-d’œuvre de Moussorgski, Boris
Godounov
Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Photo : (c) Carole Parodi
Longtemps négligée, la version
d’origine en sept scènes composée en 1869 de Boris Godounov est de plus en plus présente sur la scène lyrique,
au point que la seconde, éditée en 1872, plus longue (un prologue et quatre
actes) et à l’orchestration plus léché, se fait de plus en plus rare. Celle de
1869 est focalisée sur le récit sans digression
sombre et serré de la grandeur et de la décadence du tsar, et plaidant non pas
sa culpabilité mais lui accordant le bénéfice du doute. Tandis qu’en de 1872
Moussorgski conclut sur la plainte de l’innocent, en 1869 il termine sur la
mort de Boris.
Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris). Photo : (c) Carole Parodi
Moins de cinq mois après l’entrée
de cette version à l’Opéra de Paris, le Grand-Théâtre de Genève la présente à
son tour pour la première fois in situ.
Pourtant, initialement prévue pour le Grand-Théâtre rénové, cette production
devait à l’origine reprendre une version désormais obsolète, l’une des
luxuriantes révisions de Nikolaï Rimski-Korsakov, membre lui aussi du Groupe
des Cinq russes, qui jugeait bien à tort que son confrère était un piètre
orchestrateur. C’est en raison du report de la réouverture de la salle historique
de l’Opéra genevois, qui s’est exilé dans un théâtre provisoire dans le
quartier des Nations-Unies, que le choix de l’édition première s’est finalement
imposé. Il faut dire que ce bâtiment en bois est particulièrement sonore. Tant
et si bien que l’instrumentation âpre, directe, singulièrement dramatique de
1869 est apparue mieux adaptée.
Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris). Photo : (c) Carole Parodi
L’Orchestre de la Suisse Romande resplendit
dans cette partition sombre et brute, avec ses sonorités grondante et non
policées, s’imposant comme le personnage central du drame. Paolo Arrivabeni,
entendu dans la même œuvre à l’Opéra de Marseille en mars 2017, souligne les singularités harmoniques et la verdeur cuivrée qui
donnent à l’ouvrage sa parure à la fois sauvage et rutilante. Le metteur en
scène Matthias Hartmann anime les personnages avec un réelle direction d’acteur
au milieu d’une scénographie de Volker Hintermeier faite d’échafaudages peu
élégants mais bien éclairés par Peter Bandl, avec de bizarres éléments, comme
l’immense cloche du sacre lourdement descendue par quatre hommes, l’apparition
d’un tsarévitch fantomatique et pur portant les attributs du tsar, l’innocent
chapeauté d’un seau d’eau, une brouette de Saverne d’où des femmes jettent
violemment du gravier sur le corps de Boris, d’autres des fleurs blanches aux
forts parfums. Quant aux costumes, impossible de définir par leur biais l’époque
de l’action : tenues des popes façon XVIe siècle, celles du
peuple alliant XIXe et XXIe siècles, soldats, boyards,
tsar et tsarévitch renvoyant à Poutine…
Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris), Boris Stepanov (l'Innocent). Photo : (c) Carole Parodi
La
distribution est dominée par l’impressionnant Pimène de Vitalij Kowaljow, voix
d’une solidité impériale aux graves profonds et charnus. Habité par le
personnage, jouant avec naturel, Mikhail Petrenko campe un Boris crépusculaire.
Alexey Tikhomirov, Boris impressionnant à Marseille, se limite au rôle de
Varlaam, qu’il incarne de façon magistrale, à l’instar de l’aubergiste de
Mariana Vassileva-Chaveeva. Le reste de la distribution est fort homogène,
ainsi que le Chœur du Grand-Théâtre.
Bruno Serrou
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