mercredi 25 octobre 2017

CD : Quatuor Diotima Collection : Alberto Posadas «Sombras»


Œuvre exigeante et poétique, Sombras (Ombre, Obscurité) d’Alberto Posadas est un cycle de cinq pièces pour soprano, clarinette et quatuor à cordes composé entre 2010 et 2012. L’ensemble a été créé le 26 avril 2013 au Festival de musique de chambre contemporaine de Witten (Allemagne) en l’église Saint-Jean (Johanneskirschen). Auteur de plusieurs quatuors à cordes, dont les cinq qui constituent Liturgia fractal créés en 2008 au Festival Musica de Strasbourg, le compositeur espagnol né en 1967 (voir interview https://brunoserrou.blogspot.fr/2017/06/alberto-posadas-entretien-avec-le.html) s’attache cette fois aux ambiguïtés de l’ombre. Chaque volet a été créé séparément entre 2010 et 2013. Elogio de la sombra (Eloge de l’ombre) le 16 septembre 2012 en l’abbaye de Royaumont par le Quatuor Diotima, Tránsito I (Transition I) le 26 avril 2013 à Witten par la soprano Sarah Maria Sun et Franck Chevalier, La tentación de las sombras (L’attrait des ombres) le 14 novembre 2011 à Madrid Salle de musique de chambre de l’Auditorium National par la soprano colorature Caroline Stein et le Quatuor Diotima, Tránsito II le 26 novembre 2013 à Witten par la soprano Sarah Maria Sun et le clarinettiste Carl Rosman, enfin Del reflejo de la sombra (Du reflet de l’ombre) le 16 octobre 2010 au Festival de Donaueschingen par Alain Billard et le Quatuor Diotima.

Les cinq pièces tournent autour de la notion d’ombre en tant que référence poétique et géométrique qui constitue chacun l’un des trois formants d’un cycle conçu par le compositeur sous l’impulsion du Quatuor Diotima. A l’instar des deux Nachtstück de la Septième Symphonie de Gustav Mahler, les deux Tránsito forment des intermèdes de sept minutes confiés à deux duos pour soprano, le premier avec alto, le second avec clarinette, réunissant trois grands volets d’une vingtaine de minutes chacun, le premier pour quatuor à cordes, le deuxième pour quatuor à cordes et soprano, le dernier pour quatuor à cordes et clarinette basse. Dans ce cycle, Posadas propose des œuvres reposant à la fois à des concepts de mathématiques et sur la dimension littéraire, deux faces d’un imaginaire qui lui est propre et qui suscitent une forte expressivité. Ainsi, le quatuor Elogio de la sombra s’inspire du texte Ispita umbrelor (Tentation d’ombres) tiré du Livre des leurres du philosophe roumain Emil Cioran, titre repris par Posadas pour la page centrale de son cycle. Elogio de la sombra est une partition d’une envoûtante maîtrise formelle, oscillant entre une intensité volcanique et une assurance immatérielle assurance, et par la virtuosité d’une écriture extraordinairement brillante, aux arêtes vives, d’une luminosité blafarde, dont les sonorités très aiguisées jouent avec différents niveaux de saturation. Ces vingt premières minutes imposent la puissance de la création de ce magnifique compositeur fasciné par les mathématiques dont la musique est pourtant charnelle et extraordinairement expressive. D’un souffle et d’un onirisme singulier, l’intense quintette pour soprano et cordes La tentación de las sombras (L’attrait des ombres), à l’instar du Quatuor à cordes avec soprano op. 10 d’Arnold Schönberg, convie la voix au centre du quatuor, cette fois non pas sur un poème de Stefan George mais sur un texte roumain d’Emil Cioran confié à une soprano colorature merveilleusement tenu par la cantatrice allemande Sarah Maria Sun. La voix toujours conductrice et éminemment tendue semble se propager dans l’espace du quatuor qui tisse autour d’elle un réseau de sonorités fragmentées. Le cycle se conclut sur le vigoureux quintette pour clarinette basse et cordes Del reflejo de la sombra, joué avec dextérité par le clarinettiste britannique Carl Rosman. Les Diotima donnent de ces pièces qu’ils ont inspirées une interprétation tendue au cordeau, vaillante, précise et lumineuse, se jouant des difficultés du jeu avec une époustouflante adresse tout en exaltant les beautés sonores et la densité du discours avec un naturel confondant, Posadas exploitant des techniques parfois inouïes mais toujours utilisées à bon escient, avec cales, plectres glissés entre les cordes, course particulière des archets, doigtés originaux, etc., suscitant des sonorités particulièrement originales. Les deux Tránsito convoquent la voix, associée à deux instruments aux sonorités veloutées, l’alto de l’altiste du Quatuor Diotima, Franck Chevalier, et la clarinette de Carl Rosman. La première « transition » amène dans l’ombre de l’alto la soprano, qui sort de derrière l’un des deux panneaux placés derrière le quatuor d’archets avant de commencer à vocaliser alors qu’elle est encore cachée, puis s’approche peu à peu des instrumentistes pour se joindre à eux dans La tentación de las sombras. Le quintette terminé, le son de la clarinette émerge du fond de la salle de concert pour la seconde « transition » dans un dialogue avec la soprano, qu’il invite à s’effacer derrière le second panneau où sa voix s’éteint peu à peu tandis que le clarinettiste se joint au quatuor à cordes pour clore le cycle dans Del reflejo de la sombra.

Le compositeur castillan réalise cette œuvre d’une heure un quart de façon si personnelle et si sensible que l’auditeur ne peut qu’être touché par la force et la cohérence de sa musique. Si bien que rester dans l’ignorance de la technique d’écriture est tout à fait possible, voire souhaitable. De forme cyclique, les cinq pièces construites de façon à former contraste tout en étant complémentaires s’épanouissent dans un univers sonore et rythmique d’une richesse et d’une vivacité peu ordinaires. Rien de convenu ici, mais tout semble aller de soi, proportions, équilibre, densité du discours, originalité des textures, quête sonore… Cette musique séduit, fascine, surprend à tout moment, bouscule l’écoute. Magistralement interprétés par un Quatuor Diotima et deux invités au nuancier infini et à la virtuosité d’une assurance à toute épreuve, ce disque est à connaître absolument.

Bruno Serrou

1CD. Quatuor Diotima Collection. Sarah Maria Sun (soprano), Carl Rosman (clarinette), Quatuor Diotima, Alberto Posadas, Sombras. Durée : 1h15mn49s. Enr. : 2014. Naïve V 5442

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire