Paris. Opéra de Paris-Bastille. Vendredi 13 octobre 2017
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlos. Acte de l'autodaphé. Photo : (c) Agathe Poupenet / OnP
Drame noir et oppressant sur le
pouvoir et ses perfidies dans l’Espagne du XVIe siècle minée par les
conventions et l’Inquisition, Don Carlos
est l’un des opéras les plus aboutis de Giuseppe Verdi. Il est aussi le plus
développé. C’est sans doute pourquoi cette fresque grandiose a connu une genèse
difficile qui a suscité plusieurs avatars. Tiré du drame éponyme de
Friedrich Schiller, l’ouvrage est
écrit tout d’abord sur un livret en français de Camille du Locle et Joseph Méry
dans le style « Grand Opéra » à la française en cinq actes.
Longtemps négligée, cette version créée à l’Opéra de Paris, palais Garnier, a été reprise avec
une distribution exceptionnelle (Roberto Alagna, Thomas Hampson, Karita Mattila,
Waltraud Meier, José Van Dam) Théâtre du Chatelet en 1996 dans une mise en
scène de Luc Bondy. Suivent une version en quatre actes en italien pour Londres
sous le titre Don Carlo qui évacue
l’acte de Fontainebleau initial et les ballets. Verdi retouche cette mouture en
1872 pour Naples, avant de réviser dix ans plus tard la version française avec
la collaboration de Charles Nuitter mais sans l’acte de Fontainebleau qu’il
fait réadapter en italien par Angelo Zanardi pour la Scala de Milan en 1884,
avant de retourner deux ans plus tard enfin à l’original en cinq actes traduit
en italien pour l’Opéra de Modène…
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlos. Acte de l'autodaphé. Photo : (c) Agathe Poupenet / OnP
Vingt et un ans après le
Châtelet, l’ex-directeur de ce théâtre aujourd’hui patron de la première
institution lyrique de France, réinscrit la version originale française de Don
Carlos, qui fait ainsi sa première réapparition à l’Opéra de Paris cent
cinquante ans après sa création dans ce même établissement. Cette production
était impatiemment attendue. Il y manque les ballets, qui de fait n’auraient eu
qu’un intérêt documentaire, Verdi ne les ayant ajoutés à seule fin d’obéir aux
conventions du lieu, mais en ajoutant les passages coupés peu avant la création
à la demande de la direction de l’Opéra de Paris afin de raccourcir la durée
des représentations. Une affiche de premier plan, un metteur en scène
sulfureux, une partition sombre et aux élans wagnériens qui a les atouts pour
convenir au directeur musical de l’Opéra de Paris et à son orchestre, et dans
laquelle les chœurs maison peuvent briller, voilà qui suffit à attirer les foules
d’afficionados venant du monde entier. Ce qui est le cas, puisque l’Opéra
Bastille est comble jusqu’à la dernière représentation…
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlos. Elina Garanča (la princesse Eboli), Jonas Kaufmann (Don Carlos). Photo : (c) Agathe Poupenet / OnP
Le plateau vocal a du mal avec l’articulation
française, au point que le spectateur qui ne connaît pas le texte est souvent
obligé de regarder les surtitres. Seule exception notable, le baryton français Ludovic
Tézier, Posa aussi humain et autoritaire que l’était Thomas Hampson au
Châtelet, mais à la voix aux accents plus verdiens que celle de son aîné
américain. Son incarnation d’une intensité prodigieuse sème le trouble, tant son
amour pour Carlos apparaît dans toute son évidence, au point de tirer les
larmes lors de ses adieux au quatrième acte. Tandis que le ténor allemand Jonas
Kaufmann, Carlos hésitant dans l’acte de Fontainebleau, mais viril et noble d’allure
à la voix colorée et infiniment expressive, ne peut rivaliser en matière d’élocution
avec Roberto Alagna, au timbre plus étincelant (1). Après un deuxième acte en
demi-teinte, Ildar Abdrazakov est un Philippe II trop raide mais désorienté, et
la voix manque d’extrême grave, mais il ne peut faire oublier la grandeur et la
fragilité de José Van Dam. Mais son duo avec le Grand Inquisiteur de Dmitri
Belosselskiy est une lutte terrifiante entre deux colosses. Voix de velours à
la projection flexible et puissante, Sonya Yoncheva est une Elisabeth de Valois
profondément mélancolique et désenchantée. Elina Garanča est une Eboli hallucinante, campant une princesse effroyablement
jalouse et rongée de l’intérieur. Les rôles secondaires sont remarquablement
tenus, jusqu’aux plus petits venus d’un chœur de l’Opéra de Paris éclatant dans
les magnifiques ensembles que Verdi lui réserve dans cet ouvrage.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlos. Ludovic Tézier (Rodrigue, marquis de Posa), Ildar Abdrazakov (Philippe II), Elina Garanča (la princesse Eboli). Photo : (c) Agathe Poupenet / OnP
Philippe Jordan dirige avec
flamme, ménageant néanmoins les équilibres entre la fosse et le plateau, exaltant
les contrastes de nuances de l’orchestration et les beautés sonores des pupitres
solistes, l’orchestre devenant à l’instar de celui de Wagner un véritable
protagoniste du drame.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlos. Sonya Yoncheva (Elisabeth de Valois), Elina Garanča (la princesse Eboli). Photo : (c) Agathe Poupenet / OnP
Reste la mise en scène de
Krzysztof Warlikowski, guère cohérente et dans laquelle on retrouve quelques
vieux démons du dramaturge polonais, tels le lavabo dans la prison de Carlos,
ou de provocations superflues, comme le baiser entre Eboli et Philippe II à la
fin du quatrième acte...
Si la direction d’acteur convainc, la scénographie (décors et costumes) de Malgorzata Szczesniak, peu esthétique, fond le spectateur en conjectures. Les procédés sont éculés, à commencer par l'acte de Fontainebleau qui, plutôt que prologue, adopte la forme flash-back, la suite présentant un enchaînement de souvenirs douloureux pour Carlos aux ardeurs autodestructrices, l’action se déroulant dans un espace quasi vide et bien trop vaste pour que le public perçoive les conflits intimes qui se déploient trois heures et demi durant, tandis que des vidéos floutées relient présent et passé. Les moments les plus intimistes sont situés dans des cubes plus réduits, mais l’on ne perçoit plus guère les mouvements des âmes des protagonistes, notamment dans la scène qui ouvre le quatrième acte. En revanche, malgré son dénuement et le manque de clarté des masses chorales assises dans l’ombre en arc de cercle, l’acte de l’autodafé est d’une tension saisissante.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlos. Jonas Kaufmann (Don Carlos), Ludovic Tézier (Rodrigue, marquis de Posa). Photo : (c) Agathe Poupenet / OnP
Si la direction d’acteur convainc, la scénographie (décors et costumes) de Malgorzata Szczesniak, peu esthétique, fond le spectateur en conjectures. Les procédés sont éculés, à commencer par l'acte de Fontainebleau qui, plutôt que prologue, adopte la forme flash-back, la suite présentant un enchaînement de souvenirs douloureux pour Carlos aux ardeurs autodestructrices, l’action se déroulant dans un espace quasi vide et bien trop vaste pour que le public perçoive les conflits intimes qui se déploient trois heures et demi durant, tandis que des vidéos floutées relient présent et passé. Les moments les plus intimistes sont situés dans des cubes plus réduits, mais l’on ne perçoit plus guère les mouvements des âmes des protagonistes, notamment dans la scène qui ouvre le quatrième acte. En revanche, malgré son dénuement et le manque de clarté des masses chorales assises dans l’ombre en arc de cercle, l’acte de l’autodafé est d’une tension saisissante.
Bruno Serrou
1) Warner Classics vient de rééditer en CD la captation de la production du
Théâtre du Châtelet en série économique (3 CD Erato 0190295817930)
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