Paris. Maison de la
Radio. Auditorium Studio 104 (ex-Auditorium Olivier Messiaen). Vendredi 10 février 2017
Kaija Saariaho (née en 1952). Photo : (c) Mats Bäcker / Radio France
Créé en 1991 par Claude Samuel,
alors directeur de la Musique de Radio France, Présences, festival voué à la
musique contemporaine, retrouve cette année l’esprit monographique de son
fondateur, en consacrant sa XXVIIe édition à la compositrice
finlandaise Kaija Saariaho (1).
« Ma musique correspond au
caractère secret, réservé, craintif, mais généreux des
Finlandais. Peut-être notre façon de penser la musique n’est-elle ni
légère ni joyeuse - nous puisons au plus profond de notre être. Ma musique est
peu loquace, mais chaque note a sa nécessité. »
Finlandaise résidant en France,
née en 1952, Kaija Saariaho, l’un des compositeurs contemporains les plus joués
dans le monde, est de cette nation septentrionale qui, ce dernier demi-siècle,
a produit plus de musiciens de talent qu’aucun autre pays. Les commandes ne
cessent d’affluer pour elle ; festivals, orchestres, ensembles, opéras lui
consacrent tout ou partie de leurs programmations. « J’ai le sentiment de
n’avoir rien fait d’autre que composer, me disait-elle en mars 2013 dans le
cadre d’un portrait que je lui consacrais dans le quotidien La Croix. Plus je suis jouée, plus on
entend ma musique, plus on veut me programmer. J’ai ainsi la chance de me
concentrer sur ma seule création. » Distinguée pour ses grandes partitions d’orchestre et
pour son opéra l’Amour de loin (1) créé au Festival de Salzbourg en 2000
avec un succès immédiat, elle a donné à l’Opéra de Paris Adriana Mater (2006) et, à l’Opéra de Lyon, Emilie (2010). Trois portraits de femmes sur des livrets d’Armin
Maalouf auxquels il convient d’ajouter l’oratorio la Passion de Simone (2) qui sont autant de facettes de la
compositrice. Ces quatre œuvres sont écrites sur des textes français, parce
que, vivant en France, Saariaho baigne au quotidien dans cette langue.
« Il m’importe de conduire les mots que je mets en musique. Avec le
sur-titrage, les paroles sont désormais toujours comprises, ce qui renforce chez
les spectateurs le sentiment de vivre l’opéra. »
Kaija Saariaho. Photo : DR
C’est à Paris que Kaija Saariaho
s’est installée pour travailler non loin de l’IRCAM, à l’ombre duquel elle a
acquis en vingt-cinq ans une maîtrise de l’informatique musicale hors norme.
Ainsi, avec Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen, elle
est des compositeurs finlandais du groupe Ouvrez les Oreilles qui se sont
imposés sur la scène internationale. Elève de Paavo Heininen à l’Académie
Sibelius d’Helsinki, elle a aussi étudié avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough
à Fribourg-en-Brisgau. En 1982, elle s’initie à la musique avec informatique à
l’IRCAM. Ce premier séjour parisien la met au contact des techniques de
composition élaborées par Gérard Grisey, Tristan Murail et Michael Levinas. Ce
courant de pensée allait marquer ses œuvres, toujours plus centrées sur le son,
matière vivante emplie de micro-vibrations dont l’analyse lui ouvre des
perspectives harmoniques de plus en plus larges. Sa musique apparaît ainsi dans
une continuité gouvernée par le goût du détail, une sensibilité extrême, une
vaste imagination sonore et l’usage de méthodes de composition raffinées. Elle
affine sa démarche qui place le timbre au centre de ses préoccupations,
associant matériau et forme, tandis que l’ordinateur la conduit à explorer les
ressources du son et de les projeter dans le temps. En 1995, le succès du Château
de l’âme pour groupe vocal et orchestre au Festival de Salzbourg lui vaut
la commande de l’Amour de loin. Son style s’allège, intégrant lyrisme et
classicisme. Elle compose pour ses proches, comme le chef Salonen, le
violoncelliste Anssi Karttunen, l’ensemble Avanti!. « Ces interprètes, qui
connaissent ma musique, discernent son évolution, et avec qui je peux en
discuter me sont essentiels. »
Kaija Saariaho. Phoito : DR
Après avoir remporté le Prix des
Lycéens 2013, Kaija Saariaho s’est vue consacrer un Domaine privé de la Cité de
la musique pour lequel elle s’est préparée pendant deux ans. « Nous avons
voulu lier ma musique à celle de Sibelius que je connais intimement. Son œuvre
me porte depuis toujours. Quant aux interprètes, ce sont ceux avec qui j’aime
travailler. » C’est de ces mêmes interprètes, auxquels s’ajoutent d’autres participants, que Kaija Saariaho s’est entourée
pour cette décade que lui consacre Radio France en ce mois de février 2017.
Jennifer Koh, Dima Slobodeniouk, Kaija Saariaho, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
Le premier des dix-huit concerts
de cette XXVIIe édition de Présences a attiré le banc et l’arrière-ban de la musique
contemporaine. En présence bien sûr des deux compositeurs programmés pour l’occasion,
Kaija Saariaho et Raphaël Cendo, mais aussi la grande majorité de ceux joués au
cours de cette décade, ainsi que nombre de leurs confrères, dont plusieurs
aînés, des éditeurs, des instrumentistes, d’anciens directeurs du festival,
dont son fondateur, Claude Samuel, et jusqu’au directeur de l’Opéra de Paris,
Stéphane Lissner, que l’on a peu l’habitude de croiser dans un tel cadre mais
qui programme la saison prochaine la création française de l’opéra en deux
parties Only the Sound Remains de la
compositrice finlandaise (2). Deux excellentes solistes ont servi les deux œuvres
de Saariaho à l’affiche. Créé à Londres par Gidon Kremer et le BBC Symphony
Orchestra dirigé par Esa-Pekka Salonen dans le cadre des Proms 1994, Graal Théâtre est un concerto pour
violon et orchestre de moins de trente minutes qui adopte le titre du roman
éponyme de Jacques Roubaud (né en 1932) paru en 1977 que la compositrice a
repris pour « exprimer la tension qu[‘elle] ressent entre [ses] efforts
[quand elle] écrit sa musique et l’aspect théâtral de l’exécution […] où le
soliste joue un rôle majeur, tant physique que musical ». Enregistrée en 2001
par ses créateurs (3), révisé pour orchestre de chambre en 1997, cette œuvre mériterait
d’être légèrement resserrée, mais la virtuosité particulièrement sollicitée de
la partie soliste a été brillamment assurée par la violoniste états-unienne
Jennifer Koh.
Dima Slobodeniouk, Nora Gubisch, Kaija Saariaho, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
A l’instar de la seconde partition, Adriana Songs ou Chants d’Adriana,
composée en 2006 pour mezzo-soprano et orchestre en quatre parties (dont une exclusivement
instrumentale) à partir du deuxième opéra de Saariaho, Adriana Mater créé à l’Opéra de Paris-Bastille en avril 2006 sur un
livret du fidèle collaborateur de la Finlandaise, l’écrivain franco-libanais Armin
Maalouf. Diction claire et voix de velours, Nora Gubisch a donné pour la
première audition française de ces pages une interprétation engagée et
chaleureuse, tandis que l’Orchestre Philharmonique de Radio France en a donné
une lecture mobile mais manquant d’éclat, malgré la précision et l’allant de la
direction de Dima Slobodeniouk.
Raphaël Cendo (né en 1975). Photo : DR
Le chef russe, directeur de l’Orchestre
Symphonique de Galicie, chef principal du Sinfonia de Lahti et directeur
artistique du Festival Sibelius de cette ville finlandaise, a dirigé avec
ferveur, une précision, une énergie de chaque instant la création mondiale Denkklänge (Penser [par] les sons) de Raphaël Cendo (né en 1975). Dédiée au
couple de mécènes Françoise et Jean-Philippe Billarant, cette œuvre pour grand
orchestre (bois par trois, quatre cors, trois trompettes, trois trombones,
tuba, timbales, cinq percussionnistes, harpe, piano, célesta, cordes - 14, 12,
10, 8, 6) est pour le moins impressionnante. D’une durée de quelques vingt-cinq
minutes, elle est d’une virtuosité folle, donnant à entendre des sons qui fusent
de toute part entrecoupés de silences qui brisent toute velléité discursive, tandis
que certains fortississimi
vertigineux sollicitant les oreilles des auditeurs au point de réveiller les acouphènes
des plus fragiles.
Raphaël Cendo, Dima Slobodeniouk, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
Le conducteur de l’œuvre s’ouvre sur neuf pages d’explications
que le chef doit assimiler avant de commencer à la travailler, tandis que la
pièce elle-même compte quatre vingt dix pages d’une écriture plutôt dense (voir
http://fr.calameo.com/read/00432606793f06a4cb8c8).
Denkklänge s’est révélé comme le moment-clef
du concert, et, placé juste avant la pause, ce grand moment d’orchestre allait
susciter les discussions les plus passionnées tout au long de l’entracte, les
propos allant de l’admiration la plus totale au rejet le plus violent.
Bruno Serrou
2) Du 23 janvier au 7 février
2018. 3) 1CD Sony Classical
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