Paris. Opéra-Bastille. Amphithéâtre. Jeudi 24 novembre 2016
Benjamin Britten (1913-1976), Owen Wingrave. Photo : (c) Julien Mignot / Opéra national de Paris
Rare en France, malgré son retour
en 2013 à l’Opéra de Strasbourg et en 2014 à Nancy et à Toulouse, avec The Turn of the Screw dans ce dernier
cas, Owen Wingrave de Benjamin
Britten n’avait pas été donné à Paris depuis 1996, sur la scène de l’Opéra-Comique,
mais en français et dans une production de l’Opéra de Paris.
Benjamin Britten (1913-1976), Owen Wingrave. Photo : (c) Julien Mignot / Opéra national de Paris
Donnée cette fois en anglais, sa
langue originale, les représentations données en novembre d’Owen Wingrave
ont donc constitué sa véritable création parisienne. Cet opéra en deux actes est
le pénultième ouvrage scénique du compositeur britannique. Composé au tout
début des années 1970, il résulte d’une commande de la chaîne de télévision BBC
Two, qui le diffusa pour la première fois le 16 mai 1971. Deux ans plus tard, le
10 mai 1973, à l’expiration du contrat d’exclusivité de la BBC et peu avant la
création de l’ultime Mort à Venise, Owen Wingrave est porté à la scène par
le Royal Opera House Covent Garden de Londres avec la même distribution que
celle réunie par la télévision. Reflet de l’antimilitarisme virulent de
Britten, pacifiste si convaincu qu’il devint objecteur de conscience, cet
ouvrage, à l’instar du War Requiem op. 66 de 1961, dénonce
l’aveuglement des militaires et l’inutilité des carnages suscités par les conflits
armés, cela dans le contexte de la Guerre du Viêt-Nam. Le livret est centré sur
le conflit au sein de la famille Wingrave à la longue tradition soldatesque
entre un héritier qui n’entend pas endosser l’uniforme et sa propre famille,
qui le suspecte de lâcheté et l’accule à la mort, après que sa promise l’ait
mis au défi de s’enfermer pour la nuit dans une chambre hantée dans le but de prouver
son courage. Cet argument engendre un débit musical vif et dramatique, avec une
vocalité à prédominance de récitatif, tandis qu’un orchestre réduit mais
relativement fourni en cordes et percussion, avive le lyrisme, les non-dits et
la détermination du héros.
Benjamin Britten (1913-1976), Owen Wingrave. Photo : (c) Julien Mignot / Opéra national de Paris
Owen Wingrave a été écrit pour
des chanteurs proches du compositeur ou forgés à sa création pour avoir
participé de longues années au festival qu’il avait créé au milieu des années
1940 à Aldeburgh, tels le ténor Peter Pears en général Wingrave, Janet Baker en
Kate Julian, ou Sylvia Fisher en Miss Wingrave. Pour la jeune troupe de
chanteurs en résidence de formation à l’Académie de l’Opéra national de Paris,
voilà qui présentait un véritable défi. Surtout dans la mise en scène ad minima de Tom Creed, qui se contente
de faire bouger les chanteurs qu’en avant et en arrière, et la scénographie
écrasante d’Aedin Cosgrove formée d’un imposant mur de parpaings grisâtres troué
d’une seule porte, tandis que le plateau est encombré de rapaces empaillés se
substituant à la galerie de portraits de la famille Wingrave au cours d’une longue
soirée trop arrosée. Seules le lumières bien réglées par le même Cosgrove
donnent du relief à cette action, projetant de belles ombres chinoises sur le
décor. Dans le rôle-titre, le ténor polonais Piotr Kumon impose une réelle
noblesse, relevant avec hauteur l’accusation de lâcheté que lui confère sa
famille. Le Russe Mikhaïl Timoshenko est un solide Spencer Coyle, le ténor
corse Jean-François Marras est un Lechmere solide et puissant, mais le ténor
espagnol Juan de Dios Mateos Segura ne convainc pas en Général Wingrave, et pas
d’avantage en narrateur. La soprano camerounaise Elisabeth Moussous révèle d’importants
moyens mais elle manque encore de maturité pour le personnage implacable qu’est
Miss Wingrave. En revanche, la soprano serbe Sofja Petrovic impressionne en Mrs
Coyle par sa plénitude vocale, sa présence scénique, l’émotion qui émane de sa
personne. Timbre sombre mais un peu monochrome, la mezzo-soprano égyptienne Farrah
El Dibany est une Kate Julian troublante, tandis que le rôle de Mrs Julian est trop
peu significatif pour qu’il soit possible de juger des qualités de la soprano
française Laure Poissonnier.
Benjamin Britten (1913-1976), Owen Wingrave. Photo : (c) Julien Mignot / Opéra national de Paris
Placé sur les gradins publics de
l’amphithéâtre côté cour, l’Orchestre Ostinato complété des cordes de l’Académie
dirigé tout en souplesse et en sensibilité par un fin connaisseur de la musique
de Britten, le chef britannique Stephen Higgins, a rendu avec allant et rigueur
les atmosphères d’une partition riche en couleurs et en contrastes.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire