Paris.
Théâtre des Champs-Elysées. Lundi 5 décembre 2016
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Robert Gleadow (Leporello), Jean-Sébastien Bou (Don Giovanni). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
Plus de trois ans et demi après
sa première représentation, le 30 avril 2013, le Théâtre des Champs-Elysées
reprend avec une distribution entièrement renouvelée la production noir et
blanc d’une efficacité dramatique redoutable de Stéphane Braunschweig vivifiée
par la direction singulièrement énergique de Jérémie Rhorer.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Steven Humes (le Commandeur), Myrto Papatanasiu (Donna Anna), Julien Behr (Don Ottavio). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
A l’instar de la conception de
Michael Hanecke pour l’Opéra de Paris, Stéphane Braunschweig déplace les
tribulations du célèbre Burlador du XVIIIe siècle aux temps
présents. Mais au cadre supérieur amoral sévissant dans les bureaux luxueux du
quartier de la Défense à Paris du cinéaste allemand, le metteur en scène
français a substitué un libertin sans état d’âme, d’une vitalité débordante, au
souffle pétillant à jet continu. L’action est au cœur d’un dispositif tournant
en noir et blanc, qui se situe au-delà du simple machiavélisme.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Myrto Papatanasiu (Donna Anna), Julien Behr (Don Ottavio). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
En effet, Don
Giovanni, pourtant susceptible d’incarner le « mal », est
continuellement vêtu de blanc, qu’il soit en costume de ville XXe siècle ou en
habit de fête XVIIIe, le visage couvert du masque de la mort dans le
finale du premier acte, et n’est en en noir que lorsqu’il endosse les vêtement
de son serviteur, comme les personnages « moraux ». Le tout donne le
tour d’un film des années 1950-1960, tandis que l’orgie qui précède la scène
des masques plonge dans l’univers du Stanley Kubrick d’Eyes Wide Shut.
C’est ici qu’apparaissent les seuls taches de couleur de costumes de
courtisanes à dominante rouge et or.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Julie Boulianne (Donna Elvira). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
La vision d’ensemble de Braunschweig est angoissante,
tant la présence de la mort et de sa symbolique anthropomorphe est prégnante,
avec en particulier sept corps en décomposition qui dominant un panneau mobile
au centre du plateau protégés par autant de vitrines, tandis que des lits de
morgue et autres tiroirs à cadavres donnant sur un réfrigérateur-crématorium
occupent l’espace avant qu’y soit finalement précipité Don Giovanni vivant, après
que ce même lit eut servi au cadavre du Commandeur au début du spectacle,
tandis qu’au court de la morale finale, Leporello devenu fou se retrouve
allongé sur un lit d’hôpital.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Robert Gleadow (Leporello, au centre), Myrto Papatanasiu, Julien Behr et Julie Boulianne (les trois masques, à gauche), Anna Grevelius (Zerlina) et Marc Scoffoni (Masetto) à droite. Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
Avivée par la direction d’acteur
au cordeau de Stéphane Braunschweig, la distribution est dominée par le Don
Ottavio généreux et mâle de Julien Behr la Zerlina spontanée de Anna Grevelius,
et l’impressionnant Commandeur de Steven Humes. Nouveau venu dans cette
production, Marc Scoffoni est un Masetto tout d’une pièce mais naturel. Jean-Sébastien
Bou succède à Markus Werba dans le personnage de Don Giovanni.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Robert Gleadow (Leporello), Jean-Sébastien Bou (Don Giovanni), Julie Bouylianne (Donna Elvira). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
Pour sa prise de
rôle, le baryton français s’impose par sa théâtralité, sa vivacité, son
panache, sa voix supérieurement chantante et claire, tandis que le Leporello de
Robert Gleadow, déjà présent en 2013, domine toujours son « patron »
de son timbre sombre et puissant. Myrto Papatanasiu succède à Sophie
Martin-Gregor en Donna Anna, plus humaine et attendrissante que sa devancière mais moins sûre
dans les vocalises d’une néanmoins troublante aria « Non
mi dir, bell’idol mio ». Julie Boulianne, qui succède à Miah Persson
en Donna Elvira, n’est pas toujours juste et ses vocalises patinent. Abondant
dans le sens de la mise en scène, la direction nerveuse et vive de Jérémie Rhorer
à la tête de son Cercle de l’Harmonie, ne laisse aucun répit aux spectateurs,
qui ne s’ennuie pas une seconde.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Jean-Sébastien Bou (Don Giovanni), Robert Gleadow (Leporello), Julie Boulianne (Donna Elvira), Marc Scoffoni (Masetto). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
Mais l’effectif des cordes annihile la chair
sonore, les timbres sont aigres, réduisant ainsi sensualité et fluidité. L’élan
instauré par le chef est si fébrile dès les premières mesures de l’ouverture,
exécutée à rideau ouvert om l’on voit Don Giovanni violer Donna Anna avec une
violence tétanisante, qu’un écart de justesse de cor apparaît, écarts que l’on
retrouve en d’autres circonstances, par exemple au chalumeau dans la musique de
scène du souper.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Julien Behr (Don Ottavio), Myrto Papatanasiu (Donna Anna), Anna Grevelius (Zerlina), Marc Scoffoni (Masetto), Robert Gleadow (Leporello), Julie Boulianne (Donna Elvira). Photo : (c) Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées
Mais le plus fâcheux est le manque d’épaisseur des cordes, et
si le compte y est, celles utilisées semblent sans chair, les timbres aigres et
manquent de présence. Ces déficiences sont si présentes que les chaudes volutes
du violoncelle solo dans l’aria de Zerlina « Batti
batti, o bel Masetto », sont quasi inaudibles. Si la flamboyance et l’urgence
du drame sont supérieurement mises en évidence, ils suscitent un manque de sensibilité,
de fluidité, tandis que la sensuelle polyphonie mozartienne est édulcorée.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire