Quarante ans après le magistral Erewhon (1977), Hugues Dufourt (né en
1943) se plonge de nouveau dans la percussion pour lui consacrer une œuvre de
très grande dimension, intitulée Burning
Bright, ou « Brûlant éclair ».
Une heure cinq de pure magie sonore composée pour le cinquantième anniversaire des
Percussions de Strasbourg, commanditaires et créateurs d’Erewhon.
Le titre Burning Bright est tiré du premier vers de l’incandescent poème The Tyger (Le Tigre) que William Blake (1757-1827) a écrit en 1794 :
« Tyger, Tyger, burning bright / In
the forest of the night / What immortal hand or eye, / Could frame thy fearful
symmetry ? » (Tigre, tigre,
ton éclair luit / Dans les forêts de la nuit / Quelle main, quel œil immortels /
purent créer ton effrayante symétrie ?). A l’instar d’Erewhon, anagramme de Nowhere (Nulle part), Burning Bright
se fonde sur la notion d’espace. Ce que confirme le titre de chacun des douze mouvements
enchaînés, successivement intitulés Vertical
1, Suspendu 1, Blocs résonnants, Tourbillon 1, Densifications,
Vertical 2, Espaces pulsés, Tourbillons 2,
Marches, Lointains 1, Suspendu 2
et Lointains 2, ainsi que la musique
elle-même, qui joue sur la profondeur du son, la résonance, la distance de la
source sonore, et surtout un nuancier d’une ampleur infinie.
La structure de Burning Bright induit une
dramaturgie et des retours amplifiés par le déploiement instrumental, le tout
suscitant un impressionnant spectacle, autant pour l’œil que pour l’oreille. « Conçu
d’un seul tenant, tel un immense adagio de Bruckner, écrit Hugues Dufourt,
Burning Bright est une vision poétique en rupture avec les types de
délimitation propres à la tradition, contours ou clôtures. La musique s’élève
par couches, par nappes, ou se déploie par émergences amples et diffuses. Les
timbres dessinent leur propre espace de résonnance et se disposent en
profondeur, dans la fuite infinie d’un horizon. » Les sons enflent, se
diffusent, se tordent, s’entremêlant tels des fluides ou des gaz, et les
techniques de friction prennent le pas sur celles de la percussion. Ainsi des
nappes, en battements ou frottements, semblent émerger, soient isolément soit
par agrégats. Crépitements et déflagrations traversent brusquement et
fugitivement le silence comme dans l’obscurité infinie de l'espace cosmique.
Les métaux dominent les bois et peaux, particulièrement gongs, tam-tams,
grelots, steel drums, flexatone, cymbales etc. Esthétique de la fragmentation, certes,
mais qui n'exclut pas l’unité acoustique et psychologique qui se dégage de ce magma
chaotique originel. Burning Bright, A l’audition, la matière
phonique est en perpétuelles marche et métamorphose. « « Jouer
Burning Bright c’est avant tout entrer dans un temps différent, en décalage
avec la verticalité qui nous entoure, espace où le temps devient élastique,
horizontal, secret comme un souffle, une respiration, note Jean Geoffroy,
directeur artistique des Percussions de Strasbourg. Espace dans lequel le
silence n’est jamais loin… »
Dans Burning Bright, Hugues Dufourt atteste d’une
authentique expressivité, sa sensibilité à fleur de peau qu’il a coutume de
dissimuler pudiquement derrière un voile opaque d’un hermétisme scientifique et
théorique. Burning Bright touche à la métaphysique, la vie
intérieure du son devenant l’illustration de l’errance humaine au sein de l’espace
sidéral. Dans ce « drame sans récit ni anecdote », le son conduit
inévitablement au silence. Et le vertige que provoque cette « vision
poétique » se double, par sa référence au poème de William Blake, de la
nostalgie d’un temps humain orienté, celui d’avant le tic-tac des horloges.
Ainsi, le compositeur, démiurge, réoriente le temps musical, ou temps humain en
l'inscrivant dans l’infinité dynamique de l’espace. Pas de finale clair dans Burning
Bright, mais un mécanisme qui s’épuise, comme s’éteint une chandelle faute
de matière. Les Percussions de Strasbourg sont les artisans prodigieux de ce
voyage dans l’éternité sidérale de l’âme humaine et des bruissements de l’univers.
Bruno Serrou
CD Percussions de Strasbourg. Durée : 1h05mn. Enregistré en mars 2016. PDS116BB /AD3696C
Très belle chronique, qui donne grande envie d'écouter l'oeuvre, ce que j'ai commencé à faire grâce à mon abonnement streaming qui me mènera sans doute à l'achat du disque. (Florence Trocmé)
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