Nice (Alpes-Maritimes). 37e Festival MANCA. Opéra Nice Côte
d’Azur, Association Forum Jacques Prévert de Carros Salle Juliette Gréco.
Vendredi 18 et samedi 19 novembre 2016
Nice. Novembre 2016. Photo : (c) Bruno Serrou
Quatre mois après la tragédie du
14 juillet qui a endeuillé Nice, le Festival MANCA qui se tient en ce mois de
novembre dans cette même ville témoigne que la création artistique est un
véritable ciment de la société
Nice, un violoncelle au marché aux fleurs. Photo : (c) Bruno Serrou
Il est aujourd’hui de bon ton de
juger la musique appelée classique au pire de ringarde, au mieux d’élitiste. Au
sein de cette classification, la création contemporaine est encore plus
déconsidérée. Les médias de l’audiovisuel en sont les premiers responsables,
les rubriques musique étant réservées aux nombreuses niches dont les noms
fleurissent à l’apparition d’un comas de différence avec ce qui existe déjà,
disparaissant au gré du vent et de la mode, les vertus d’une
« musique » étant jugées non plus au travail, à l’originalité ou à la
qualité d’écoute qu’elle nécessite mais à sa rentabilité, à son immédiateté et
au nombre de vues sur les réseaux sociaux. Alors qu’une œuvre d’art est telle
une luciole dans la nuit.
« Il faut dire que l’écoute de la musique contemporaine demande un réel effort de la part de l’auditeur, convient Muriel Marland, ex-députée de Nice-Centre aujourd’hui présidente du CIRM (Centre international de recherche musicale). Ce qui n’est pas évident dans ce monde qui confond culture et divertissement. Mais le plaisir est grand à l’écoute gratifiante, même de celle qui ne nous parle pas immédiatement. Les surprises sont constantes, et le jeu de l’esprit peut être partagé avec le plus grand nombre. Mais il y faut de l’éducation. Les arts sont d’ailleurs les grands absents de l’Education nationale, alors qu’ils élèvent l’esprit, et les disputes esthétiques sont plus constructives que celles de l’obscurantisme et de la haine de l’autre. C’est une question d’éthique. On vit dans une époque, et si on ne défend pas la création de notre époque, cela signifie que nos enfants n’auront pas de patrimoine. » Mme Marland constate que les arbitrages culturels des pouvoirs publics est avant tout une histoire de volonté des élus. « En fait, il n’y a pas de budgets contraints, il n’y a que des choix politiques, et il faut se battre pour ne serait-ce que contenir les baisses de subventions, sinon c’est une vraie volonté de tuer la création. »
Muriel Marland (Présidente CIRM / MANCA) et le compositeur Philippe Schoeller. Photo : (c) Bruno Serrou
« Il faut dire que l’écoute de la musique contemporaine demande un réel effort de la part de l’auditeur, convient Muriel Marland, ex-députée de Nice-Centre aujourd’hui présidente du CIRM (Centre international de recherche musicale). Ce qui n’est pas évident dans ce monde qui confond culture et divertissement. Mais le plaisir est grand à l’écoute gratifiante, même de celle qui ne nous parle pas immédiatement. Les surprises sont constantes, et le jeu de l’esprit peut être partagé avec le plus grand nombre. Mais il y faut de l’éducation. Les arts sont d’ailleurs les grands absents de l’Education nationale, alors qu’ils élèvent l’esprit, et les disputes esthétiques sont plus constructives que celles de l’obscurantisme et de la haine de l’autre. C’est une question d’éthique. On vit dans une époque, et si on ne défend pas la création de notre époque, cela signifie que nos enfants n’auront pas de patrimoine. » Mme Marland constate que les arbitrages culturels des pouvoirs publics est avant tout une histoire de volonté des élus. « En fait, il n’y a pas de budgets contraints, il n’y a que des choix politiques, et il faut se battre pour ne serait-ce que contenir les baisses de subventions, sinon c’est une vraie volonté de tuer la création. »
François Paris conversant avec deux festivaliers des MANCA. Photo : (c) Bruno Serrou
Le compositeur François Paris,
directeur du CIRM et des MANCA qui en sont la part publique, ne peut cependant
que relever cette baisse des subsides publics. « Créer, dans le monde
où nous vivons, est un acte de résistance. J’espère que cette année sera de
transition. Nous avons été contraints de baisser la voilure en supprimant trois
soirées. Il ne faut pas oublier que ce festival avait à l’origine la même
voilure que Musica de Strasbourg, avec un mois d’activité. Les élections
régionales de décembre ont fait que tout a été bloqué, et en mai il m’a fallu
annoncer aux ensembles auprès de qui je m’étais engagé qu’il me fallait
renoncer. Mais il y a aussi de bonnes nouvelles… » En, effet, les concerts
du premier week-end ont été une réussite totale, tant artistiquement que côté
public. Salles combles de passionnés à dominante jeune. « Nous avons passé
des accords avec l’Université Nice-Sophia-Antipolis. Sa présidente Frédérique
Vidal a convié le CIRM à faire partie intégrante de la future Université
Côte-d’Azur et nous allons candidater au programme IDEX (Initiative
d’Excellence), et on voudrait un focus sur les écoles d’art, ce qui fera l’originalité
de cette nouvelle université. Ainsi, le CIRM sera présent au même titre que le
CNRS, le CHU, l’Observatoire de Nice, l’Inria. Ce qui s’avère comme un bol
d’air pour nous. Nous aurons donc un doctorant sous contrat sur une durée de 3
ans. Nous prenons ainsi le risque d’être considérés non pas élitistes mais
super-élitistes. »
Photo : (c) CIRM / MANCA
J'accuse d'Abel Gance et Philippe Schoeller
Ouverte le 17 novembre sur un récital pour violoncelle et violoncelle et électronique de la magicienne Séverine Ballon dont le programme difficile a réussi à tétaniser le public par la qualité inouïe de sa prestation, comme en est convenu François Paris qui en a pourtant vu d’autres, le premier des deux grands week-ends de la trente-septième édition des MANCA était axé sur les relation musique et cinéma. Vendredi soir, dans un Opéra de Nice plein à craquer où lycéens et étudiant étaient majoritaires, était projeté l’un des chefs-d’œuvre du cinéma muet français, J’accuse qu’Abel Gance tourna en noir et blanc en 1919, aux lendemains de la Première Guerre mondiale. Gance y signe un plaidoyer contre la violence et la guerre en s’appuyant sur la vie et la mort de deux poilus, un poète et une brute épaisse qui apprendront à se connaître sur le champ de bataille, épris d’une même femme, qui sera violée par des soldats allemands, le premier devenant pacifiste avant de finir fou. En partie détruit et détérioré en 1980 à la suite d’un incendie, le film a été en partie reconstitué en 2008, avant d’être restauré et remastérisé en vue de la commémoration du centième anniversaire de la Première Guerre mondiale. Dans cette même perspective, les chaînes de télévision allemande ZDF et franco-allemande ARTE et Lobster Films, ont commandé à Philippe Schoeller (né en 1957) une partition pour grand orchestre, électronique et le chœur réalisée par Gilbert Nouno et enregistré à l’IRCAM de la durée totale du film, soit cent soixante-six minutes. La première mondiale de ce spectacle a été donnée Salle Pleyel le 8 novembre 2014 par l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Frank Strobel. Ce même Ciné-concert a été donné le 20 septembre dernier à Strasbourg dans le cadre du festival Musica avec le Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR dirigé par Christian Schumann. Ce même Christian Schumann qui reprenait l’œuvre au MANCA, cette fois à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice.
Opéra de Nice, J'accuse d'Abel Gance et Philippe Schoeller. Photo : (c) CIRM / MANCA
Comme l’explique Schoeller,
auteur des bandes originales des films de son frère Pierre (né en 1961), « la
musique n’a pas besoin de dire ce qui l’est déjà ; elle aspire à révéler
l’indicible ». Ainsi, dans J’accuse,
s’organise-t-elle selon un enchaînement de couleurs adaptées aux périodes et
aux émotions de l’action. Ainsi, la partition de Schoeller aspire-t-elle à
tisser ces émotions œil-oreille, « tel un sommet qui dépasse la somme de
ses parties ». Pour la projection niçoise, l’orchestre symphonique
incluant piano et harpe était placé dans la fosse, tandis que les cinq
percussionnistes, le timbalier au centre, sur le plateau, à l’aplomb de l’écran.
La musique de Philippe Schoeller, bruissante, mobile, d’une force expressive
pénétrante, trahissant l’âme des nombreux personnages du film sans jamais faire
redondance, la diversité des climats et des moments qui va encore plus
profondément dans le vécu des héros et le ressenti du spectateur, le renouveau
continu des timbres et du son qui maintient l’attention de l’auditeur
littéralement scotché sur son fauteuil et qui, comme dans un opéra de Richard
Wagner peut se repérer par un ensemble de leitmotivs changeant comme des
fresques au fur et à mesure du développement et de la destinée des individus. L’énergie
des cordes fusionnées à l’action à laquelle s’associent les instruments à vent
qui se voient confiées de longues phrases mélodiques, tandis que la percussion
(la partie de timbales, omniprésentes est d’une virtuosité saisissante)
enrichie par le piano et la harpe, ajoute en tensions obscures et en
respirations burlesques. Le point culminant de cette énorme partition
accompagne, commente et amplifie les dernières scènes du film, avec cette
terrifiante marche des soldats morts qui se relèvent pour s’assurer que leur
sacrifice n’a pas été vain et qui débouche sur la mort du poète Jean Diaz
devenu fou. Ces sinistres moments sont ponctués de simples accords répétés à
satiété, tandis que l’électronique égrène un chœur virtuel qui semble émaner de
l’intimité désespérée de l’auditeur, submergé par la désolation de la guerre et
par l’incompréhension.
La console électronique pôur J'accuse d'Abel Gance et Philippe Schoeller. Photo : CIRM / MANCA
Malgré le peu de temps de
répétitions (filage et générale) dont ont disposé le chef Christian Schumann et
l’Orchestre Philharmonique de Nice, qui découvrait à la fois le chef allemand
et la partition, la phalange azuréenne a restitué toute la force et la
diversité de cette œuvre magistrale, sans faute majeure à l’exception de
quelques décalages, cordes, bois, cuivres et percussion s’investissant sans
réserve dans la partition.
Nicole Garcia (Janine Garnier) dans Mon oncle d'Amérique (1980) d'Alain Resnais. Photo : DR
Le cinéma d'Alain Resnais face au théâtre instrumental de Mauricio Kagel
La seconde partie du premier
week-end des MANCA se tenait dans la commune de Carros, à une vingtaine de
kilomètres de Nice. Cette agglomération où la Culture est le premier poste
budgétaire, dispose d’un centre culturel où sont programmées quelques
cent-vingt soirées pluridisciplinaires. Titrée « Théâtre musical et
Cinéma », celle du Festival MANCA s’est déroulée en trois partes. La
première était occupée par les cent vingt cinq minutes du film d’Alain Resnais Mon oncle d’Amérique sorti en 1980, inspiré
des travaux du neurologiste Henri Laborit dans lequel le cinéaste, pour qui la
musique et le temps musical comptent particulièrement, a confié la bande
originale aux Suisses Arié Dzierlatka (1933-2015) et Thierry Fervant (né en
1945), qui à la fois souligne la musicalité des voix des acteurs et le ton
dialogues propres au cinéma d’avant-garde dont Resnais est l’un des
représentants les plus assidus, et dissocie le spectateur de l’action - dans
cette musique de film, les passages les plus marquants et originaux sont ceux
qui associent le violoncelle et l’accordéon.
Mauricio Kagel, Dressur. Trio Noam Bierstone, Rémi Durupt et Thibaud Lepri. Photo : (c) CIRM / MANCA
Mis en regard avec le film de
Resnais, le théâtre instrumental de Mauricio Kagel (1931-2008) tient du même
substrat. Composé en 1976-1977, tandis que le cinéaste français concevait son
film, Dressur (Dressage) pour trois percussionnistes du compositeur argentin, dont
l’humour n’est pas la moindre des qualités, livre une expérience quasi
phénoménologique du temps, du geste et du son. Créé aux Journées internationales
de la musique contemporaine de Metz 1977 par le Trio Le Cercle constitué de
Jean-Claude Drouet, Willy Coquillat et Gaston Sylvestre, cette pièce de
vingt-six minutes est écrite pour la seule famille des instruments
à percussion en bois, au nombre de plus d'une cinquantaine, du classique marimba aux instruments les plus improbables
(tables, chaises, plateformes, bâtons, sifflets, grains durs versés sur une
surface métallique, sabots, etc.), la majorité d’entre eux ayant été conçus et
fabriqués expressément pour cette œuvre et conservés au CRR de Rueil-Malmaison.
Théâtre musical, l’œuvre requiert pour les musiciens costumes et maîtrise de la
comédie, une technique instrumentale infaillible. L’œuvre transforme la scène
de concert en arène de cirque, redéfinit le théâtre en terme musical, et va aux
limites de la performance musicale, les musiciens marchant, courant, dansant,
grognant, hurlant tout en jouant de leurs instruments. Gaston Sylvestre, l’un
des créateurs, a travaillé une année durant avec les trois interprètes de la soirée,
Noam Bierstone, Rémi Durupt et Thibaud Lepri, qui en ont donné une
interprétation brillante et jubilatoire, jouant de leurs instruments en
virtuose et se faisant peu à peu comédiens emportés naturellement par leur
performance.
Gaston Sylvestre, l'un des trois créateurs de Dressur de Mauricio Kagel. Photo : (c) Bruno Serrou
S’ensuivit un « débriefing »
public des deux œuvres vues et entendues dans la soirée, présenté par le
musicologue Jean-François Trubert, en présence de Serge Lorenzo Milan, maître
de conférence à l’Université Nice Sophia Antipolis, et du plus touchant et
passionnant Gaston Sylvestre, qui rappela les circonstances de la genèse et de
la création de Dressur, et évoqua les
difficultés d’exécution de l’œuvre et son travail avec ses jeunes disciples qui
venaient de l’interpréter.
Bruno Serrou
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