Paris, Festival Manifeste de l’Ircam, Théâtre de l’Athénée, mercredi 17
juin 2015
Michael Levinas (né en 1947), la Métamorphose. Production Le Balcon/Ircam. Photo : (c) Meng Phu - Le Balcon
Créé avec succès le 7 mars 2011 à
l’Opéra de Lille (1), son commanditaire, la
Métamorphose est, après la Conférence
des oiseaux en 1985, Go-gol en
1996 et Les Nègres en 2004, le
quatrième opéra de Michaël Levinas. La musique de cette Métamorphose est si sombre, qu’elle ne fait aucune concession à la
lumière. Tant et si bien que cet opéra en un acte de soixante-dix minutes au
sujet grave, avec cet homme victime d’une métamorphose en hideux cancrelat
qu’il découvre à son réveil et que sa famille qu’il aime profondément et pour
laquelle il a tout sacrifié abandonne et laisse mourir avec dégout, est d’un
tragique accablant. Les huit chanteurs (contre-ténor, soprano, trois barytons,
deux mezzo-sopranos, basse) et
l’ensemble de quinze instrumentistes (violon, alto, violoncelle, deux
contrebasses, flûte, cor, trompette, trombone, claviers Midi, piano, guitare
électrique, deux percussionnistes, harpe), sont enrichis d’une partie
électronique dense et raffinée réalisée à l’Ircam par Benoît Meudic.
Michael Levinas (né en 1947), la Métamorphose. Production Le Balcon/Ircam. Photo : (c) Meng Phu - Le Balcon
Six mois après la
belle réussite de la création du Petit
Prince d’après Antoine de Saint-Exupéry, à Lille (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/12/avec-le-petit-prince-michael-levinas.html),
Michaël Levinas fait de nouveau l’actualité avec une nouvelle production de la Métamorphose, ouvrage qu’il a adapté
de la nouvelle éponyme de Franz Kafka. Le compositeur a retravaillé sa
partition avec la participation de ses interprètes dans la perspective de cette
nouvelle production présentée au Théâtre de l’Athénée dans le cadre du Festival
ManiFeste de l’Ircam (2), l’œuvre apparaît plus dense, variée et moins
systématique, l’usage qui apparaissait excessif à la création du glissando descendant étant moins
prégnant.
Michael Levinas (né en 1947), la Métamorphose. Production Le Balcon/Ircam. Photo : (c) Meng Phu - Le Balcon
Toujours précédée du prologue Je,
tu, il, jeu de phonèmes finement mis en scène, l’éclairage se focalisant pour
cette reprise sur les seules lèvres rouges des quatre protagonistes, la
première partie de la Métamorphose ménage
toujours la surprise, tandis que le dernier quart d’heure est d’une grande
intensité. Divisé en cinq madrigaux séparés par deux ritournelles, une
psalmodie, deux chants d’amour, un chant de mort, une musique « du
mille-pattes », un préambule et conclu sur un postlude, ce grand nocturne
de soixante-dix minutes découle de la même préoccupation de Levinas dans son
premier opéra, La Conférence des Oiseaux,
la dimension animale du monde instrumental. Quant à la voix, celle du
personnage central victime de la métamorphose, le représentant de commerce
Gregor Samsa, elle se veut ni totalement humaine ni parfaitement animale, ce
qui est rendu possible par l’appoint particulièrement soigné de l’électronique
sur la voix de sopraniste, « un accord par note, chaque accord étant
arpégé, et chaque note de l’arpège sculptée selon sa courbe propre. Ombres et
retards, vie intérieure de la voix comme polyphonie » (Michaël Levinas).
Michael Levinas (né en 1947). Photo : (c) Ircam
Cette nouvelle
production est placée sous l’égide de l’équipe Le Balcon, ensemble qui met un
terme (provisoire ? définitif ?) à sa résidence Théâtre de l’Athénée,
qui ferme ses portes plus d’un an en raison de travaux de rénovation et de mise
en conformité aux normes de sécurité, alors que cette association de
compositeurs, musiciens, ingénieurs du son et informaticiens se trouve en ce
moment dans une mauvaise passe financière qui l’incite à formuler un appel aux
dons (3). « Créée à Lille, la
Métamorphose est entièrement repris pour cette nouvelle production dont
nous maîtrisons les tenants et aboutissants, me disait Maxime Pascal lors d’une
interview en février dernier. Nous produisons, et coproduisions avec l’Ircam,
mais nous sommes leaders du spectacle, et si l’électronique a bien été réalisée
à l’Ircam, nous reprenons aussi cette partie, et reconcevons le dispositif de
diffusion en lien avec l’idée que nous nous faisons de l’œuvre. Du coup, tous
les aspects artistiques, musique, mise-en-scène, électronique, son, sont conçus
par le même noyau. »
Michael Levinas (né en 1947), la Métamorphose. Production Le Balcon/Ircam. Photo : (c) Meng Phu - Le Balcon
Pour le rôle central
de ce opéra, Michael Levinas avait fait appel dès la conception de son opéra à
l’un de ses fidèles interprètes, Fabrice di Falco. Pour cette reprise, la voix
du contre-ténor est confinée à l’informatique, tandis que le rôle est tenu sur
scène par l’excellent Rodrigo Ferreira, à qui le vidéaste Benoît Simon fait
faire par projections interposées d’incroyables acrobaties. A ses côtés, tous
les rôles sont parfaitement tenus par de jeunes chanteurs, qui se fondent avec
naturel dans l’efficiente direction d’acteur de Violeta Zamudio, à commencer par
Elise Chauvin, sœur de Gregor, Camille Merckx, leur mère, Vincent Vantyghem,
leur père, mais aussi Sydney Fierro, Florent Baffi, Virgile Ancely et
Anne-Emmanuelle Davy. Dirigé avec allant et onirisme par Maxime Pascal, Le
Balcon, qui joue sur un praticable monté en fond de scène dissimulé par un
léger rideau, est clair et homogène, ménageant de chaudes sonorités, moins
sombres que celles de l’Ensemble Ictus qui donna la création de l’œuvre à
Lille, mais tout aussi rutilantes.
Bruno Serrou
1) La captation de cette création
est disponible en CD chez Aeon (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/05/cd-indispensable-temoignage-de-la.html),
enregistrement qui a été récompensé d’un Grand-Prix de l’Académie du Disque
lyrique en 2012
2) Cette production sera reprise le 25 septembre prochain par le Festival Musica de Strasbourg Cité de la musique et de la danse, et le 4 décembre 2015 à Colombes (L’Avant-Seine)
3) http://www.lebalcon.com/index.php/fr/nous-soutenirhome.
http://s9gs.mj.am/link/s9gs/ |
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