Pierre Boulez entouré de Rolf Liebremann et de Patrice Chéreau. Photo : DR
Le texte ci-dessous a été écrit pour la plaquette de la remise des prix de l'Académie du Disque lyrique au Théâtre du Châtelet mercredi 24 juin 2015, qui rendait hommage à Pierre Boulez à travers sa discographie lyrique et son oeuvre vocale réunies en coffrets par ses trois éditeurs, Sony Classical ex-CBS, Erato/Warner et DG.
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Compositeur, chef d’orchestre, penseur,
pédagogue, essayiste, organisateur, administrateur - avant et après l’Ircam et
l’Ensemble Intercontemporain, il a travaillé sur deux réformes de l’Opéra de
Paris qui n’aboutiront pas, à l’instar de la fameuse salle modulable de
l’Opéra-Bastille qui devait servir de lieu expérimental pour une nouvelle approche
de la création lyrique -, homme universel doué d’une intelligence aiguë et
pragmatique, passionné de littérature, de poésie, de peinture, Pierre Boulez
est l’un des artistes les plus marquants et les plus influents de notre temps. Né
à Montbrison (Loire) voilà 90 ans le 26 mars 1925, il porte très haut les
couleurs de la France artistique et musicale dans le monde, autant comme
compositeur qu’en tant que chef d’orchestre. Il a en effet dirigé les fameux « big
five » nord-américains, de l’Orchestre de Cleveland, que lui confia George
Szell en 1967, au Philharmonique de New York, dont il a été dix ans le
directeur musical après le départ de Leonard Bernstein, en passant par les
Orchestres Symphonique de Chicago, dont il est l’invité privilégié, et Philharmonique
de Los Angeles. En Europe, il a été le patron de l’Orchestre Symphonique de la
BBC, et il est très souvent invité par les Orchestres Philharmonique de Berlin
et de Vienne et de la Staatskapelle de Berlin, ainsi que des Orchestres
National de France et de Paris.
Pierre Boulez et Jean-Louis Barrault en 1959, Théâtre de l'Odéon. Photo : (c) Lipnitzki / Roger Viollet
Côté opéra, s’il n’a lui-même
jamais composé pour la scène lyrique qu’il a longtemps vouée aux gémonies avant
d’espérer collaborer avec de grands écrivains comme Samuel Beckett, Jean Genet,
Bernard-Marie Koltès et Heiner Müller, Boulez s’est plu à travailler avec les
grands noms de la mise en scène, à commencer par Wieland Wagner avec qui il
collabora une première fois dans Wozzeck
de Berg à Hambourg, avant que ce petit-fils de Richard Wagner l’appelle une
première fois en 1966 à Bayreuth pour diriger Parsifal à la suite du décès de Hans Knapperbusch au mois d’octobre
de l’année précédente. Il dirigera ce même Parsifal
jusqu’en 1970. Avec Wieland Wagner, il avait également prévu une nouvelle
production de Salomé… Mais la mort
prématurée de ce dernier en octobre 1966 stoppa net leurs nombreux projets
communs. Début 1967, il dirige à Osaka son unique Tristan et Isolde, dans la célèbre mise en scène de Wieland Wagner.
Pierre Boulez et Wieland Wagner travaillant sur la partition de Parsifal de Richard Wagner à Bayreuth en 1966. Photo : DR
Mais le décès du metteur en scène en octobre 1966 met un terme à cette première
période lyrique. En 1976, Wolfgang Wagner le rappelle à Bayreuth pour diriger
le Ring du centenaire. C’est lui qui
recommande à Bayreuth pour l’occasion le jeune Patrice Chéreau. A eux deux,
avec cette production en constante évolution jusqu’à son ultime reprise de
l’été 1980, ils vont révolutionner la scène lyrique mondiale jusqu’à
aujourd’hui. En 1979, Rolf Liebermann offre aux deux hommes la création à
l’Opéra de Paris de l’intégrale en trois actes de Lulu d’Alban Berg, qui avait laissé à sa mort l’acte final
incomplet. C’est d’ailleurs avec le chef-d’œuvre du même Berg, Wozzeck, que Boulez avait fait ses
débuts en 1963 dans une fosse d’orchestre, tandis que son protecteur Jean-Louis
Barrault faisait lui aussi dans cette même production ses premiers pas dans la
mise en scène lyrique, à l’Opéra de Paris sur l’invitation de Georges Auric,
son directeur d’alors, qui les appellera de nouveau en 1966 pour une reprise de
cette production. Il retrouvera Patrice Chéreau en 2007 dans De la maison des morts de Janacek qui se
révèlera être son ultime spectacle lyrique.
Pélléas et Mélidande de Claude Debussy dans la production de l'Opéra de Cardiff dirigée par Pierre Boiulez et mise en scène par Peter Stein. Photo : DR
Auparavant, il dirige Pelléas et Mélisande au Covent Garden de
Londres en 1969, ouvrage qu’il retrouve en 1992 avec la complicité de Peter
Stein dans une production donnée à Cardiff et à Paris, Théâtre du Châtelet, où
il avait dirigé Huit chants pour un roi
fou de Peter Maxwell Davies en 1984. En 1995, il dirige Moïse et Aron de Schönberg à Amsterdam
avec de nouveau Peter Stein, le Château
de Barbe-Bleue de Bartók mis en scène par Pina Bausch au Festival
d’Aix-en-Provence 1998 qui lui offre également le triptyque Pierrot lunaire de Schönberg / Tréteaux de Maître Pierre de Falla / Renard de Stravinski mis en scène par
Klaus Michael Gruber en 2006. En 2004 et 2005, Boulez fait ses dernières
apparitions dans la fosse mystique de Bayreuth dans Parsifal dans une mise en scène malheureusement trash de Christoph
Schlingensief.
De la maison des morts de Leos Janacek dans la production du Festival d'Aix-en-Provence dirigée par Pierre Boulez et mise en scène par Patrice Chéreau. Photo : (c) Festival d'Aix-en-Provence
Dans sa propre création, la voix,
qu’elle soit pour soliste(s) et ensemble ou pour chœur avec ou sans ensemble
instrumental, occupe une place capitale, avec des œuvres comme Visage nuptial, le Soleil des eaux, le
Marteau sans maître, Pli selon pli,
Über das, über ein verschwinden et Cummings ist der Dichter, mais elle est
toujours traitée tel un instrument de musique comme un autre, le compositeur
s’arrangeant toujours pour que le texte se fasse musique au risque d’être
inintelligible, malgré un choix drastique de poètes, puisqu’il s’agit rien
moins que de Stéphane Mallarmé, René Char ou EE Cummings.
Toutes ces œuvres et la majorité
de ces productions lyriques ont été heureusement sauvegardées par le disque,
certaines par le DVD, par les labels Sony, DG et Erato. Ces trois éditeurs ont
réuni leurs enregistrements en trois gros coffrets à l’occasion du
quatre-vingt-dixième anniversaire de Pierre Boulez, l’un des chefs d’orchestres
les plus enregistrés de l’histoire du disque.
Bruno Serrou
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