Lyon, Opéra National de Lyon, lundi 8 juin 2015
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Hélène Guilmette (Mélisande), Bernard Richter (Pelléas). Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
Pour sa dernière production de la
saison 2014-2015, l’Opéra de Lyon n’a pas choisi la facilité en présentant l’ouvrage
qui a ouvert l’opéra français à la modernité, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Partition qui a marqué des
générations entières de compositeurs qui, jusqu’à aujourd’hui, éprouvent d’énormes
difficultés pour échapper à ce modèle incontournable, tandis que le grand
public reste encore frileux à l’écoute de cet ouvrage qui leur semble
impénétrable, au point que les salles, cent-treize ans après sa création, ont
toujours tendance à se vider au fil des entractes… Ce qui a encore été le cas
le soir de la première de cette nouvelle production lyonnaise, à en juger des sièges restés vides à la reprise du
spectacle à l’issue de l’unique entracte programmé.
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Vincent Le Texier (Golaud), Hélène Guilmette (Mélisande). Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
L’Opéra de Lyon, où la dernière
apparition de Pelléas et Mélisande
remonte à 2004 dans une réalisation de Peter Stein, a aggravé son cas en
faisant appel à un metteur en scène venu du cinéma qui n’a pas craint de
bousculer la traditionnelle approche symboliste de l’œuvre, en ne respectant pas la
volonté de Mélisande dans son avertissement à Golaud « ne me touchez pas,
ne me touchez pas, ou je me jette à l’eau », au risque de passer pour
iconoclaste. Si certaines de ses conceptions respectent le livret, qu’il situe
de nos jours, il en est beaucoup d’autres qui sont en contradiction avec le
texte de Maeterlinck, ne craignant pas d’aller à son encontre. Ainsi, Christophe
Honoré, dont l’approche actualisée de Dialogues
des Carmélites de Poulenc en ce même théâtre en octobre 2013 avait
convaincu, dépeint-il un Pelléas bisexuel partageant en songe Mélisande avec
son ami mourant qui l’appelle à le rejoindre pour une ultime rencontre. Pas de mer, dont les parfums emplissent la partition ;
pas d’été, évoqué sous la neige ; pas de longs cheveux, qui apparaissent sous
la forme d’une perruque blonde coupée au carré - Mélisande adopte plusieurs
coiffures et postiches de toutes longueurs et de toutes couleurs - ; pas de
château, mais des murs nus et décrépis ; pas de tour, qui n’est qu’un muret ;
pas de nouveau-né mais une fillette de huit ou neuf ans, comme si l’acte final
se déroulait une dizaine d’années après la mort de Pelléas ; pas de chambre mortuaire,
l’agonie de Mélisande se passe dans une Jaguar plantée au milieu de la forêt...
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Hélène Guilmette (Mélisande). Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
La vision
qu’a le metteur en scène du chef-d’œuvre de l’opéra français est particulièrement
noire. Tous les personnages sont dotés d’une face sombre et, chez certains, singulièrement
violente. Jamais Arkel, vieillard décharné, boiteux et bossu, n’est apparu si dur
et cruel, Yniold aussi… ignoble, et qui va jusqu’à piéger sciemment le couple
dans un enclos où il ne peut échapper à la vindicte de son père Golaud, qu’il
va même chercher pour qu’il prenne les amants sur le fait. Golaud et Arkel sont
d’une extrême brutalité, incapables de self control, traitant durement tous
ceux qui leur sont inférieurs, y compris le généreux et juvénile Pelléas et,
surtout, la fragile Mélisande, traitée - ou plutôt maltraitée - telle une fille
de joie par Golaud et son grand-père Arkel.
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Hélène Guilmette (Mélisande), Vincent Le Texier (Golaud), Jean Vendassi (le chauffeur, le médecin). Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
A l’instar
des films noirs, le cinéaste transforme le château royal d’Allemonde en une
usine désaffectée et un grand dépôt qui pourraient servir à d’obscurs trafics mafieux.
Les changements à vue des éléments des décors d’Alban Ho Van sont hélas
beaucoup trop bruyants et perturbent fortement l’écoute des interludes que l’on
eut pourtant apprécié goûter sans tant Kazushi Ono en exalte les beautés
sonores et la densité expressive. Parmi lesdits éléments de décors, une Jaguar
XJ40 des années 1980 avec chauffeur immatriculée dans l'Yonne présente dès le début du spectacle, Golaud étant parti avec
à la chasse et derrière laquelle Mélisande est tapie avant que le chasseur de cuir vêtu la
découvre tandis qu'il s'apprête à y monter, dépité de se retrouver sans gibier. Au
quatrième acte, Golaud y piègera Pelléas, qui avait auparavant troussé Mélisande sur le capot-moteur, en tentant de le détourner de son
épouse en lui offrant une prostituée, longue scène projetée sur grand écran
pendant un interlude à rideau ouvert. A trop vouloir l’enfer, le metteur
en scène rend l’œuvre plus théâtrale et concrète que de coutume.
Tournant complètement le dos au statisme de Robert Wilson ou au symbolisme de Peter Stein, il fait des personnages des véritables êtres de chair et de sang qu’il plonge dans un univers des plus noirs. Alors que dans le texte l’attitude des héros laisse à penser que l’acte de chair n’a jamais été consommé entre Pelléas et Mélisande, qui ne se déclarent leur amour que quelques instants avant que Golaud les surprenne et tue Pelléas, l’on voit dans la conception d’Honoré Mélisande tenter de séduire sciemment Pelléas dans la scène de la grotte, puis passer à l’acte dans le hangar tandis qu’Yniold laisse croire à son arrière-grand-père qu’il est Mélisande en se couvrant la tête de l’une des nombreuses perruques de sa belle-mère... L’acte le plus réussi est le quatrième, tendu, tragique et formidablement évocateur, avec cette rue grise ou les deux héros expriment pour la première et dernière fois leur amour sous les réverbères, physiquement loin l’un de l’autre mais si intimement proches, tandis que la vidéo de Michael Salerno les montre en gros plan dans les mêmes attitudes, mais désynchronisés par rapport à la scène - l’on regrette que de petites caméras discrètement plantées n’aient pas retransmis ces mêmes images en direct -, une tension qui suscite l’adhésion du spectateur qui entre en empathie avec chacun, les amants autant que le bourreau.
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Hélène Guilmette (Mélisande), Bernard Richter (Pelléas). Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
Tournant complètement le dos au statisme de Robert Wilson ou au symbolisme de Peter Stein, il fait des personnages des véritables êtres de chair et de sang qu’il plonge dans un univers des plus noirs. Alors que dans le texte l’attitude des héros laisse à penser que l’acte de chair n’a jamais été consommé entre Pelléas et Mélisande, qui ne se déclarent leur amour que quelques instants avant que Golaud les surprenne et tue Pelléas, l’on voit dans la conception d’Honoré Mélisande tenter de séduire sciemment Pelléas dans la scène de la grotte, puis passer à l’acte dans le hangar tandis qu’Yniold laisse croire à son arrière-grand-père qu’il est Mélisande en se couvrant la tête de l’une des nombreuses perruques de sa belle-mère... L’acte le plus réussi est le quatrième, tendu, tragique et formidablement évocateur, avec cette rue grise ou les deux héros expriment pour la première et dernière fois leur amour sous les réverbères, physiquement loin l’un de l’autre mais si intimement proches, tandis que la vidéo de Michael Salerno les montre en gros plan dans les mêmes attitudes, mais désynchronisés par rapport à la scène - l’on regrette que de petites caméras discrètement plantées n’aient pas retransmis ces mêmes images en direct -, une tension qui suscite l’adhésion du spectateur qui entre en empathie avec chacun, les amants autant que le bourreau.
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. La "scène de la grotte". Bernard Richter (Pelléas), Hélène Guilmette (Mélisande). Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
La distribution est menée par les
titulaires des deux rôles titres. Déjà entendu à Garnier en Belmonte de l’Enlèvement
au Sérail de Mozart en octobre dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/10/perfectible-retour-de-lenlevement-au.html),
Bernard Richter, voix plus assurée encore et timbre solaire, campe un superbe Pelléas, Hélène Guilmette est une Mélisande incandescente
à la voix lumineuse et sûre. Dans le rôle qu’il a le plus incarné à la scène (notamment
à l’Opéra de Paris dans la mise en scène de Robert Wilson - voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/03/philippe-jordan-excelle-le-dernier-soir.html),
Vincent Le Texier est un Golaud halluciné et éperdu, comme possédé, d’une
vérité brûlante qui fait oublier une voix qui laisse percer une légère fatigue.
Jérôme Varnier, Arkel, est plus usé, ne contrôlant pas toujours une voix dont
le volume, le nuancier et les hauteurs ne sont pas toujours maîtrisés. Sylvie
Brunet-Grupposo convainc par son timbre de braise qui lui permet de camper une
Geneviève particulièrement émouvante. Yniold est tenu par un élève de la
Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Léo Caniard, voix fragile et pas toujours juste
mais préférable à une voix de femme car plus authentique, d’autant plus que ce
jeune garçon prend un évident plaisir à jouer la comédie.
Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Photo : (c) JLouis Fernandez / Opéra de Lyon
Le
travail de Kazushi Ono dans la fosse est remarquable. Sa direction met en
relief les finesses infinies de la partition tout en s’avérant dramatique et
sensuelle à souhait, tirant la partition non plus vers le symbolisme mais vers
le naturalisme tout en évitant judicieusement le vérisme vers lequel aurait pu
le tirer le metteur en scène. L’orchestre de l’Opéra de Lyon est d’une totale
cohésion, répondant à la moindre sollicitation de son directeur musical, et ses
sonorités sont à la fois fruitées et oniriques.
Bruno
Serrou
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