Paris, Festival ManiFeste de l’Ircam, Philharmonie, jeudi 11 juin 2015
Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Photo : (c) Luc Hossepied
La dernière fois que le public
parisien a pu entendre Répons de
Pierre Boulez remonte au 15 avril 2010. C’était à la Cité de la Musique. Le
compositeur assistait ce soir-là depuis la salle à l’exécution de sa partition
par son Ensemble Intercontemporain, pour lequel il a conçu cette somptueuse
partition au tournant des années 1980 à l’Ircam dont elle est devenue
l’un des symboles. Il a dirigé chacune des évolutions de cette « Work
in progress » dont il disait n’être parvenu qu’à la moitié de sa durée
prévue, le plan initial envisageant un développement global de quatre vingt dix minutes. En 2010, Susanna Mälkki était au pupitre. L’œuvre est entrée hier soir dans l’enceinte
de la nouvelle Philharmonie (1) un peu plus de deux mois après qu'elle ait célébré les 90 ans de son concepteur avec notamment une exposition de premier ordre (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/remarquable-retrospective-pierre-boulez.html)
réalisée par Sarah Barbedette.
La genèse de Répons a commencé en 1979, avec l’arrivée dans les murs de l’Ircam
de la fameuse 4X, premier ordinateur conçu pour la musique avec transformation
du son en temps réel. Ceux qui, comme moi, ont assisté aux premières exécutions
de cette œuvre que son auteur laissera finalement en état genèse, se
souviennent du gigantisme de ce premier ordinateur, que les équipes de l’Ircam déplaçaient
dans un énorme camion et qui demandait des heures de montage, tandis
qu’aujourd’hui, un simple ordinateur portable suffit… Répons est le fruit d’une commande du Südwestfunk de Baden-Baden pour
le Festival de Donaueschingen, où il a été créé le 18 octobre 1981 sous la
direction du compositeur à la tête de l'Ensemble Intercontemporain. L’œuvre est dédiée à Alfred Schlee, longtemps
directeur des Editions Universal de Vienne, pour son quatre-vingtième
anniversaire, et contient un hommage au mécène Paul Sacher, dont les lettres du
nom forment une partie du matériau sonore. Le titre fait référence au répons de
la musique religieuse médiévale dont le compositeur reprend l’idée de
prolifération à partir d’un élément simple, et de dialogue entre jeu individuel,
les six instruments solistes (deux pianos, harpe, xylophone, vibraphone,
cymbalum) répartis au-dessus du public et autour de l’ensemble et spatialisés
par l’informatique en temps réel par le biais de six haut-parleurs, et jeu
collectif, l’ensemble instrumental (deux flûtes, deux hautbois, deux
clarinettes et clarinette basse, deux bassons, deux cors, deux trompettes, deux
trombones, un tuba, trois violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse),
uniquement acoustique. Deux autres états de la partition ont suivi, une version
élargie, créée à Londres en 1982, et une « deuxième version », créée
à Turin en 1984. Répons restera inachevé,
un inachèvement relatif cependant, car lorsqu’on lui parlait de sa partition,
Boulez évoquait la forme de la spirale, à la fois close et achevée, et toujours
en évolution…
Pierre Boulez, Répons. Plan manuscrit de la disposition du chef, de l'ensemble, des six solistes et du public. Photo : DR
Afin de permettre au public une écoute depuis deux places
différentes, les sensations d’écoute étant distinctes selon l’endroit où l’auditeur
est placé dans la salle, l’œuvre est souvent donnée deux fois dans un même
concert. Ce qui n’a pas été le cas hier et qui est regrettable. Car, le dispositif
scénique, dû à la géométrie de la nouvelle salle, s’est avéré frustrant. En
effet, ce que j’ai appréhendé sitôt installé à la place qui m’avait été
attribuée s’est bel et bien réalisé. Assis sept rangs à l’extérieur
du cercle des six instruments solistes - derrière le second piano couvercle ouvert étouffant la dispersion du son vers l’arrière, à cour, et le vibraphone,
à jardin, je me suis retrouvé à écouter Répons
en stéréophonie et non pas en tétraphonie, comme le spécifie pourtant la
partition, les « six solistes [devant] entour[er] le public ».
Comme un quart de l’auditoire réuni hier, il m’a fallu écouter Répons « à plat », comme muni d’un excellent casque sur une chaîne stéréo hi-fi tout aussi excellente, ce qui a bien évidemment atténué les reliefs, à l’exception des sons passant dans le haut-parleur installé en fond d’orchestre quatre rangs derrière moi. Je regrette d’autant plus ce désagrément que l’acoustique de la Philharmonie est si remarquable que les vingt-quatre musiciens de l’Ensemble Intercontemporain situés sur le plateau n’ont jamais sonné de façon aussi flatteuse depuis que j’écoute cette œuvre, c’est-à-dire une bonne douzaine de fois en tous lieux depuis sa première exécution parisienne au Théâtre de Bobigny à l’automne 1980.
Si bien que je me suis mis à regretter le dispositif de la Philharmonie 2, ex-Cité de la Musique, dont l’acoustique est beaucoup plus froide est moins flatteuse que celle de la Philharmonie, mais dont la topographie permet de disposer bel et bien les six solistes autour du public.
Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Les deux pianistes et, au centre à l'étage, le cymbaliste, et une partie de l'ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou
Comme un quart de l’auditoire réuni hier, il m’a fallu écouter Répons « à plat », comme muni d’un excellent casque sur une chaîne stéréo hi-fi tout aussi excellente, ce qui a bien évidemment atténué les reliefs, à l’exception des sons passant dans le haut-parleur installé en fond d’orchestre quatre rangs derrière moi. Je regrette d’autant plus ce désagrément que l’acoustique de la Philharmonie est si remarquable que les vingt-quatre musiciens de l’Ensemble Intercontemporain situés sur le plateau n’ont jamais sonné de façon aussi flatteuse depuis que j’écoute cette œuvre, c’est-à-dire une bonne douzaine de fois en tous lieux depuis sa première exécution parisienne au Théâtre de Bobigny à l’automne 1980.
Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Les deux percussionnistes et la harpiste à l'étage au centre, et une partie de l'ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou
Si bien que je me suis mis à regretter le dispositif de la Philharmonie 2, ex-Cité de la Musique, dont l’acoustique est beaucoup plus froide est moins flatteuse que celle de la Philharmonie, mais dont la topographie permet de disposer bel et bien les six solistes autour du public.
Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Photo : (c) Luc Hossepied
Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain jouent
cette musique avec un plaisir et une aisance évidents, semblant jouir des
résonances sublimes de l’écriture boulézienne mais écrasées à mes oreilles au
point de former un monolithe en raison d’une spatialisation aplanie des
instruments à clavier et de la virtuosité lumineuse des instruments acoustiques
aux sonorités magnifiées par l’acoustique chaude et limpide de la Philharmonie et
qui exaltent une sensualité inouïe sous la direction souple, claire et
généreuse de Matthias Pintscher, qui s’avère en osmose totale avec la musique
scintillante et lumineuse de son grand aîné, fondateur de l’ensemble dont il est
désormais le directeur musical, et, comme lui, compositeur chef d’orchestre.
Matthias Pintscher. Photo : (c) Ensemble Intercontemprain
Plutôt qu’une première
exécution de Répons, le Festival
ManiFeste et l’Ensemble Intercontemporain ont préféré cette fois mettre en regard deux œuvres
de deux cadets de Pierre Boulez, une pièce pour percussion du Suisse Michaël
Jarrell (né en 1958) et une page d’orchestre de l’Allemand Helmut Lachenmann
(né en 1935). La façon dont sonne la percussion soliste dans la salle de la
Philharmonie est incroyable. Dans Assonance
VII (1992) de Jarrell donné en présence du compositeur, Victor Hanna a suscité une
symphonie de couleurs et un nuancier phénoménaux, du plus subtil pianississimo au plus puissant des fortississimi, tirant de la riche
diversité de son instrumentarium (peaux, claviers, gongs, tam-tams, cymbales de
toutes tailles) un feu d’artifice de sons et de timbres d’une sensualité
pénétrant le corps et titillant l’ouïe de l’auditeur. Matthias Pintscher et l’Ensemble
Intercontemporain ont ensuite offert une interprétation jubilatoire de l’extraordinaire
Mouvement (- vor der Erstarrung) (Mouvement (- avant solidification)) pour
ensemble (1982-1984) de Lachenmann, que l’EIC a créé le 12 novembre 1984 sous la
direction de son directeur musical d’alors, le compositeur chef d’orchestre Péter
Eötvös. La précision des attaques dans le souffle et les bruits blancs au début
(construction) et à la fin (déconstruction) de l’œuvre, l’onirisme, l’élan, l’homogénéité
des seize musiciens de l’EIC (flûte/piccolo, flûte en sol/piccolo, clarinette
en si bémol, clarinette en si bémol/clarinette basse, clarinette basse, deux
trompettes, trois percussionnistes, klingelspiel
ou « piano-grenouille », deux altos, deux violoncelles, contrebasse)
ont fait de cette extraordinaire partition un classique du XXe
siècle. En outre, ces deux premières pièces ont été supérieurement valorisées
par l’acoustique de cette superbe salle dont l’aménagement intérieur est
désormais quasi achevé.
Bruno Serrou
1) L’Ensemble
Intercontemporain et Matthias Pintscher reprennent Répons le 14 juin à Gashouder dans le cadre du Festival de
Hollande, et le 15 août au Festival de Salzbourg. Par ailleurs, François-Xavier
Roth dirige Répons au Festival de
Radio France et de Montpellier Languedoc Roussillon le 22 juillet à la tête du
SWR-SO de Baden-Baden und Freiburg, ainsi qu’Ulrich Pöhl à Utrecht le 8
décembre avec l’Ensemble Insomnio.
Concert à regarder sur le net:
RépondreSupprimerhttp://concert.arte.tv/fr/lensemble-intercontemporain-interprete-repons-de-boulez-la-philharmonie-de-paris