Paris, Salle Pleyel, dimanche 6 avril 2014
Valery Gergiev. Photo : (c) Fred Toulet
Moins
d’un mois et demi après avoir achevé dans cette même Salle Pleyel son intégrale
des symphonies et concertos de Dimitri Chostakovitch avec son Orchestre du
Théâtre Mariinsk, Valery Gergiev s’est produit le week-end dernier avec le
London Symphony Orchestra, phalange dont il est chef permanent depuis 2006,
année où il succéda à Sir Colin Davis. Comme il l’avait fait voilà deux saisons
avec Johannes Brahms et Karol Szymanowski, le chef russe a mis en regard deux
grands compositeurs mystiques, avec les deux dernières symphonies de son
compatriote Alexandre Scriabine et deux œuvres pour orchestre de jeunesse du
Français Olivier Messiaen. Lors du second concert, l’Orchestre Symphonique de
Londres a conforté le fait amplement avéré par ailleurs qu’il est bel et bien l’une
des phalanges les plus souples et sûres au monde, avec ses pupitres de cordes
aux textures fines et soyeuses, à l’instar de tous ses solistes,
particulièrement le somptueux cor anglais de Christine Perdrill, le flûtiste
Gareth Davies, le bassoniste Daniel Jemison, ce qui conduit à s’étonner
d’autant plus d’un certain nombre d’approximations il est vrai fortuites des
cuivres, notamment des trompettes, qui sonnent néanmoins fier et droit.
Olivier Messiaen (1908-1992) en 1930. Photo : (c) Studio d'Harcourt
Disons-le
sans attendre, Messiaen ne sied pas à Gergiev. Le chef russe ne donne pas dans
la spiritualité ni même dans la suavité. Si l’on admire le feutre des cordes, l’on
reste de marbre à l’écoute des quatre « méditations symphoniques »
à l’instrumentation différente qui forment L’Ascension,
première partition pour grand orchestre de Messiaen, qui la composa à 24 ans. Aussi
inconséquent que cela puisse paraître, Gergiev n’a pas respecté les indications
du compositeur, n’utilisant que six contrebasses là où la partition en indique
dix, amoindrissant de ce fait non seulement l’assise harmonique de l’œuvre mais
aussi les reliefs des cordes, qui étaient en proportion, donc loin de sonner aussi
opulent que l’entendait l’organiste qu’était Messiaen, maître de la couleur s’il
en est.
Denis Matsuev et Valery Gergiev. Photo : DR
Avant
Scriabine, Gergiev a invité son ami Denis Matsuev à donner le Concerto n° 2 pour piano et orchestre en la majeur de Franz Liszt, qui, lorsqu’il
le composa en 1839-1849 avant d’en diriger la création huit ans plus tard, n’était
pas encore franciscain. Grand poème symphonique avec piano obligé, l’œuvre enchaîne
en vingt minutes six mouvements dont le matériau thématique commun adopte la
forme cyclique. L’écriture virtuose, autant côté orchestre que côté piano, alterne
combats et dialogues entre l’instrument solo, tutti et pupitres solistes de l’orchestre, comme le sublime échange
du piano avec le violoncelle, extraordinaire moment d’émotion pure magnifié par
Alastair Blayden, suppléant du violoncelle solo titulaire Tim Hugh. C’est d’ailleurs
en ce seul moment que Matsuev a attesté d’une certaine musicalité, le pianiste sibérien
jouant continument en force, semblant presque tout au long de l’exécution de l’œuvre
livrer un combat de titan avec l’orchestre qu’il sera souvent parvenu à
dompter. Après un court premier bis que je n’ai pas pu identifier, Matsuev a
donné une Tarentelle de bravoure d’acier
jouée avec des doigts d’airain qui sont parvenus à saturer le son du grand
queue Steinway comme une vulgaire paire d’enceintes hi-fi poussées au maximum
de leurs capacités….
Alexandre Scriabine (1872-1915). Photo : DR
Impétueuse
et opulente a été la Symphonie n° 2 en ut
mineur op. 29 d’Alexandre Scriabine par Valéry Gergiev. Ce qui n’a pas
empêché le chef russe de contenir sa ferveur naturelle pour exalter les
flamboyances des cordes, l’éclat impérieux des sonneries hymniques de cuivres,
les textures de musique de chambre qu’il sait remarquablement mettre en exergue
en prenant appui sur l’éblouissante virtuosité de London Symphony Orchestra.
Ainsi, de cette œuvre conçue en 1901 et créée l’année suivante, le chef russe
et l’orchestre britannique ont mis en évidence ce qu’elle doit à la fois à Franz
Liszt, pour la forme cyclique, Richard Strauss, pour le foisonnement orchestral,
et à Claude Debussy, pour la fluidité et la transparence des textures. Pourtant,
l’interprétation est apparue distante et raide, Valéry Gergiev restant comme spectateur
des beautés enchanteresses de son orchestre britannique, se retenant ainsi de s’investir
pleinement dans la partition de son compatriote, il est vrai loin encore des
aspirations philosophiques et religieuses qu’il déploiera dans ses partitions à
partir de sa Troisième Symphonie en ut mineur op. 43 titrée « Divin Poème » que le chef
russe a dirigée la veille.
Bruno Serrou
Le premier bis était une étude pour enfants de Sibelius. Cordialement.
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